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21/12/2011

Extrait de La Coupe d'Or de John Steinbeck

La Coupe d’Or, un livre de John Steinbeck. Henry Morgan, adolescent d’une quinzaine d’années natif du pays de Galles, rêve de voyage. Ni le trouble dans lequel une jeune fille de son village le jette ni l’affection que lui vouent ses parents, bien que partagée, mais dont il veut s’affranchir pour réaliser ses rêves, ni même le vieux barde Merlin, ne réussiront à retenir Henry qui décide de s’en aller pour les Antilles. À la faveur d’une rencontre providentielle avec le marin Tim, il réussit à embarquer sur le même bateau que son protecteur après que celui-ci eut parlé au capitaine. Henry, en fait berné, se prend pour une nouvelle recrue. L’extrait :

"De petites pirogues s’approchèrent du navire, chargées de fruits magnifiques et de tas de volailles troussées. Les indigènes venaient pour vendre leurs denrées, et pour acheter ou voler ce que contenait le bateau. Des Noirs à la peau luisante chantaient des chants bien rythmés en tirant sur leurs avirons, et Henry, appuyé contre la lisse, débordait de bonheur en contemplant cette terre nouvelle, plus splendide qu’il ne l’avait espéré. Des larmes de joie lui emplirent les yeux.

Tim, debout près de lui, avait l’air triste et abattu. Finalement, il se posta devant le jeune homme et dit :

«  Ça me ronge de faire du tort à un gars qui m’a payé un bon déjeuner. Ça me ronge tellement que je n’en dors plus.

— Mais tu ne m’as fait aucun tort, s’écria Henry. Tu m’as amené aux Antilles où j’avais tant envie d’aller.

— Ah ! Reprit le quartier-maître, si seulement j’avais de la religion, comme le capitaine, je pourrais dire : « C’est la volonté de Dieu », et ne plus y penser. Si j’avais un métier ou une situation importante, je pourrais dire : « Il faut vivre… » Mais tout ce que j’ai de religion consiste à marmonner un Ave Maria ou un Miserere Domine au cours d’une tempête. Et pour ce qui est de ma situation, je ne suis qu’un pauvre marin de Cork. Ah, oui ! Ça me ronge de faire du tort à un gars qui m’a payé un bon déjeuner. »

Il regardait venir une longue pirogue à bord de laquelle ramaient six vigoureux Caraïbes. À l’arrière était assis un Anglais de petite taille, à l’air inquiet, dont le visage, au lieu de se hâler au soleil, n’avait cessé de s’empourprer au cours des années, si bien que ses veines minuscules semblaient courir à l’extérieur de la peau. Ses yeux pâles exprimaient une perplexité et une indécision perpétuelles. Son embarcation heurta le flanc du navire ; il monta lentement à bord, et alla droit au capitaine.

« Le voilà ! S’écria Tim. Tu n’auras pas une trop mauvaise opinion de moi, n’est-ce pas, Henry ? vu le chagrin que ça me cause ?

— Hé, moussaillon ! Hé, Morgan ! Arrive ici, à l’arrière ! » cria le capitaine.

Henry alla rejoindre les deux hommes. À sa grande stupeur, le petit Anglais lui tâta doucement les bras et les épaules, puis déclara :

« J’irai jusqu’à dix livres.

— Douze ! fit le capitaine.

— Croyez-vous qu’il les vaille ? Voyez-vous, je ne suis pas riche, et il me semble que dix…

— Ma foi, je vous le cède pour onze, mais, aussi vrai que Dieu me voit, il vaut plus que cela. Regardez-moi ce large dos, ces muscles durs. Celui-ci ne mourra pas comme tant d’autres. Non, monsieur, il vaut beaucoup plus, mais je vous le cède pour onze.

— Allons, je veux bien vous croire », dit le planteur d’un ton hésitant. Sur ce, il tira de sa poche des pièces de monnaie mêlées à des bouts de ficelle, des morceaux de craie, un fragment de plume d’oie, et une clé brisée.

Pendant ce temps, le capitaine montrait à son mousse un contrat de travail de cinq ans, portant le nom Henry Morgan soigneusement calligraphié, et le sceau du roi de Grande-Bretagne.

« Mais je ne veux pas être vendu !, s’exclama le jeune homme. Je ne suis pas venu ici pour être vendu. Je veux devenir marin et faire fortune.

— Tu le pourras dans cinq ans, dit le capitaine avec bonté comme s’il lui accordait une permission. Pour l’instant, suis ce monsieur sans faire de scène. Crois-tu que je pourrais utiliser mon bateau uniquement à transporter des gamins désireux d’aller aux Antilles ? Travaille bien, aie confiance en Dieu, et cette expérience te sera profitable. »

Il poussa doucement Henry devant lui, et le pauvre garçon retrouva enfin sa voix :

«  Tim ! S’écria-t-il. Tim, viens à mon secours ! On veut me vendre ! Oh ! Tim, viens vite, je t ’en supplie ! »

Il n’y eut pas de réponse : quand Tim entendit cet appel, il se mit à sangloter dans son hamac, tel un enfant qui vient de recevoir le fouet.

En franchissant le bastingage, un peu en avant de son nouveau maître, Henry n’éprouvait aucun sentiment précis. Il avait la gorge un peu serrée ; mais, cela mis à part, il était en proie à une immense et morne torpeur."

P. 88 à 90 La Coupe d’Or John Steinbeck

09:14 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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