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22/12/2011

La marche lente des glaciers de Marie Rouanet

Je pensais lire quelque chose sur le Pôle Nord et ses paradis blancs et me suis retrouvée du côté de Béziers. Un voyage qui en vaut également la peine. L'extrait :

Avant que ma mère ne soit malade, quand elle était encore à avoir une vie, lorsque j’arrivais, elle passait la tête à la porte de la cuisine. Juste la tête. Le corps restait dans son domaine. En sécurité déjà. C’est ainsi que je la trouvais en passant le seuil. Elle me regardait par-dessus ses lunettes, disait :"Ah ! c’est toi !" et souriait. Je me demandais ce qu’elle s’attendait à trouver sur son seuil pour être aussi soulagée en disant "Ah ! c’est toi !" Sûrement quelque chose d’effrayant. En hiver, je trouvais la porte verrouillée. Elle demandait : "Qui est là ?" d’un air inquiet et en riant je répondais : "L’assassin."

Souvent j’avais repensé à cela quand elle s’était mise à avoir peur des autres et regardait les passants, tous connus, mais désormais tous suspects et tramant des complots. Jusqu’à mon père auquel elle jetait des regards méfiants en lui disant méchamment : "Vieux renard, va !" Lorsque je l’obligeais à sortir, le jardin, la rue lui étaient insupportables. Elle gémissait à mon bras, voulait rentrer. "Tu promènes une épave", protestait-elle. Elle était pourtant jolie, avec ses petits cheveux blonds encore, son foulard rose, son œil clair. Pour qui savait, bien sûr, tout sentait la débandade : ce manteau bleu marine dont le grand soleil faisait apparaître la vieille couleur pâlie et les bordures râpées, et surtout ce regard traqué. […]

Nous avancions vers une maison dont le portail reste ouvert pour permettre aux passants de se recueillir devant une grotte de Lourdes construite en rocaille au fond du jardin. "Entrons", disait-elle. Elle voulait réciter la prière qu’elle appelait "de Laeticia". Laeticia était aussi pieuse que Léontine, l’autre amie de ma mère, qui habitait plus loin et qui, beaucoup plus jeune, participait à de nombreuses activités paroissiales et associatives. Laeticia l’avait peu à peu remplacée. C’est elle qui donnait à ma mère de petits objets bénits : des pétales de rose de sainte Rita, des grains de riz nacrés de Saint Antoine, des pétales des lis du mois de Marie venus de son jardin de Corse. La feuille de lis était jaune, translucide comme un parchemin, et on y lisait à livre ouvert les veines et veinules de la sève, en orange foncé ; les pétales de roses avaient gardé leur velouté, leur couleur pourpre ; la seule différence avec la rose fraîche était la raideur et la fragilité. Tout cela, plié dans des papiers que l’on disait "de soie", où ma mère avait inscrit la provenance, était conservé dans une de ces boîtes qu’elle mettait de côté pour leur joliesse et leur solidité. Une, en particulier, qui avait contenu un parfum aux violettes de Toulouse, sucré, évoquant les joues ridées à peau fine, fine et tachée sur le jeu des vaisseaux sanguins. Dans cette même boîte ma mère gardait la fameuse prière "Sainte Vierge, au milieu de vos jours glorieux, n’oubliez pas les misères de la terre…".

C’est celle-là qu’elle voulait dire quand nous nous promenions du côté de la grotte de Lourdes, mais elle ne la savait plus. Alors je commençais et la suite sortait de ses lèvres : "ayez pitié de l’isolement du coeur". Longtemps cette phrase l’avait émue au point de casser sa voix et de faire venir les larmes à ses yeux. Elle comprenait la solitude des solitaires et peut-être soupçonnait-elle qu’elle pourrait être un jour la sienne quand, dans le dernier bout de route, elle se retrouverait, pauvre parmi les pauvres, sans plus rien de ces douces choses sans valeur marchande qui pourtant lui furent arrachées : le matin frais et la rose ouverte, la conversation sous le tilleul, une partie de rire avec ses filles, un après-midi en ville. Plus rien, à part peut-être le fil de la prière dite du bout des lèvres devant cette rocaille honorée de fleurs simplettes par les passants : "Ayez pitié de ceux qui prient, de ceux qui tremblent, de ceux qui ne cessent de tremper leurs lèvres aux amertumes de la vie." 

 P. 53 ; 55-56 Marie Rouanet La marche lente des glaciers  

 

 

  

 

04:22 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

21/12/2011

Extrait de La Coupe d'Or de John Steinbeck

La Coupe d’Or, un livre de John Steinbeck. Henry Morgan, adolescent d’une quinzaine d’années natif du pays de Galles, rêve de voyage. Ni le trouble dans lequel une jeune fille de son village le jette ni l’affection que lui vouent ses parents, bien que partagée, mais dont il veut s’affranchir pour réaliser ses rêves, ni même le vieux barde Merlin, ne réussiront à retenir Henry qui décide de s’en aller pour les Antilles. À la faveur d’une rencontre providentielle avec le marin Tim, il réussit à embarquer sur le même bateau que son protecteur après que celui-ci eut parlé au capitaine. Henry, en fait berné, se prend pour une nouvelle recrue. L’extrait :

"De petites pirogues s’approchèrent du navire, chargées de fruits magnifiques et de tas de volailles troussées. Les indigènes venaient pour vendre leurs denrées, et pour acheter ou voler ce que contenait le bateau. Des Noirs à la peau luisante chantaient des chants bien rythmés en tirant sur leurs avirons, et Henry, appuyé contre la lisse, débordait de bonheur en contemplant cette terre nouvelle, plus splendide qu’il ne l’avait espéré. Des larmes de joie lui emplirent les yeux.

Tim, debout près de lui, avait l’air triste et abattu. Finalement, il se posta devant le jeune homme et dit :

«  Ça me ronge de faire du tort à un gars qui m’a payé un bon déjeuner. Ça me ronge tellement que je n’en dors plus.

— Mais tu ne m’as fait aucun tort, s’écria Henry. Tu m’as amené aux Antilles où j’avais tant envie d’aller.

— Ah ! Reprit le quartier-maître, si seulement j’avais de la religion, comme le capitaine, je pourrais dire : « C’est la volonté de Dieu », et ne plus y penser. Si j’avais un métier ou une situation importante, je pourrais dire : « Il faut vivre… » Mais tout ce que j’ai de religion consiste à marmonner un Ave Maria ou un Miserere Domine au cours d’une tempête. Et pour ce qui est de ma situation, je ne suis qu’un pauvre marin de Cork. Ah, oui ! Ça me ronge de faire du tort à un gars qui m’a payé un bon déjeuner. »

Il regardait venir une longue pirogue à bord de laquelle ramaient six vigoureux Caraïbes. À l’arrière était assis un Anglais de petite taille, à l’air inquiet, dont le visage, au lieu de se hâler au soleil, n’avait cessé de s’empourprer au cours des années, si bien que ses veines minuscules semblaient courir à l’extérieur de la peau. Ses yeux pâles exprimaient une perplexité et une indécision perpétuelles. Son embarcation heurta le flanc du navire ; il monta lentement à bord, et alla droit au capitaine.

« Le voilà ! S’écria Tim. Tu n’auras pas une trop mauvaise opinion de moi, n’est-ce pas, Henry ? vu le chagrin que ça me cause ?

— Hé, moussaillon ! Hé, Morgan ! Arrive ici, à l’arrière ! » cria le capitaine.

Henry alla rejoindre les deux hommes. À sa grande stupeur, le petit Anglais lui tâta doucement les bras et les épaules, puis déclara :

« J’irai jusqu’à dix livres.

— Douze ! fit le capitaine.

— Croyez-vous qu’il les vaille ? Voyez-vous, je ne suis pas riche, et il me semble que dix…

— Ma foi, je vous le cède pour onze, mais, aussi vrai que Dieu me voit, il vaut plus que cela. Regardez-moi ce large dos, ces muscles durs. Celui-ci ne mourra pas comme tant d’autres. Non, monsieur, il vaut beaucoup plus, mais je vous le cède pour onze.

— Allons, je veux bien vous croire », dit le planteur d’un ton hésitant. Sur ce, il tira de sa poche des pièces de monnaie mêlées à des bouts de ficelle, des morceaux de craie, un fragment de plume d’oie, et une clé brisée.

Pendant ce temps, le capitaine montrait à son mousse un contrat de travail de cinq ans, portant le nom Henry Morgan soigneusement calligraphié, et le sceau du roi de Grande-Bretagne.

« Mais je ne veux pas être vendu !, s’exclama le jeune homme. Je ne suis pas venu ici pour être vendu. Je veux devenir marin et faire fortune.

— Tu le pourras dans cinq ans, dit le capitaine avec bonté comme s’il lui accordait une permission. Pour l’instant, suis ce monsieur sans faire de scène. Crois-tu que je pourrais utiliser mon bateau uniquement à transporter des gamins désireux d’aller aux Antilles ? Travaille bien, aie confiance en Dieu, et cette expérience te sera profitable. »

Il poussa doucement Henry devant lui, et le pauvre garçon retrouva enfin sa voix :

«  Tim ! S’écria-t-il. Tim, viens à mon secours ! On veut me vendre ! Oh ! Tim, viens vite, je t ’en supplie ! »

Il n’y eut pas de réponse : quand Tim entendit cet appel, il se mit à sangloter dans son hamac, tel un enfant qui vient de recevoir le fouet.

En franchissant le bastingage, un peu en avant de son nouveau maître, Henry n’éprouvait aucun sentiment précis. Il avait la gorge un peu serrée ; mais, cela mis à part, il était en proie à une immense et morne torpeur."

P. 88 à 90 La Coupe d’Or John Steinbeck

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17/12/2011

Mon éléphant m'attend

Tout le monde ne peut pas faire de cadeaux à tirelarigot, en veux-tu en voilà, même en période de Noël devenue depuis des décennies synonyme d'hyper consommation. Nen déplaise aux producteurs de jouets, bijoux et autres joujoux, tout ce barnum débouche forcément sur des choses pas très équitables. Une maman se désolait à la radio de ne pouvoir offrir à sa fille quun malheureux bracelet en plastique, à titre dexemple. Daucuns assaisonnèrent ce père Noël à deux vitesses de drôles dépithètes en raison de ce manque patent de délicatesse pour les pauvres, se résumant essentiellement à ce penchant atavique du deux poids deux mesures. Papa Noël, néanmoins, lorsqu’il fait les cents pas sur le trottoir n’a pas même besoin de héler le passant, les gens s’agglutinent autour de lui comme des abeilles autour d’une ruche et par miracle il s’en sort toujours sain et sauf. Cette année, sur fond dactualité très lourde, de guerres larvées ou déclarées ça et là dans le monde, la surconsommation me paraît plus injuste que dordinaire. Jai donc décidé de recycler quelques rouleaux de papier cadeaux en cadeaux de papier, et me suis remémorée, à l’aide de quelques livres, des pliages ; notamment, celui des singes de la sagesse, du paon, de la cigogne, de loie sauvage, du hibou, du petit plateau rond dans lequel je vais placer un lumignon en verre teinté. Je compte faire encore des pliages d’éléphants , de flamands roses… l’origami rend heureux, on oublie le temps. Mon éléphant m’attend, salut !

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