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13/11/2014

C'est ziperbe, répéta le baron de Batz, ché gomprends

Féval encore,  avec le roman du Bossu,  tonique avec ses personnages hauts en couleur : Cocardasse, le Gascon-Provençal, et Passepoil, le très laid et néanmoins très attachant Normand (une sorte de Gainsbourg avant l'heure,  chanteur qui  se trouvait laid quand nombre de femmes  le voyaient beau... question de regard sur soi)  Bref, revenons à Féval, tonique certes, mais aussi subversif en diable quand il s'agit de dénoncer les crapuleries d'argent. Dans l'extrait, on voit comment on simule pour  provoquer un clash boursier en vue de faire baisser les actions, puis remonter quand le tour est joué ; climat boursier  qui naquit sous la régence, (après la mort de Louis XIV, en attendant le futur roi qui était encore trop jeune pour régner.)  Law, semblerait être à l'origine de l'aventure du billet de banque et de la bourse. Fiction et réalité toute crue d'une époque, se mêlent. Spéculation, achat d'actions, revente d'actions ; actions que l'on nommait diversement : les actions mères, les filles, les petites-filles, les bleues qui étaient les dernières actions achetées au moment du clash  provoqué dans cet extrait :

 

 

 

"— Une fureur ! s'écrièrent-ils, une folie ! Elles font trente et trente-cinq au cabaret de Venise  ; quarante et jusqu'à cinquante chez Foulon. Dans une heure, elles feront cent. Achetez, achetez !

 

Le bossu riait dans un coin.

 

— On te donnera un os à ronger, petit, lui dit Nocé à l'oreille ; sois sage !

 

— Merci, mon digne monsieur, répondit Esope II humblement, c'est tout ce qu'il me faut.

 

Le bruit s'était cependant répandu en un clin d'œil que les bleues allaient faire cent de prime avant la fin de journée. Les acheteurs se présentèrent en foule. Albret, qui avait toutes les actions de l'association dans son portefeuille, vendit en masse à cinquante au comptant ; il se fit fort, en outre, pour une quantité considérable à livrer au même taux sur le coup de deux heures.

 

Alors débouchèrent par la même porte donnant sur la rue de Quincampoix, Oriol et Montaubert avec des visages de deux aunes.

 

— Messieurs, dit Oriol à ceux qui lui demandaient pourquoi cet air consterné, je ne crois pas qu'il faille volontiers répéter ces fatales nouvelles, cela ferait baisser les fonds.

 

— Et, quoi que nous en ayons, ajouta Montaubert avec un profond soupir, la chose se fera toujours assez vite.

 

— Manœuvre ! manœuvre  !  cria un gros marchand qui avait les poches gonflées de petites-filles.

 

La paix,  Oriol ! fit  M. de Montaubert ; vous voyez à quoi vous nous exposez.

 

Mais le cercle avide et compact des curieux se massait déjà autour d'eux.

 

— Parlez, messieurs, dites ce que vous savez, s'écria-t-on ; c'st un devoir d'honnête homme.

 

Oriol et Montaubert restèrent muets comme des poissons.

 

— Ché fais fous le tire, moi, dit le baron de Batz qui arrivait ; tépâcle ! tépâcle ! tépâcle !

 

— Débâcle ? Pourquoi ?

 

— Manœuvre, vous dit-on.

 

— Silence, vous, le gros homme ! Pourquoi débâcle, monsieur de Batz ?

 

— Ché sais bas, répondit gravement le baron, zuingande bour zent te paisse !

 

— Cinquante pour cent de baisse ?

 

— En tix minides.

 

— En dix minutes ! mais c'est une dégringolade !

 

— Ya, c'est eine técrincolâte ! eine tésâsdre ! eine bânigue !

 

— Messieurs, messieurs, dit Montaubert, tout beau ! n'exagérons rien.

 

— Vingt bleues à quinze de prime ! criait-on aux alentours.

 

— Quinze bleues, quinze ! à dix de prime et du temps.

 

— Vingt-cinq au pair.

 

— Messieurs, messieurs, c'est de la folie ! l'enlèvement du jeune roi n'est pas encore un fait officiel.

 

— Rien ne prouve, ajouta Oriol, que M. Law ait pris la fuite.

 

— Et que M. le régent soit prisonnier au Palais-Royal, acheva Montaubert d'un air profondément désolé.

 

Il y eut un silence de stupeur, puis une grande clameur composée de mille cris.

 

— Le jeune roi enlevé ! M. Law en fuite ! le régent prisonnier !

 

— Trente actions à cinquante de vente !

 

— Quatre-vingts bleues à soixante !

 

— A cent !

 

— A cent cinquante.

 

— Messieurs, messieurs, faisait Oriol, ne vous pressez pas.

 

— Moi, je vends toutes les miennes à trois cents de perte ! s'écria Navailles, qui n'en avait plus une seule ; les prenez-vous ?

 

Oriol fit un geste d'énergique refus.

 

Les bleues firent aussitôt quatre cents  de perte. Montaubert continuait :

 

— On ne surveillait pas assez les du Maine, ils avaient des partisans. M. le chancelier d'Aguesseau était du coup, M. le cardinal de Bissy, M. de Villeroy  et le maréchal de Villars. Ils ont eu de l'argent par M. le prince de Cellamare. Judicaël de Malestroit, marquis de Poncallec, le plus riche gentilhomme de Bretagne, a pris le jeune roi sur la route de Versailles, et l'a emmené à Nantes. Le  roi d'Espagne passe en ce moment les Pyrénées avec une armée de trois cent mille hommes : c'est là un fait malheureusement avéré.

 

— Soixante bleues à cinq cents de perte ! cria-t-on dans la foule toujours croissante.

 

— Messieurs, messieurs,  ne vous pressez pas. Il faut du temps pour amener une armée des monts pyrénéens jusqu'à Paris. D'ailleurs, ce sont des on-dit ! rien que des on-dit...

 

— Tes on-tit, tes on-tit, répéta le baron de Batz. Ch'ai encore eine action ; ché la tonne bour zing zents vrancs ! foilà.

 

Personne ne voulut de l'action du baron de Batz, et les offres recommencèrent à grands cris.

 

— Au pis aller, reprit Oriol, si M. Law n'était pas en fuite...

 

— Mais, demanda-t-on, qui retient le régent prisonnier ?

 

— Bon Dieu ! répondit Montaubert, vous m'en demandez plus que je n'en sais, mes bonnes gens. Moi, je n'achète ni ne vends, Dieu merci ! M. le duc de Bourbon était mécontent à ce qu'il paraît. On parle aussi du clergé, pour l'affaire de la constitution. Il y en a qui prétendent que le czar est mêlé à tout cela et veut se faire proclamer roi de France.

 

Ce fut un cri d'horreur. Le baron de Batz proposa son action pour cent écus. A ce moment de panique universelle, Albret, Taranne,  Gironne et Nocé, qui avaient les fonds sociaux, firent un petit achat, et furent signalés aussitôt. On se les montrait au doigt comme une partie carrée d'idiots : ils achetaient. En un clin d'œil, la foule les entoura, les assiégea, les étouffa.

 

— Ne leur dites pas vos nouvelles, fit-on à l'oreille d'Oriol et de Montaubert.

 

Le gros petit traitant avait grand'peine à s'empêcher de rire.

 

— Les pauvres insensés ! murmura-t-il en montrant ses complices d'un geste plein de pitié.

 

— Je suis gentilhomme, mes amis ; je vous ai dit mes nouvelles Gratis pro Déo ; faites-en ce que vous voudrez, je m'en lave les mains.

 

Montaubert, poussant encore plus loin la complaisance, criait aux innocents :

 

— Achetez, mes amis, achetez ! Si ce sont de faux bruits, vous allez faire une magnifique affaire.

 

On signait deux à la fois sur le dos du bossu. Il recevait des deux mains et ne voulait plus que de l'or. Réaliser ! réaliser ! c'était le cri général.  Ce qu'on appelait le pair pour les actions bleues ou petites-filles, c'était cinq mille livres, taux de leur émission, bien que leur valeur nominale ne fût que de mille livres. En vingt minutes, elles tombèrent à quelques centaines de francs. Taranne et ses lieutenants firent rafle. Leurs portefeuilles se gonflèrent comme le sac de cuir d'Esope II, dit Jonas, lequel riait tout tranquillement, et prêtait son dos à ces fiévreuses transactions. Le tour était fait. Oriol et Montaubert disparurent.

 

Bientôt, de toutes parts des gens arrivèrent essoufflés :

 

— M. Law est à son hôtel.

 

— Le jeune roi est aux Tuileries.

 

— Et M. le régent assiste présentement à son déjeuner.

 

— Manœuvre ! manœuvre ! manœuvre !

 

—  Manèfre ! manèfre ! manèfre !  répéta le baron de Batz indigné ; ché fous tisais pien que z'édait tes manèfres.

 

Il y eut des gens qui se pendirent.

 

Sur le coup de deux heures, Albret se présenta pour livrer ses actions vendues au taux de cinq mille cinquante francs. Malgré les gens pendus et ceux qui firent banqueroute en se bornant à s'arracher les cheveux, Albret réalisa encore un fabuleux bénéfice."

 

Féval, Le Bossu page 456 à 458

 

  

 

 

 

  

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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12/11/2014

La propriété de certains cailloux — Marie Noël notes intimes

La propriété d'un certain caillou ou  fragment de pechblende est de contenir d'étranges substances :  "La pechblende, dont on exploite les gisements pour extraire l' uranium, est composée de dioxyde d'uranium. Elle se trouvait en quantité dans des mines d’ argent de  Bohême. Le gisement de  Jachymov (district de Karlovy Vary en République tchèque), aujourd'hui épuisé, est le plus connu : c'est ce gisement qui a fourni la pechblende nécessaire à l'extraction du  radium par  Pierre et Marie Curie." (Wikipédia)

 

De découvertes en découvertes des scientifiques sont  embringués dans un  voyage qui leur semble merveilleux mais qui présente de grands dangers. La passion de la découverte les tient, ils ont de plus beaucoup "de cerveau disponible" pour les exploiter, innocemment je pense, à l'instar d'enfants surdoués : toutes ces découvertes sont leurs contes de fées à eux, que personne pour le coup n'ose défaire, comme d'aucuns l'osèrent pour les Contes de fée  gaillardement métamorphosés en Conte Défait,  car les applications scientifiques débouchent sur des transformations tangibles au-delà de promesses de Monts et merveilles : nous pouvons toucher tous les jours les citrouilles transformées en carrosses,  qui vont des simples allume-gaz aux téléphones portables : quelle magie !  Dans certains domaines scientifiques, hélas,  un gros Mais s'insinue bientôt comme un nuage,  pire quand il se concrétise en champignon géant de la bombe atomique.  Alors que dans d'autres domaines de la science, le ciel reste au beau fixe. Pasteur par exemple avec la pasteurisation et la vaccination ne rencontre pas de mauvais tranchant à ses découvertes, à ce que j'en sais, c'est un secteur de recherche où il y a quasi tout à prendre, comme disent les amateurs de cochons et presque rien à laisser ;  parmi les découvertes par contre  d'autres scientifiques, les choses se compliquent à cause du mauvais tranchant ;  certes il y a le côté bienfaisant : grâce aux radios on peut détecter et de là attaquer le mal, réussir même parfois à l'éradiquer, mais d'un autre côté les rayons X peuvent donner la leucémie. Idem quand on considère la vie moderne : un téléphone portable peut sauver la vie d'un homme en détresse mais la démultiplication des téléphones portables créent des zones d'ondes intolérables à certains.  Le mieux serait encore en ces circonstances d'accomplir notre devoir de citoyen en sachant discerner les limites quant aux applications, et ne pas stimuler les scientifiques dans de mauvaises voies quitte à leur faire porter le chapeau par la suite. L'humble bon sens ordinaire devrait suffire à cette tache.  Parmi tous ces savants, à ce qu'on aime dire,  aucun n'aurait le melon, ils seraient comme de grands enfants surdoués pris dans le merveilleux de leurs découvertes aux applications fantastiques, sur un nuage certes, mais bien sans orgueil,  apanage des crétins à ce qu'il paraît. La guerre néanmoins  nous a aussi appris qu'il existait dans les camps de concentration, des savants idiots faisant des expériences horribles sur les détenus...  D'un autre côté nous pouvons constater que des scientifiques ont découvert comment vaincre le virus de l'Ebola.  La science s'impose parfois plus que lourdement dans les vies des uns et des autres, et apporte aussi le confort, parfois sauve. La gageure à tenir  reste difficile : faire en sorte que la science ne déshumanise ni les scientifiques, ni ceux qui les courtisent , oubliant, dans leur émerveillement non feint qui est aussi le mien par moment,   de défaire certaines choses liées à la science. Admiration sans obnubilation ... quel billet j'ai écrit là ce matin ! le billet de la citoyenne en somme.

 

Lu ce jour dans Jubilate Déo  :

 

"Silence, le pays au-delà de tous pays. Silence, l'oiseau qui chante où personne n'entend. Mais Dieu l'écoute, la fontaine qui coule où personne ne passe. Mais Dieu y vient boire."

Marie Noël, Notes intimes

 

Pour moi ce texte  parle de la Présence. Celle que l'on ressent comme bienveillance à l'état pur lorsqu'on est seul(e) et que d'un coup le recueillement s'impose. 

    

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11/11/2014

Docteur Watson

On ne pouvait pas mieux dire à mon sens que ce que Télérama a dit de ce film : Breaking the waves :

 

"Genre : mélo.

« Il s'appelle Jan. » La confession de Bess fait l'effet d'un lance-flammes, dans cette austère église écossaise. Sous son bonnet de laine rêche, la jeune fille roule des pensées interdites par la morale locale. L'objet de sa passion lui est livré du ciel, par hélicoptère : un Viking gigantesque, employé sur les plates-formes du grand large. Mariage. Amour fou. Jusqu'au jour où l'hélicoptère rapatrie Jan à Bess. Le colosse a reçu un pylône sur le crâne. Les amoureux sont désormais à égalité, avec leurs caboches qui ne tournent pas rond... Breaking the waves décrit l'éveil d'une femme que le puritanisme a littéralement dépecée. Bess vit à fleur de peau. Les gestes de tous les jours deviennent tous sensuels, irrémédiablement liés à sa passion pour Jan. Emily Watson est inoubliable, avec ses regards par en dessous et ses fous rires intérieurs. En mouvement permanent, elle a toujours l'air de ressentir les choses pour la première fois. Est-ce cette renaissance perpétuelle qui rend le film si poignant, si vivace ?"

 

Je l'avais déjà vu en DVD, trouvé à la médiathèque de Béthune. Mais ni Pat ni moi nous souvenions clairement de ce film désormais inoubliable. La seconde fois, sans trivialité, peut être mieux que la première parce que l'on se pose plus de questions sur soi par rapport au film, et sur le fonctionnement de notre mémoire propre. Comment avais-je pu oublier par exemple ce visage qui tient à la fois de la comedia del arte, du mime Marceau, et de quelque chose de plus introverti, qui affleure par des sourires et des regards en dessous ? Un don que de savoir jouer à ce niveau. Les fou rires intérieurs comme dit le critique de Télérama, oui, bien vu l'artiste ! comme si elle n'était pas seulement en dialogue extraverti entre le Moi et le Surmoi quand elle s'adresse à Dieu tel qu'elle l'imagine mais qu'un dialogue sous-jacent plus profond entre elle et l'indicible se faisait. Dieu pour Bess est un policier d'une austérité rare, elle se fait petite, elle est dans ses petits souliers face à lui, sa voix se brise devant lui, comme celle d'un petit prolo face à un patron dont on implore la clémence... c'est vrai, tout cela semble avoir fatigué tout son être, l'avoir mise à fleur de peau. Sa sensibilité à cet égard l'aura sans doute anormalisée. Son psychiate à la fin ressent cela comme de la bonté. Car Bess se donne à fond, le colosse Dieu elle compte qu'il la prendra en pitié et lui accordera la guérison de l'autre colosse, de chair et d'os. Rébellion vers la fin contre les pasteurs dont elle dénonce l'absence de sensualité du fait qu'ils ne se fient qu'aux mots, c'est absurde leur dira-t-elle. Et pour finir, elle s'immole comme l'agneau pour son amour, elle se livre aux bourreaux... et doute quand elle voit, en agonie,  que cela n'aura pas apparemment rétabli  son bienaimé. Et que voit-on en conclusion, ou plutôt qu'entend-on ? Les cloches tinter, carilloner, comme signe pour les amis de Bess, qu'elle a rejoint le ciel. Le mariage avec Dieu a réussi mieux que son mariage sur terre, c'st ainsi que l'interprètent ses amis car le signe est fort : Bess regrettait beaucoup que le clocher de son village n'eût pas de cloches, notamment à la célébration de son mariage avec le viking. Ce dernier fut-il à la hauteur de l'amour de Bess, peu à peu il l'a égalée en sensibilité puisqu'il l'a soutirée à la malédiction des bigots. 


En savoir plus sur http://television.telerama.fr/tele/films/breaking-the-waves,8638.php#iJZAJl7Ctr7QLM12.99