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07/01/2014

La veillée

Début de soirée avec le roman Monsieur Ouine de Bernanos dont j'ai continué la lecture, j'en étais arrivée au moment où Steeny a quitté Guillaume. Sur la route Ginette dite "Jambe de laine" l'interpelle et lui confie un message à transmettre à Monsieur Ouine, une sorte de menace déguisée peut-être.

 Les choses commencent à devenir plus claires pour moi à partir du paragraphe suivant, qui débute ainsi :

 

"Ils ont porté le petit cadavre dans la salle de la mairie, sur la table hâtivement dépouillée de son tapis vert. A droite le garde champêtre a rangé les deux souliers, face à face, et qui ont l'air de se faire signe l'un à l'autre, de leurs semelles tordues. C'est tout. Un charretier des Croules, un ivrogne, l'a trouvé ce matin par hasard, juste au ras de l'étang, sous les ronces, nu. "le courant l'a déshabillé pour sûr, un fameux courant ! L'eau bouillait autour comme de la bière." Mais au premier coup d'œil il a reconnu le valet des Malicorne, un gamin bien honnête, pas vicieux. Tonnerre ! Sa pauvre tête n'était qu'une boule de vase et de cailloux. "Je l'aurai cru décapité, c'pauvre fieux !" dit-il."

 Bernanos annonce la mort terrible de cet enfant puis s'en écarte, parle du maire, en dresse un portrait  inquiétant. Le personnage est ainsi présenté au lecteur cette fois, tant et si  bien que le petit mort passe presque à la trappe, mais Bernanos revient à lui par cette scène très cinématographique : "Antoine, un peu de tenue que diable ! Respect au mort." Il s'agit du vieux garde champêtre qui dort et ronfle  à côté du petit cadavre et que le maire vient d'interpeler. Va bientôt s'ensuivre un dialogue entre le médecin très mondain et  émoustillé par l'événement et le maire, préoccupé de lui-même et de son sort avant tout. Indifférence totale  pour le destin tragique du gamin de la part des protagonistes.  Ginette dite "Jambe de laine" arrive quelques minutes plus tard, tenant serré un petit paquet avec les vêtements du mort.  Ginette est une sorte de grand oiseau déboussolé, qui tente vainement de dire sa détresse, personne ne la prend au sérieux, elle est considérée comme folle,  une folle qui de plus accuse maintenant formellement Monsieur Ouine, (homme qui, lui, est respecté au village), d'avoir tué l'enfant. L'humanité arrive cependant enfin par cette "folle", la seule à compatir pour le gamin.

Je renoue avec le grand Bernanos. Mais c'est assez pour ce soir.

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Regards biaisés de George Sand sur la société

Il y a des considérations sur la société française, de la part de Bénédict telles que l'on pourrait les prendre comme résultant de l'état d'esprit d'un contemporain. Malgré les catastrophes qui sont arrivées dans l'intervalle. C'est surprenant. Cet extrait que je présente en quelques lignes : Louise, qui comme sa sœur  Valentine et Athénaïs (la cousine de Bénédict) aime Bénédict, tente en vain de convaincre celui-ci de renoncer à l'amour qu'il éprouve pour Valentine, et d'aimer  Athénaïs envers laquelle elle se sent des devoirs ; Selon Louise les sentiments de Bénédict pour Valentine ne sont que chimères qui le rongeront jusqu'à le rendre inapte, "bon à rien". La réponse de Bénédict :



"— (...) Dans l'état de la société, le meilleur résultat possible de l'éducation qu'on nous donne serait de retourner volontairement à l'état d'abrutissement d'où l'on s'efforce de nous tirer durant vingt ans de notre vie. Mais écoutez Louise, ne faites pas pour moi de ces rêves chimériques que vous me reprochez. C'est vous qui m'invitez à dépenser mon énergie en fumée, quand vous me dites de travailler pour être un homme comme les autres, de consacrer ma jeunesse, mes veilles, mes plus belles heures de bonheur et de poésie, à gagner de quoi mourir de vieillesse commodément, les pieds dans la fourrure et la tête sur un coussin de duvet. Voilà pourtant le but de tous ceux que l'on appelle de bons sujets à mon âge, et des hommes positifs à quarante ans. Dieu les bénisse ! Laissez-les aspirer de tous leurs efforts à ce but sublime : être électeurs du grand collège, ou conseillers municipaux,  ou secrétaires de préfecture. Qu'ils engraissent des bœufs et maigrissent des chevaux à courir les foires ; qu'ils se fassent valets de cour ou valets de basse-cour, esclaves d'un ministre ou d'un lot de moutons, préfets à la livrée d'or ou marchands de porcs à la ceinture doublée de pistoles ; et qu'après toute une vie de sueur, de maquignonnage, de platitude ou de grossièreté, ils laissent le fruit de tant de peines à une fille entretenue, intrigante cosmopolite, ou servante joufflue du Berri, par le moyen de leur testament ou par l'intermédiaire de leurs héritiers pressés de jouir de la vie : voilà la vie positive qui se déroule dans toute sa splendeur autour de moi ! voilà la glorieuse condition d'homme vers laquelle aspirent tous mes contemporains d'étude. Franchement, Louise, croyez-vous que j'abandonne là une bien belle et bien glorieuse existence ?

— Vous savez vous-même, Bénédict, combien il serait facile de rétorquer cette hyperbolique satire. Aussi je n'en prendrai pas la peine ; je veux vous demander simplement ce que vous comptez faire de cette ardente activité qui vous dévore, et si votre conscience ne vous prescrit pas d'en faire un emploi utile à la société ?

— Ma conscience ne me prescrit rien de semblable. La société n'a pas besoin de ceux qui n'ont pas besoin d'elle. Je conçois la puissance de ce grand mot sur des peuples nouveaux, sur une terre vierge qu'un petit nombre d'hommes, rassemblés d'hier, s'efforcent de fertiliser et de faire servir à leurs besoins ; alors si la colonisation est volontaire, je méprise celui qui viendra s'engraisser impunément du travail des autres. Je puis concevoir le civisme chez les nations libres ou vertueuses, s'il en existe. Mais ici, sur le sol de France, où, quoi qu'on en dise, la terre manque de bras, où chaque profession regorge d'aspirants, où l'espèce humaine, hideusement agglomérée autour des palais, rampe et lèche la trace des pas du riche, où d'énormes capitaux, rassemblés (selon toutes les lois de la richesse sociale) dans les mains de quelques hommes, servent d'enjeu à une continuelle loterie entre l'avarice, l'immoralité et l'ineptie, dans ce pays d'impudeur et de misère, de vice et de désolation ; dans cette civilisation pourrie jusqu'à sa racine, vous voulez que je sois citoyen ? que je sacrifie ma volonté, mon inclination, ma fantaisie, à ses besoins pour être sa dupe ou sa victime, pour que le denier que j'aurais jeté au mendiant aille tomber dans la caisse du millionnaire ? Il faudra que je m'essouffle à faire du bien afin de produire un peu plus de mal, afin de fournir mon contingent aux administrations qui patentent les mouchards, les croupiers et les prostituées ? Non, sur ma vie ! Je ne le ferai pas. je ne veux rien être dans cette belle France, la plus éclairée des nations. (...)"

George Sand



J'en suis là de cette lecture de Valentine. Accès facile je disais hier dans ma note, ce qui n'empêche pas la profondeur d'analyse en tous genres. J'avoue ma surprise quant à la tournure qu'elle fait prendre à ses personnages ; elle en réserve sûrement d'autres (après avoir mis dans la bouche de Bénédict que sa cousine était une "bourgeoise frelatée", de quelles autres secousses  petites ou grandes va-t-elle encore agiter ses lecteurs ?)

  

10:26 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

06/01/2014

note de lecture

l'expérience de passer d'un univers d'écriture à un autre est intéressante. En l'occurrence pour moi : de l'écriture de George Sand dans Valentine à celle de Bernanos dans Monsieur Ouine.

George Sand est assez facile d'accès. Je suis arrivée au moment où Valentine découvre, un peu interdite, ce qu'amour signifie à son âge. Jeune comtesse enviant la vie simple des paysans, elle tombe amoureuse d'un fils de fermier qui s'éduque à travers ses études, Bénédict. Il est en passe de s'embourgeoiser dans le but de défendre sa cause de pauvre, et est quasiment fiancé d'office  à la fille de son oncle bienfaiteur ; cousine qui, voulant elle aussi dépasser sa condition ne réussit qu'à porter, au yeux de son fiancé et peut-être de George Sand aussi,  tous les stigmates d'un certain snobisme. La cousine brode au lieu de s'occuper de la ferme, accomplit des travaux que George Sand juge comme étant ridiculement précieux tandis que la jeune comtesse en visite chez eux attrape les poules, se réjouissant elle-même et à raison de son amour de la vie simple. Elle a toute la sympathie de George Sand mais le sujet qu'aborde l'auteur  présente des pièges à mon sens. La cousine aux allures de parvenue est bien fragile, vulnérable du fait même de son amour sincère et perdu d'avance pour Bénédict dont le lecteur comprend qu'il est difficile de se faire aimer quand on n'est pas une "comtesse amoureuse de la vie simple." Je suis loin d'avoir terminé la lecture de ce roman. Reconnaissance en tout cas pour George Sand qui emmène ses lecteurs dans ce temps où personne ne se presse, dans ces paysages qu'aucune autoroute ou nationale n'ont réduit en puzzle difficile à reconstituer à cause des chemins coupés, mis en impasse, des lieux séparés en différents morceaux par les tronçons de bitume, et qui racontaient dans leur intégrité une histoire. Nous sommes à la lisière du modernisme au 19è siècle, le témoignage de Sand sur la nature est précieux comme une eau de source d'autant qu'elle en parle avec génie.



Monsieur Ouine est plus difficile à lire. J'ai le sentiment que Bernanos convie son lecteur à se faire un tantinet devin. Le seul indice quand il bascule au cœur d'une autre scène sont les petits points qui barrent la page, mais ils ne vous aident pas tant que cela puisque vous y débarquez quand même à l'improviste, surprenant une conversation saugrenue, presque comme un cheveu sur la soupe. Bernanos introduit un personnage sans les présentations d'usages. Le lecteur a donc l'air de surprendre à un moment une conversation difficilement compréhensible entre un nouveau protagoniste et le personnage que vous connaissez à peine, Steeny en l'occurrence, mais dont l'auteur ne vous dit pas tout de suite pourquoi d'un coup il se trouve là, à s'entretenir avec l'enfant infirme ou plutôt le jeune adulte infirme. Puis voilà qu'il vous plonge abruptement dans la généalogie brumeuse de celui-ci. Et moi de me demander quoi et qu'est-ce, j'ai cru que j'avais sauté par inadvertance deux pages. Voyant que ce n'était pas le cas, j'ai ressenti un découragement certain. Pourquoi par exemple Steeny que nous trouvions aimable tient-il des propos de blaireau envers la malheureuse "Jambe de laine" dont il reprend le surnom injurieux quand il parle d'elle. Puis à un autre moment dans la conversation décousue (pour le lecteur) il déclare, en colère  "Je ne veux pas être libre". J'ai persévéré, amis bloggers, bien que toujours dans l'incompréhension, laissons décanter, à moins que le hasard ne vienne à notre secours pour quelque explication utile. J'ai néanmoins saisi, c'est toujours ça, les événements dans leur suite. Steeny reste malgré tout relativement obscur pour moi il faut l'avouer, quant à monsieur Ouine je me suis demandé s'il n'était pas une allégorie de la France pour Bernanos. Monsieur Ouine, ingrat comme personne, dénigre les gens qui l'ont accueilli chez eux. Revenons à Steeny qui lui, parle parfois en adulte, parfois en enfant. Tout cela interroge notamment la mystique de Bernanos. Laborieux cheminement s'il en est au pays dépaysant et des paysans d'Artois. Ouine est-il cause de tout dans l'état où se trouvent les gens là-bas, qu'ils soient bourgeois, nobles ou simples villageois ? Ou y a-t-il un Ouine en chacun de soi, un Ouine (comme par hasard intellectuel et professeur de langues) qu'il faut combattre à toute force pour rester ou redevenir humains. Je n'ai pas tout compris de Bernanos, vous l'aurez constaté, je ne vous donnerai donc pas la réponse. Toujours est-il que cet auteur n'est pas de tout repos, un compliment pour lui, vu son écriture à en décourager plus d'un.          

        

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