05/01/2014
Monsieur Ouine
Pour l'instant je n'ai pas encore vu l'ombre du museau de Monsieur Ouine. J'en suis aux premières pages de ce roman de Bernanos. Je n'ai pas abandonné pour autant celui de George Sand Valentine. D'un livre à l'autre je m'aperçois que Sand décrit à merveille, à petites touches quand Bernanos suggère, n'introduit pas d'emblée son lecteur dans le décor, celui-ci ne comprend que petit à petit la géographie des lieux où l'auteur l'emmène. Pas de comparaison possible, mais il se trouve que j'ai retrouvé une sensation de lecture assez proche avec Nathalie Sarraute et Samuel Beckett, due sans doute aux "procédés" d'écriture des auteurs mais cela ne semble pas calculé chez eux.
Le roman Monsieur Ouine débute par un gros plan : des mains qui entourent un petit visage, des yeux, l'émotion d'un petit garçon, à quoi répond celle d'un personnage qui entre en scène par la voix, il s'agit d'une femme qui accourt mais dont on ne sait pas d'où elle sort, elle se tient derrière la persienne d'où le petit garçon a sans doute crié. Le lecteur saisit alors que l'enfant se trouve dans sa chambre avec sa mère qu'il a appelée parce qu'une scène vue à travers les volets, entre sa mère et sa compagne censée être une dame de compagnie, l'a choqué ou révolté. Le sexe reste dans le non dit. Plus loin une scène étrange est décrite cette fois qui laisse supposer que le petit garçon est victime d'attouchements de la part de la dame de compagnie, mais comme Bénédict dans Valentine, le lecteur peut douter, à savoir s'il a bien compris le sens de la scène du fait que l'auteur le laisse se débrouiller tout seul avec elle à la manière d'un Samuel Beckett. Bernanos, contrairement à la marquise de Valentine est tout sauf grivois. Il est pudique. Le lecteur donc, est introduit par Bernanos, dans l'ambiance, d'abord, que sécrètent les personnages qui vont accepter ou pas qu'il les suivent. C'est le sentiment que donne Bernanos.
Je pense avoir lu Monsieur Ouine il y a longtemps de cela mais comme je n'étais pas prête pour cette lecture à l'époque, les personnages ne m'ont pas retenue plus que ça, je les avais à peine entrevus.
10:01 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)
04/01/2014
Monsieur Ouine au lieu de Le Glaude, du Bombé et de La Denrée
Je n'ai pas trouvé René Fallet à la bibliothèque municipale de Béthune, pourtant il a écrit pas mal de livres qui seraient assez connus. Patrick me voyant déçue me dit "tu l'trouves pas ?" sous entendu : René Fallet puis il dirige son index vers un pavé et commente, consolateur : "Regarde, il y a plein de bouquins de Bernanos, là." "Là", c'était le rayon d'en face. Il déloge le pavé de la rangée de livres et me le tend. Bernanos en effet.
Les orientations politiques ne définissent pas un homme comme cet auteur qui a tellement crié contre son camp. Il s'en est retrouvé à la fin je pense en situation d'électron libre, si l'on peut dire.
Préface de Michel del Castillo
"Comme Céline, comme tant d'autres, Bernanos a surgi des tranchées de 14. Rescapé de cette boucherie, il contemple le monde avec des yeux dessillés. Fils de paysans, pétri de la boue d'Artois, il a vécu, avec horreur et fierté, une guerre de paysans enterrés vivants. Quand il se lève de cet ossuaire, il fixe sur les années folles le regard d'un revenant. Était-ce ça, le sens de ce sacrifice qui a ravagé le pays ? (...)
"Tous ses romans portent la marque de ce dégoût. Ils proviennent de cette révolte initiale. Ils vomissent la même abjection. (...) Ses curés diront l'impuissance, la solitude, et, surtout, l'échec. Ils balbutieront des propos incohérents, exhiberont leur balourdise, montreront leur grossièreté de paysans mal dégrossis. Sous leur allure fruste, ces prêtres oubliés dans d'obscures paroisses sont aussi des visionnaires. Ils déchiffrent, non les apparences, mais le for le plus intérieur. Ils rencontrent Satan, devisent avec lui, cheminent à ses côtés. Des illuminations les déchirent. Ils tentent de dire l'inexprimable et ils ne parviennent qu'à susciter la risée de leurs paroissiens, l'inquiétude de leurs supérieurs, l'indignation de la hiérarchie. Ils ne servent à rien, strictement, sauf à déranger l'ordre du monde. (...) Des trois vertus théologales, l'une, la foi, vacille ; la charité s'use en vain ; ne reste que l'espérance, qui porte le grand chant bernanosien, d'un bout à l'autre de sa vie."
Michel del Castillo
21:56 Publié dans Lecture, Note | Lien permanent | Commentaires (0)
Bénédict et Valentine
Bénédict est le fils adoptif d'un paysan qui a recueilli le rejeton de son frère sans le sou. L'oncle donc, chérit Bénédict comme son propre enfant, prend grand soin de lui, jusqu'à lui faire faire des études à Paris. L'action du roman doit se situer après l'époque Napoléonienne ; des fils de paysan étudiant à Paris hors contexte séminariste, c'est assez rare encore à cette époque où la noblesse a repris du poil de la bête. Bénédict connaît la musique, chante à merveille, sait accorder un piano et est attiré par l'innocente Valentine de Raimbault touchée de son côté par la personnalité du jeune homme et son charme certain (elle l'a entendu chanter aux abords de la forêt lorsqu'elle errait sur un sentier un soir de fête où elle avait perdu sa route tel le Grand Meaulnes.)
À la faveur de ces divers éléments et grâce aux ruses de Valentine pour que sa mère reçoive convenablement une personne qui a passé des heures à réparer son piano, Bénédict, le fils de paysan est reçu à la table familiale et non pas envoyé à l'office pour boire une boisson fraîche avant de décaniller comme la comtesse l'avait initialement prévu. L'extrait se rapporte au repas auquel a assisté Bénédict :
"Le repas fut court mais enjoué. On passa ensuite sous la charmille pour prendre le café. La marquise était toujours d’assez bonne humeur en sortant de table. De son temps, quelques jeunes femmes dont on tolérait la légèreté en faveur de leur grâces, et peut-être aussi de la diversion que leurs inconvenances apportaient à l’ennui d’une société oisive et blasée, se faisaient fanfaronnes de mauvais ton ; à certains visages l’air mauvais sujet allait bien. Mme de Provence était le noyau d’une coterie féminine qui sablait fort bien le champagne. Un siècle auparavant, Madame, belle-sœur de Louis XIV, bonne et grave Allemande qui n’aimait que les saucisses à l’ail et la soupe à la bière, admirait chez les dames de la cour de France, et surtout chez Mme la duchesse de Berry, la faculté de boire beaucoup sans qu’il y parût, et de supporter à merveille le vin de Constance et le marasquin de Hongrie.
La marquise était gaie au dessert. Elle racontait avec cette aisance, ce naturel propre aux gens qui ont vu beaucoup de monde, et qui leur tient lieu d’esprit. Bénédict l’écouta avec surprise. Elle lui parlait une langue qu’il croyait étrangère à sa classe et à son sexe. Elle se servait de mots crus qui ne choquaient pas, tant elle les disait d’un air simple et sans façon. Elle racontait aussi des histoires avec une merveilleuse lucidité de mémoire et une admirable présence d’esprit pour en sauver les situations graveleuses à l’oreille de Valentine. Bénédict levait quelquefois les yeux sur elle avec effroi, et, à l’air paisible de la pauvre enfant, il voyait si clairement qu’elle n’avait pas compris, qu’il se demandait s’il avait compris lui-même, si son imagination n’avait pas été au-delà du vrai sens. Enfin il était confondu étourdi de tant d’usage avec tant de démoralisation, d’un tel mépris des principes joint à un tel respect des convenances. Le monde que la marquise lui peignait était devant lui comme un rêve auquel il refusait de croire.
Ils restèrent assez longtemps sous la charmille. Ensuite Bénédict essaya le piano et chanta. Enfin, il se retira assez tard, tout surpris de son intimité avec Valentine, tout ému sans en savoir la cause, mais emplissant son cerveau avec délices de l’image de cette belle et bonne fille, qu’il était impossible de ne pas aimer."
George Sand Valentine
19:42 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)