22/09/2014
Paul Féval et la nature humaine
La perception de Paul Féval quant à la nature humaine ne doit pas l'incliner à l'optimisme.... l'homme est souvent un animal antipathique dans ses récits mais il y a lieu d'espérer car il dévoile à ses lecteurs des cœurs humains exceptionnels ... si bien que son feuilleton pourrait s'intituler, au regard de quelques personnages, Lumière, chaleur, et... beauté ? de cette beauté que donnent alors la chaleur et la lumière. J'ai lu avec attention le passage où Échalot et Similor, (le premier, papa adoptif du bébé Saladin, le deuxième, père biologique de ce dernier) en viennent aux mains et combattent, pour l'un d'eux, à mort. Des deux facettes de Don Quichotte celle de l'impulsif Similor aurait pu l'emporter, n'ait été l'intervention de Maman Léo qui n'eut qu'à attraper par la peau du cou le père biologique pour régler en un tour de main, à la faveur d'une poigne exceptionnelle, une affaire qui était mal partie pour Échalot. Echalot et Maman Léo apportent un peu de cette chaleur que j'ai mentionnée, dans un monde d'abrutis ou de prisonniers misérables se sentant acculés à servir les commanditaires d'homicides en raison de la condition qu'ils subissent, sans que cela soit une justification. Nous descendons dans les profondeurs abyssales avec, par exemple, M. Constant et ses co-équipiers du crime qui ne tarderont pas à s'entretuer pour décrocher le pactole, on le devine, vu la logique infernale et ahurissante dans laquelle ils se laissent prendre. Ce M. Constant, alors qu'il s'apprête à tendre à deux tourtereaux le piège fatal de la célébration de leur mariage, organisée par ses soins et ceux de ses complices dans le but d'en profiter pour les trucider l'un et l'autre du fait "tout simplement" qu'ils sont des témoins gênants, s'adresse à sa victime en ces termes :
— Votre petit voyage d'hier ne vous a pas trop fatiguée. Écoutez, c'est trop drôle, vous vous cachez du docteur et des autres, le docteur et les autres se cachent de nous, et tout le monde sait à quoi s'en tenir. Il n'y a pas de danger qu'on vous trahisse, allez ! ma chère demoiselle, vous êtes bien trop aimée pour cela, et ça me fait plaisir de penser que c'est moi qui vous ai amené cette brave femme, maman Samayoux, dont la présence vous a autant dire ressuscitée.
— Je vous en suis reconnaissante, prononça tout bas Valentine.
— Je n'en sais trop rien, répliqua M. Constant, je n'oserais pas dire comme le colonel : "Drôle de fillette !" mais il est sûr que vous ne ressemblez pas aux autres demoiselles. Enfin, n'importe ! on vous aime comme ça, et il n'y a pas jusqu'à ce dogue de Roblot qui ne vous lèche les mains comme un caniche. Voici mon ordonnance : plus de remèdes, levez-vous quand vous voudrez, mangez ce que vous voudrez, et quand vous aurez la clef des champs, souvenez-vous un petit peu d'un pauvre apprenti médecin qui s'est mis en quatre de tout son cœur pour vous être agréable.
C'étaient là de ces choses qui entretenaient vaguement l'espoir de Valentine. Les gens qui l'entouraient semblaient réellement ne point jouer au plus fin avec elle.
Mais, d'un autre côté, le danger, qui était sa vie même depuis quelque temps, avait développé en elle une finesse extraordinaire de perception intellectuelle.
Les chasseurs du désert voient et entendent, dit-on, à des distances incroyables ; on avait beau faire la nuit plus profonde autour de Valentine et pousser l'art de tromper jusqu'aux suprêmes limites de la perfection, elle devinait, laissant son va-tout sur table, et prête à choisir entre les mille probabilités contraires la chance unique que son courage, avec l'aide de Dieu, pouvait lui rendre profitable.
Vers trois heures de l'après-midi, Mme la marquise d'Ornans, émue et bien triste, vint lui dire qu'il était temps de se préparer.
La marquise la trouva habillée pour un voyage, bien plus que pour une noce, et demi-couchée sur son canapé où elle songeait.
— Depuis six semaines, je n'ai pas dormi une nuit tranquille ; pense donc à ce qui nous est arrivé, ma pauvre enfant ! dieu merci, te voilà bien mieux, tu es calme, ton intelligence est revenue mais sommes-nous donc pour cela au bout de nos peines ?
Valentine baissa les yeux ; il y avait une réponse navrante dans l'amertume de son sourire.
Mais Mme d'Ornans ne pouvait comprendre ce silence ; elle poursuivit :
— Maintenant que tu raisonnes, tu dois te rendre compte de bien des choses : j'ai accepté une lourde responsabilité en consentant à ce mariage. Mon excuse est dans la tendresse sans borne que j'ai pour toi, chérie ; il fallait que ce malheureux jeune homme fût sauvé, puisque tu serais morte de sa mort ; toute autre considération s'est effacée à mes yeux. Je pensais à vous deux jour et nuit, et je me suis dit : " Quand Maurice sera délivré, il quittera la France, elle voudra le suivre et tout ce qu'elle veut il faut que je le veuille ; mon devoir est à tout le moins de régulariser autant que possible cette situation..."
Paul Féval
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21/09/2014
L'Épi scié
L'Épi scié, c'est le nom d'un estaminet dans le roman de Paul Féval Maman Léo. Quatre conjurés comme l'on disait au siècle dernier "de la haute", avec l'accent titi dans les films des années 30, quatre conjurés de la dite couche sociale, entrent à L'Épi scié, par une porte spéciale :
"Ces quatre hommes, cependant, n'allaient point jouer la poule, car ils passèrent franc devant les rideaux de cotonnade rouge qui masquaient la porte vitrée du café borgne, et continuèrent de suivre la ruelle dans le coude qu'elle faisait sur la gauche.
Tout de suite après le coude, il y avait une porte basse, donnant accès dans une allée plus noire qu'un four. Ce fut dans cette allée que nos quatre compagnons disparurent, en hommes qui connaissent les localités."
Description de l'estaminet (qu'on pourrait aussi appeler bouge) et de sa population :
" Pendant cela, il se faisait joyeux tapage dans la salle basse de l'Épi scié, où les habitués étaient nombreux.
La reine Lampion, rouge et rogue, sommeillait à son comptoir, auprès d'un grand verre vide et troublé par l'eau-de-vie sucrée.
Autour du billard à blouses dont le tapis luisant comme une toile cirée avait quelques taches de plus que lors de notre dernière visite, les joueurs étaient en belle humeur."
Ici Paul Féval va faire une description de caractères physiques et moraux de personnages qui composent la faune de l'estaminet, dont certains et même à peu près tous sont de potentiels tueurs à gages. Je retiens pour le blog le caractère de Similor, qui travaille le jour chez Maman Léo (la veuve Samayoux) et qui est le papa biologique de Saladin, alors qu'Échalot en est le père adoptif :
" Similor remonta le lambeau qui lui servait de cravate et mouilla son doigt pour lisser ses cheveux.
— Ce n'est pas mon habitude dit-il, de fréquenter la basse classe, mais par suite de circonstances et pour utiliser dans le malheur des brevets, acquis lorsque je fréquentais une autre catégorie d'artistes, Port-Saint-Martin, Opéra et autres, j'ai pu abaisser mon orgueil jusqu'à un théâtre en plein vent. Il n'y a pas de sot métier, mais on ne s'affectionne qu'avec les gens de son propre rang, et la veuve Samayoux ne m'étant de rien, je dévoilerai ses mystères avec plaisir.
Certes Échalot était une douce créature, mais s'il avait entendu son Pylade parler ainsi, il y aurait eu une tête cassée, et pour le coup Saladin aurait été orphelin."
Les deux papas de Saladin ont quelque chose de Don Quichotte ; Échalot avec l'amour éperdu qu'il éprouve pour sa Dulcinée la veuve Samayoux et Similor par sa façon de s'adresser de très haut à la faune de L'Épi scié, dont il fait partie. Échalot a le côté humain de Don Quichotte et Similor son côté antipathique. Chez Cerventès, Don Quichotte est issu d'une bourgeoisie aisée, les Don Quichotte de Paul Féval viennent du peuple. Trouvera-t-on des Sancho Pança parmi la noblesse ? Compte tenu que Paul Féval était un chouan dans l'âme, pas de façon directe je pense, de plus que Sancho possède la verve du parler populaire auquel la noblesse accède difficilement, et ce langage de Sancho est très nature en même temps qu'il est décoiffant de vraie drôlerie et non dépourvu d'élégance souvent, et même parfois, paradoxalement en apparence, d'un maniérisme joué pour déjouer celui de Don Quichotte . En tout cas tout ça m'intéresse.... bé oui les amis, je n'attends pas d'adhérer aux opinions politiques d'un écrivain pour le lire, sinon je ne lirais plus grand-chose.
Blogs lus ce matin, celui de Solko qui parle du fameux tandem politique que nous avons ces temps-ci : Nicolas Sarkozy/François Hollande (Solko est sur HautetFort) , ensuite : Les Songes d'une nuit où après le cliché quelque peu cliché, cliché cliché, du couple parfait et de sa ligne directive, se trouve une vidéo que je vais visionner dès que possible, d'un professeur analysant avec amour les écrits de Jean Jacques Rousseau : http://lessongesdunenuit.hautetfort.com/
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20/09/2014
Un extrait de Maman Léo
J'ai fait les exercices indiqués par Chrystelle Herbeaux Del Pino, j'en avais besoin, des douleurs se faisant sentir au niveau de la nuque et des épaules ce matin... l'automne ces petits soucis reviennent avec la baisse des températures quoique hier il faisait chaud ; la rivière juste derrière la maison y est aussi un peu pour quelque chose à mon avis. Toujours est-il que ces exercices m'ont permis de réchauffer les zones douloureuses, il reste quelques résidus de douleurs, mais moindres, alors, grand merci Chrystelle Del Pino. Du coup je peux vous mettre un extrait de Maman Léo de Paul Féval. L'auteur a parfois une tournure d'esprit que je ne saisis pas très bien j'avoue, mais au final je considère qu'il est quand même un excellent témoin d'une époque, d'un certain Paris fantastique. Un extrait :
" ... mais nous l'avons dit bien souvent, au fond de cette pauvre bohême de la foire où Mme veuve Samayoux tenait un rang considérable, les légendes du crime sont connues et en quelque sorte honorées comme pouvaient l'être chez les païens les légendes de la mythologie.
Ces sombres poèmes du crime impossible courent non seulement les établissements forains, mais encore toutes les mansardes et toutes les masures d'où sort le public qui fait vivre la foire.
Dans les veillées de ces campagnes bizarres qui sont dans Paris, mais qui sont en même temps si loin et si fort au-dessous de Paris, il y a des bardes comme en Irlande, des improvisateurs comme à Naples, des troubadours comme il y en avait dans toute l'Europe au Moyen Age.
Et de même que les bardes chantent l'épée, les trouvères la lance, c'est toujours le couteau qui est au fond de la sauvage Iliade des rhapsodes de la misère.
En Basse-Bretagne, vous pouvez parler des korigans sans expliquer le mot, des âmes-doubles, et par tout le pays scandinave des elfes et des goblins ; sous le règne de Louis-Philippe, dans aucun hallier de la forêt parisienne, on ne vous aurait fait répéter deux fois le nom des Habits Noirs.
Chacun savait ce que cette alliance de mots voulait dire, chacun du moins croyait le savoir, car il y avait ici de nombreuses variantes comme dans toutes les mythologies.
Mais au-dessus des variantes une chose surnageait, qui était le fond de la superstition populaire : chacun croyait à une sorte de franc-maçonnerie, constituée selon l'échelle même de la société humaine, c'est-à-dire ayant sa noblesse, sa bourgeoisie, son peuple.
Chacun croyait que les soldats de cette fantastique armée étaient innombrables, que les officiers en étaient nombreux, et que les généraux s'asseyaient, paisibles, aux plus hauts sommets de nos inégalités sociales, abrités qu'ils étaient contre les clairvoyances de la loi par je ne sais quel nuage magique.
Voilà pourquoi Valentine, s'adressant à maman Léo, avait parlé des Habits Noirs sans souligner l'expression et avec la certitude d'être comprise.
[...] Les Habits Noirs ! les hommes de la puissance inconnue et du crime éternellement impuni ! Les Habits Noirs, ces fantômes homicides que tant de récits à faire peur lui avaient montrés rôdant parmi le silence des nuits parisiennes !
Elle avait vu les Habits Noirs ! elle était dans la maison des Habits Noirs !
La foi est une étrange chose ! il est certain qu'on peut croire et ne pas croire en même temps, puisque les plus crédules sont stupéfaits souvent quand ils se trouvent, à l'improviste, en face de l'objet de leur crédulité.
En descendant l'escalier qui menait de la chambre occupée par Valentine au salon de Dr Samuel, maman Léo se disait :
— M. Constant en est, et ça ne m'étonne pas, car il a une figure qui ressemble à un masque, mais ces vieux messieurs qui ont l'air si respectable ! un colonel ! un prince ! et que penser de Mme la marquise elle-même ? car Fleurette a beau dire, qui se ressemble s'assemble et je me méfie de tout le monde ici !
Elle essayait de se faire une règle de conduite ; mais tout tournait dans son cerveau.
Et voyez le trait de caractère ! à un certain moment, ne sachant à quel saint se vouer, elle eut l'idée de s'adresser à la justice.
Mais ce fut pour elle le symptôme du découragement poussé jusqu'à la folie ; elle haussa les épaules avec colère et se dit :
— Puisque je patauge comme cela, nous sommes donc perdus tout à fait !
Car ils ne croient pas à la justice, et de lugubres exceptions que leur ignorance érige en règles leur font craindre les juges.
Quand ils regardent en haut, le bien leur échappe, ils ne voient que le mal grandir outre mesure.
C'est la vengeance des vaincus.
On doit leur savoir gré peut-être de ne pas écraser sous le poids de leur multitude cette infime minorité d'heureux à laquelle ils attribuent, faussement il est vrai, l'incurable maladie de leur misère.
Paul Féval
Vous voyez, le début de l'extrait est sublime mais la fin, selon moi, tombe à plat. C'est comme cela, je trouve que le meilleur et le beaucoup moins bon se côtoient dans les écrits de Paul Féval, assez paradoxal, si j'en juge à cet extrait car cette croyance aux Habits Noirs n'est pas le signe d'une société très juste où le peuple ne serait pas un tantinet martyrisé. Mais ma curiosité à l'égard de l'auteur subsiste... il y a de nombreux bons morceaux et c'est du boulot !
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