08/01/2012
La lecture d'hier soir
Comme tout le monde j’avais beaucoup entendu parler de Francis Scott Fitzgerald. Je l’avais lu un jour en diagonale et n’insistai pas. Me revoilà il y a peu en présence des ouvrages de cet auteur, sortant incidemment d'un rayon Tales of the Jazz Age, version bilingue. Re-lecture en diagonale sans aller plus loin. Enfin, hier soir en lisant une des nouvelles de cet auteur The Jelly-Bean à l’ami Pat, en français vu notre vocabulaire anglais pas encore assez fourni, je m’aperçois, il n’est pas trop tôt, que j’ai effectivement affaire à un grand. Pour résumer mon impression après lecture de deux nouvelles que l’ami Patrick a écoutées avec intérêt, je trouve qu’il y a parfois du Nathalie Sarraute dans Fitzgerald malgré leur style très différent, en ce qu'ils captent tous les deux les fêlures de leurs personnages principaux, adultes mais en leur for intérieur enfants un peu perdus, avec pudeur et tendresse. Cela dit, Fitzgerald qui a forcément ses petites fêlures personnelles, s’intéresse prioritairement au sud des États-Unis, avec un petit a priori contre le nord mais il faut replacer tout cela dans son contexte. À nous une découverte plus ample de cet auteur.
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03/01/2012
Bandes de joyeux drilles
"Face à l’indétermination qui entoure la définition des bandes de jeunes en France, le livre du sociologue Marwan Mohammed offre une contribution importante. Tiré de sa thèse soutenue en 2007 largement remaniée depuis son entrée au CNRS, en 2007, il analyse les mécanismes sociaux qui participent à leur reproduction dans le contexte des cités de la région parisienne. Dans la perspective classique de Thrasher, il s’agit de mettre à jour les « logiques de compensation » entre ces trois instances de socialisation juvénile que sont l’école, la famille et la rue. L’auteur s’appuie principalement sur une enquête de type monographique réalisée entre 2001 et 2007 dans une cité de Villiers-sur-Marne, où l’auteur a grandi, travaillé et milité. Sans avoir la prétention d’en restituer la richesse analytique et ethnographique, je voudrais revenir sur les caractéristiques socio-territoriales dans lequel s’inscrivent les bandes étudiées, les apports réels de connaissance que constituent les chapitres sur l’école et la famille, avant de discuter davantage les analyses centrées sur les logiques des bandes." Intégral :http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-sociologie-des-bandes.html
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22/12/2011
La marche lente des glaciers de Marie Rouanet
Je pensais lire quelque chose sur le Pôle Nord et ses paradis blancs et me suis retrouvée du côté de Béziers. Un voyage qui en vaut également la peine. L'extrait :
Avant que ma mère ne soit malade, quand elle était encore à avoir une vie, lorsque j’arrivais, elle passait la tête à la porte de la cuisine. Juste la tête. Le corps restait dans son domaine. En sécurité déjà. C’est ainsi que je la trouvais en passant le seuil. Elle me regardait par-dessus ses lunettes, disait :"Ah ! c’est toi !" et souriait. Je me demandais ce qu’elle s’attendait à trouver sur son seuil pour être aussi soulagée en disant "Ah ! c’est toi !" Sûrement quelque chose d’effrayant. En hiver, je trouvais la porte verrouillée. Elle demandait : "Qui est là ?" d’un air inquiet et en riant je répondais : "L’assassin."
Souvent j’avais repensé à cela quand elle s’était mise à avoir peur des autres et regardait les passants, tous connus, mais désormais tous suspects et tramant des complots. Jusqu’à mon père auquel elle jetait des regards méfiants en lui disant méchamment : "Vieux renard, va !" Lorsque je l’obligeais à sortir, le jardin, la rue lui étaient insupportables. Elle gémissait à mon bras, voulait rentrer. "Tu promènes une épave", protestait-elle. Elle était pourtant jolie, avec ses petits cheveux blonds encore, son foulard rose, son œil clair. Pour qui savait, bien sûr, tout sentait la débandade : ce manteau bleu marine dont le grand soleil faisait apparaître la vieille couleur pâlie et les bordures râpées, et surtout ce regard traqué. […]
Nous avancions vers une maison dont le portail reste ouvert pour permettre aux passants de se recueillir devant une grotte de Lourdes construite en rocaille au fond du jardin. "Entrons", disait-elle. Elle voulait réciter la prière qu’elle appelait "de Laeticia". Laeticia était aussi pieuse que Léontine, l’autre amie de ma mère, qui habitait plus loin et qui, beaucoup plus jeune, participait à de nombreuses activités paroissiales et associatives. Laeticia l’avait peu à peu remplacée. C’est elle qui donnait à ma mère de petits objets bénits : des pétales de rose de sainte Rita, des grains de riz nacrés de Saint Antoine, des pétales des lis du mois de Marie venus de son jardin de Corse. La feuille de lis était jaune, translucide comme un parchemin, et on y lisait à livre ouvert les veines et veinules de la sève, en orange foncé ; les pétales de roses avaient gardé leur velouté, leur couleur pourpre ; la seule différence avec la rose fraîche était la raideur et la fragilité. Tout cela, plié dans des papiers que l’on disait "de soie", où ma mère avait inscrit la provenance, était conservé dans une de ces boîtes qu’elle mettait de côté pour leur joliesse et leur solidité. Une, en particulier, qui avait contenu un parfum aux violettes de Toulouse, sucré, évoquant les joues ridées à peau fine, fine et tachée sur le jeu des vaisseaux sanguins. Dans cette même boîte ma mère gardait la fameuse prière "Sainte Vierge, au milieu de vos jours glorieux, n’oubliez pas les misères de la terre…".
C’est celle-là qu’elle voulait dire quand nous nous promenions du côté de la grotte de Lourdes, mais elle ne la savait plus. Alors je commençais et la suite sortait de ses lèvres : "ayez pitié de l’isolement du coeur". Longtemps cette phrase l’avait émue au point de casser sa voix et de faire venir les larmes à ses yeux. Elle comprenait la solitude des solitaires et peut-être soupçonnait-elle qu’elle pourrait être un jour la sienne quand, dans le dernier bout de route, elle se retrouverait, pauvre parmi les pauvres, sans plus rien de ces douces choses sans valeur marchande qui pourtant lui furent arrachées : le matin frais et la rose ouverte, la conversation sous le tilleul, une partie de rire avec ses filles, un après-midi en ville. Plus rien, à part peut-être le fil de la prière dite du bout des lèvres devant cette rocaille honorée de fleurs simplettes par les passants : "Ayez pitié de ceux qui prient, de ceux qui tremblent, de ceux qui ne cessent de tremper leurs lèvres aux amertumes de la vie."
P. 53 ; 55-56 Marie Rouanet La marche lente des glaciers
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