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27/12/2011

Jours d'antan

Quand Sam avait une huitaine d’années, nous étions en région parisienne. Nous allions nous promener dans la forêt de Boissy St Léger et au retour nous faisions une halte dans l’église du coin. La lumière tamisée des vitraux, les ombres, les hauts piliers, les voûtes, c’était comme la niche secrète d’une autre forêt, écho d’un monde mystérieux et limpide. Nous en émergions ensuite pour retrouver la réalité de la banlieue, avec ses gens serrés aux entournures qui se méfiaient les uns des autres selon l'appartenance ou non  à  leur groupe social. Le plus triste étant qu'il y avait de quoi pour certains d'entre eux. Après un répit salutaire, nous revenions donc dans un univers où les gens se bousculent sans cesse, c'est le moindre mot.  

 

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23/12/2011

Les abattoirs en question

J’ai fini de lire La marche lente des glaciers. Marie Rouanet a l’art de communiquer les émotions et sentiments éprouvés à l’égard de ses parents avec authenticité, la vérité passe dans sa complexité  ; la fatigue extrême des corps vieillissants soulève indirectement la question de l’euthanasie, l’auteure, si épouvantée soit-elle par instant, défend la vie des siens jusqu’au bout, devine et respecte le fil ténu de leur vies bouleversées par la maladie. C’est en cela que sa réflexion est précieuse, dans le bon sens du terme. Ceux qui ont lu La marche lente des glaciers comprendront que l’autre question  abordée, des rapports d’admiration et de consommation du gibier, ne m’ait pas passionnée.

Se passer de viande, ce n’est pas si facile pour certains organismes. On peut essayer d’appliquer aux animaux ce concept ordinairement réservé humains, à savoir : "Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse" et finalement échouer. J’ai rompu avec ma résolution végétarienne, en remangeant dinde et poulet de temps en temps, non par envie mais pour pallier une prise de poids à incidence cardiaque. La végétarienne que j’étais il y a peu n’était pas atteinte d’angélisme comme pourraient le subodorer certains sceptiques, ma motivation étant principalement liée à la répugnance physique de manger de la bidoche. Cela est parti d’une première "incapacité" à manger du veau et tout bovin en général en souvenir d’une nuit blanche dans un gîte rural situé à côté d’une étable à vaches, d’où j’entendais l’une d’elle "pleurer" bruyamment son petit, emmené quelques heures plus tôt à l’abattoir. C’est bête comme chou le déclenchement de ces mécanismes de répulsion. Parfois, le végétarien, de peur d’être pris pour un(e) bégueule peut frimer devant la compagnie en mâchonnant ostensiblement un bout de saucisson, juste pour donner le change, mais c’est tellement à contrecœur que ça frise le masochisme.

 

     

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22/12/2011

La marche lente des glaciers de Marie Rouanet

Je pensais lire quelque chose sur le Pôle Nord et ses paradis blancs et me suis retrouvée du côté de Béziers. Un voyage qui en vaut également la peine. L'extrait :

Avant que ma mère ne soit malade, quand elle était encore à avoir une vie, lorsque j’arrivais, elle passait la tête à la porte de la cuisine. Juste la tête. Le corps restait dans son domaine. En sécurité déjà. C’est ainsi que je la trouvais en passant le seuil. Elle me regardait par-dessus ses lunettes, disait :"Ah ! c’est toi !" et souriait. Je me demandais ce qu’elle s’attendait à trouver sur son seuil pour être aussi soulagée en disant "Ah ! c’est toi !" Sûrement quelque chose d’effrayant. En hiver, je trouvais la porte verrouillée. Elle demandait : "Qui est là ?" d’un air inquiet et en riant je répondais : "L’assassin."

Souvent j’avais repensé à cela quand elle s’était mise à avoir peur des autres et regardait les passants, tous connus, mais désormais tous suspects et tramant des complots. Jusqu’à mon père auquel elle jetait des regards méfiants en lui disant méchamment : "Vieux renard, va !" Lorsque je l’obligeais à sortir, le jardin, la rue lui étaient insupportables. Elle gémissait à mon bras, voulait rentrer. "Tu promènes une épave", protestait-elle. Elle était pourtant jolie, avec ses petits cheveux blonds encore, son foulard rose, son œil clair. Pour qui savait, bien sûr, tout sentait la débandade : ce manteau bleu marine dont le grand soleil faisait apparaître la vieille couleur pâlie et les bordures râpées, et surtout ce regard traqué. […]

Nous avancions vers une maison dont le portail reste ouvert pour permettre aux passants de se recueillir devant une grotte de Lourdes construite en rocaille au fond du jardin. "Entrons", disait-elle. Elle voulait réciter la prière qu’elle appelait "de Laeticia". Laeticia était aussi pieuse que Léontine, l’autre amie de ma mère, qui habitait plus loin et qui, beaucoup plus jeune, participait à de nombreuses activités paroissiales et associatives. Laeticia l’avait peu à peu remplacée. C’est elle qui donnait à ma mère de petits objets bénits : des pétales de rose de sainte Rita, des grains de riz nacrés de Saint Antoine, des pétales des lis du mois de Marie venus de son jardin de Corse. La feuille de lis était jaune, translucide comme un parchemin, et on y lisait à livre ouvert les veines et veinules de la sève, en orange foncé ; les pétales de roses avaient gardé leur velouté, leur couleur pourpre ; la seule différence avec la rose fraîche était la raideur et la fragilité. Tout cela, plié dans des papiers que l’on disait "de soie", où ma mère avait inscrit la provenance, était conservé dans une de ces boîtes qu’elle mettait de côté pour leur joliesse et leur solidité. Une, en particulier, qui avait contenu un parfum aux violettes de Toulouse, sucré, évoquant les joues ridées à peau fine, fine et tachée sur le jeu des vaisseaux sanguins. Dans cette même boîte ma mère gardait la fameuse prière "Sainte Vierge, au milieu de vos jours glorieux, n’oubliez pas les misères de la terre…".

C’est celle-là qu’elle voulait dire quand nous nous promenions du côté de la grotte de Lourdes, mais elle ne la savait plus. Alors je commençais et la suite sortait de ses lèvres : "ayez pitié de l’isolement du coeur". Longtemps cette phrase l’avait émue au point de casser sa voix et de faire venir les larmes à ses yeux. Elle comprenait la solitude des solitaires et peut-être soupçonnait-elle qu’elle pourrait être un jour la sienne quand, dans le dernier bout de route, elle se retrouverait, pauvre parmi les pauvres, sans plus rien de ces douces choses sans valeur marchande qui pourtant lui furent arrachées : le matin frais et la rose ouverte, la conversation sous le tilleul, une partie de rire avec ses filles, un après-midi en ville. Plus rien, à part peut-être le fil de la prière dite du bout des lèvres devant cette rocaille honorée de fleurs simplettes par les passants : "Ayez pitié de ceux qui prient, de ceux qui tremblent, de ceux qui ne cessent de tremper leurs lèvres aux amertumes de la vie." 

 P. 53 ; 55-56 Marie Rouanet La marche lente des glaciers  

 

 

  

 

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