31/12/2013
deuxième extrait de Valentine, roman de George Sand. Et plus encore
Les sœurs, Valentine et Louise, se retrouvent par l'entremise de Bénédict, une connaissance commune. Après les premières effusions, le dialogue entre les sœurs se poursuit :
"— Et nous ne nous séparerons plus n'est-ce pas ? s'écria Louise ; nous trouverons le moyen de nous revoir souvent, de nous écrire. Tu ne te laisseras pas effrayer par les menaces ; nous ne redeviendrons jamais étrangères l'une à l'autre ?
— Est-ce que nous l'avons jamais été ? répondit-elle ; Est-ce que cela est au pouvoir de quelqu'un ? Tu me connais bien mal Louise si tu crois que l'on pourra te bannir de mon cœur quand on ne l'a pas pu même dès les premiers jours de ma faible enfance. Mais, sois tranquille, nos maux sont finis. Dans un mois je serai mariée ; j'épouse un homme doux, sensible, raisonnable, à qui j'ai parlé de toi souvent, qui approuve ma tendresse, et qui me permettra de vivre auprès de toi. Alors, Louise, tu n'auras plus de chagrin, n'est-ce pas ? tu oublieras tes malheurs en les répandant dans mon sein. Tu élèveras mes enfants si j'ai le bonheur d'être mère ; nous croirons revivre en eux... Je sècherai toutes tes larmes, je consacrerai ma vie à réparer toutes les souffrances de la tienne.
— Sublime enfant, cœur d'ange ! dit Louise en pleurant de joie ; ce jour les efface toutes. Va, je ne me plaindrai pas du sort qui m'a donné un tel instant de joie ineffable ! N'as-tu pas adouci déjà pour moi les années d'exil ? Tiens, vois ! dit-elle en prenant sous son chevet un petit paquet soigneusement enveloppé d'un carré de velours, reconnais-tu ces quatre lettres ? C'est toi qui me les a écrites à diverses époques de notre séparation. J'étais en Italie quand j'ai reçu celle-ci ; tu n'avais pas dix ans.
— [...] Avec combien de peine et de précautions je parvins à me procurer une allumette, un flambeau, et tout ce qu'il fallait pour écrire, sans faire de bruit, sans éveiller ma surveillante ! [...] O Louise ! je vous dois peut-être de n'avoir pas un mauvais cœur ; on a tâché de dessécher le mien de bonne heure ; on a tout fait pour éteindre le germe de ma sensibilité ; mais votre image chérie, vos tendres caresses, votre bonté pour moi, avaient laissé dans ma mémoire des traces ineffaçables. Vos lettres vinrent réveiller en moi le sentiment de reconnaissance que vous y aviez laissé ; ces quatre lettres marquèrent quatre épisodes bien sentis dans ma vie ; chacune d'elles m'inspira plus fortement la volonté d'être bonne, la haine de l'intolérance, le mépris des préjugés, et j'ose dire que chacune d'elles marqua un progrès dans mon existence morale. Louise, ma sœur, c'est vous qui réellement m'avez élevée jusqu'à ce jour.
— Tu es un ange de candeur et de vertu ! s'écria Louise ; c'est moi qui devrais être à tes genoux...
— Eh ! vite, cria la voix de Bénédict au bas de l'escalier, séparez-vous ! Mademoiselle de Raimbault, M. de Lansac vous cherche."
Quel bienfait que de se ressourcer à la lecture de quelques mots de George Sand. Je vous propose maintenant la lecture d'un texte en prise directe avec une actualité dont personne ne parle ou si peu, lisez attentivement s'il vous plaît la note de cette courageuse bloggeuse et d'avance merci à vous : http://associationhoflandt.hautetfort.com/
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30/12/2013
Un extrait du roman Valentine, de George Sand
"À mesure que l’on avançait dans la vallée, la route devenait plus étroite. Bientôt, il fut impossible à Valentine de la côtoyer parallèlement à la voiture. Elle se tint quelque temps par derrière ; mais comme les inégalités de terrain forçaient souvent le cocher à retenir brusquement ses chevaux, celui de Valentine s’effarouchait chaque fois que la voiture s’arrêtait presque sur son poitrail. Elle profita donc d’un endroit où le fossé disparaissait pour passer devant, et alors elle galopa beaucoup plus agréablement, n’étant gênée par aucune appréhension, et laissant à son vigoureux et noble cheval toute la liberté de ses mouvements.
Le temps était délicieux ; la lune, n’étant pas levée, laissait encore le chemin enseveli sous ses obscurs ombrages ; de temps en temps, un ver luisant chatoyait dans l’herbe, un lézard rampait dans le buisson, un sphinx bourdonnait sur une fleur humide. Une brise tiède s’était levée toute chargée de l’odeur de vanille qui s’exhale des champs de fèves en fleur. La jeune Valentine, élevée tour à tour par sa sœur bannie, par sa mère orgueilleuse, par les religieuses de son couvent, par sa grand-mère étourdie et jeune, n’avait été définitivement élevée par personne. Elle s’était faite elle-même ce qu’elle était, et, faute de trouver des sympathies bien réelles dans sa famille, elle avait pris le goût de l’étude et de la rêverie. Son esprit, naturellement calme, son jugement sain, l’avaient également préservée des erreurs de la société et de celles de la solitude. Livrée à des pensées douces et pures comme son cœur, elle savourait le bien-être de cette soirée de mai si pleine de chastes voluptés pour une âme poétique et jeune. Peut-être aussi songeait-elle à son fiancé, à cet homme qui, le premier, lui avait témoigné de la confiance et du respect, choses si douces à un cœur qui s’estime et qui n’a pas encore été compris. Valentine ne rêvait pas la passion ; elle ne partageait pas l’empressement altier des jeunes cerveaux qui la regardent comme un besoin impérieux de leur organisation. Plus modeste, Valentine ne se croyait pas destinée à ces énergiques et violentes épreuves. Elle se pliait facilement à la réserve dont le monde lui faisait un devoir ; elle l’acceptait comme un bienfait et non comme une loi. Elle se promettait d’échapper à ces inclinations ardentes qui faisaient sous ses yeux le malheur des autres ; à l’amour du luxe, auquel sa grand-mère sacrifiait toute dignité ; à l’ambition, dont les espérances déçues torturaient sa mère ; à l’amour, qui avait si cruellement égaré sa sœur. Cette dernière pensée amena une larme au bord de sa paupière. C’était là le seul événement de la vie de Valentine ; mais il l’avait remplie ; il avait influé sur son caractère, il lui avait donné à la fois de la timidité et de la hardiesse : de la timidité pour elle-même, de la hardiesse quand il s’agissait de sa sœur. Elle n’avait, il est vrai, jamais pu lui prouver le dévouement courageux dont elle se sentait animée ; jamais le nom de sa sœur n’avait été prononcé par sa mère devant elle ; jamais on ne lui avait fourni une seule occasion de la servir et de la défendre. Son désir en était d’autant plus vif, et cette sorte de tendresse passionnée, qu’elle nourrissait pour une personne dont l’image se présentait à elle à travers les vagues souvenirs de l’enfance, était réellement la seule affection romanesque qui eût trouvé place dans son âme.
L'espèce d’agitation que cette amitié comprimée avait mise dans son existence s’était exaltée encore depuis quelques jours. Un bruit vague s’était répandu dans le pays que sa sœur avait été vue à huit lieues de là, dans une ville où jadis elle avait demeuré provisoirement pendant quelques mois. Cette fois, elle n’y avait passé qu’une nuit et ne s’était pas nommée ; mais les gens de l’auberge assuraient l’avoir reconnue. Ce bruit était arrivé jusqu’au château de Raimbault, situé à l’autre extrémité de la Vallée Noire. Un domestique, empressé de faire sa cour, était venu faire ce rapport à la comtesse. Le hasard voulut que, dans ce moment, Valentine, occupé à travailler dans une pièce voisine, entendit sa mère élever la voix, prononcer un nom qui la fit tressaillir. Alors, incapable de maîtriser son inquiétude et sa curiosité, elle prêta l’oreille et pénétra le secret de la conférence. Cet incident s’était passé la veille du premier mai ; et maintenant, Valentine, émue et troublée, se demandait si cette nouvelle était vraisemblable, et s’il n’était pas bien possible que l’on se fût trompé en croyant reconnaître une personne exilée du pays depuis quinze ans.
En le livrant à ces réflexions, Mlle de Raimbault, légèrement emportée par son cheval, qu’elle ne songeait point à ralentir, avait pris une avance assez considérable sur la calèche. Lorsque la pensée lui en vint, elle s’arrêta, et, ne pouvant rien distinguer dans l’obscurité, elle se pencha pour écouter ; mais, soit que le bruit des roues fût amorti par l’herbe longue et humide qui croissait dans le chemin, soit que la respiration haute et pressée de son cheval, impatient de cette pause, empêchât un son lointain de parvenir jusqu’à elle, son oreille ne put rien saisir dans le silence solennel de la nuit. Elle retourna aussitôt sur ses pas, jugeant qu’elle s’était fort éloignée, et s’arrêta de nouveau pour écouter, après avoir fait un temps de galop sans rencontrer personne.
Elle n’entendit encore cette fois que le chant du grillon qui s’éveillait au lever de la lune, et les aboiements lointains de quelques chiens."
George Sand Romans 1830 Éd. Omnibus
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29/12/2013
Un petit bout
Petits bouts de ceci, de cela, le grignotage a du bon. Aujourd'hui je vous propose un "bout" de la présentation par Marie-Madeleine Fragonard de l'œuvre de George Sand.
L'extrait :
"Revenons aux années 1830. Il y eut en huit ans — de 1831 à 1838 — beaucoup plus de romans que d'amants. Les trois premiers romans ont fait de George Sand à la fois un auteur à succès, un symbole de la lutte féministe, et l'avatar féminin des grands désespérés romantiques. Des cancaniers de son temps à son biographe André Maurois inclus, on cherchera dans "l'impuissance" de son héroïne Lélia le secret de sa vie. Comme si le roman ne pouvait être que la vie, le cri d'un être, dès lors qu'il s'agissait des romans d'une femme et de destins féminins. Elle n'était pourtant pas la première, ni la seule, et l'influence de ses lectures se fait sentir au fil des pages : l'exotisme d'Indiana doit beaucoup aux Amériques de Chateaubriand et aux îles de Bernardin de Saint-Pierre ; le type d'impuissance (absence de désir vital) de Lélia l'apparente à l'Oberman de Senancour et emprunte des discours à Nodier (qui ne passe pas alors pour l'aimable auteur des Contes).
Sand possède une culture de jeunesse qu'on aurait tort de sous-estimer pour lui prêter une spontanéité inculte : dès sa sortie du couvent, elle a dévoré la bibliothèque grand-paternelle, les philosophes du XVIIIe siècle et les auteurs classiques, les poètes modernes, beaucoup de Rousseau, de Chateaubriand et de Byron par lequel elle est fascinée. D'une certaine façon aussi, tous ses amis, Berrichons de la Châtre compris, sont des sources de savoir : elle leur emprunte au passage leurs centres d'intérêt, médecine (Grandsagne) ou botanique, minéralogie et archéologie. Que dire de la richesse intellectuelle de ses amis parisiens qui ont pour nom Sainte-Beuve, Balzac, Delacroix, Lamennais, Franz Liszt et, plus tard, Proudhon et les socialistes de 1848."
J'ai terminé la lecture d'Indiana. L'amour d'Indiana pour Ramon est semblable à celui de madame Bovary, le suicide rôde... je ne commenterai pas la fin pour ceux qui n'ont pas lu Indiana. Il y a parallèlement à la "petite histoire", la grande, qui ne fait pas que décorum ; aussi des coups d'œil incisifs de l'écrivain sur des évènements politiques de son époque (elle a été journaliste). Je pense qu'elle a beaucoup observé les caractères de personnages bien réels qui participaient de la politique de son temps et en a tiré l'inspiration pour camper notamment le personnage de Ramon dans ce roman.
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