20/07/2013
Préambule - Jean Cocteau
Préambule
A force de vouloir être
Dans cette solitude où
De n’être rien les autres craignent
A force d’oublier de vivre
Traqué par la peur d’un esclandre
Évitant que n’importe quel
Joyeux drille ne s’aperçoive
De mon effort d’être je n’ose
Ni manger ni boire ni
M’attabler au bord de leurs danses
A force de vivre sous
L’uniforme mal connu
D’une légion étrangère
A force de me donner l’air
De n’avoir pas l’air à force
De m’engluer dans mes pièges
A force de me dire s’ils veulent
Voir mes papiers je suis perdu
Bref à force de feindre
D’être des leurs moi le voleur
Aux semelles de silence
A force de donner le change
Et pour l’ombre d’un bossu
Avoir pris celle des anges
Et d’alourdir mon scaphandre
D’Œuvres de plus en plus suspectes
A la barque des beaux rameurs
A force de suivre les ombres
De fantômes sans châteaux
Styx sur tes désertes rives
Sans avoir vécu je meurs.
Le Requiem, éd. Gallimard
15:51 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Chant dans le vent - Marie Noel
A Yves-Gérard Le Dantec
Le vent emporte au loin sa fille qui pleure,
Le vent va la cacher loin dans son pays,
Le vent que la terre et le ciel ont trahi
Fuit sans terre ni ciel, fuit vers sa demeure.
Il fuit parmi les collines effrayées,
Par les blés tourmentés, les seigles… Il fuit…
En vain la petite église agenouillée
Sur les chaumes se voue à prier pour lui.
Il fuit les prés, l’étang, la lande, il s’enfonce
Dans la grande mélancolie au long soir
Où nul n’est entré derrière les bois noirs,
Où se perd l’écho sans donner de réponse.
Il fuit où ne sait plus personne. C’est là,
Quelque part dans une angoisse qu’il traverse,
C’est là que tout bas, plaintivement, il berce
Sa fille qui va mourir du mal qu’elle a.
C’est là que d’une haleine pas entendue,
Il caresse, il chante avec un cri fermé,
Il endort à mi-voix sa fille perdue
Dont le chagrin jamais ne sera calmé.
…………………………………………………........
Mais voici des chasseurs entre les feuillages.
Pour chercher le nid du vent ils sont partis.
Ils sont montés haut sur le plateau sauvage
Où meurt le sentier qui n’a plus de petits.
Il veulent aller prendre en la solitude
Le secret du pays âpre, mais le vent
Farouche, le vent, de toutes ses mains rudes,
Leur barre l’espace autour de son enfant.
Il oppose à leur marche ses mains hurlantes,
Il retourne leur route, il dresse contre eux
Un mur désespéré d’ailes violentes,
Part, au loin s’appelle et revient plus nombreux.
Il pousse les bois sur eux, il fonce, crie,
Leur jette aux yeux les ifs, les buissons de houx,
Il refoule avec les branches en furie
Leurs aventureux visages à grands coups.
Et leur chemin aveugle perd pied, chavire…
Le vent fuit… Il emporte à travers le temps
Sa fille dans son manteau qui se déchire,
Sa Douleur chérie où le soir pleure tant.
Il fuit, épars, il fuit… Nul ne le retrouve,
Nul n’arrive jamais au nid qu’il défend,
Où loin de la terre et loin du ciel il couve
Sous un soupir la longue mort de son enfant.
………………………………………………….....
O vent pâle, grand vent de mon pays triste,
Veux-tu pas en pleurant m’aller prendre aussi
Comme un petit oiseau sans nom qui n’existe
Que très peu dans un silence loin d’ici ?
Veux-tu pas m’aller cacher ? Je suis en fuite.
Je chantais dans un bois noir, mais le sentier
Des chasseurs s’est mis soudain à ma poursuite.
Il s prétendent me voir le cœur tout entier.
Ils veulent s’emparer du nid de mon âme.
Mais nul ne le trouvera — peut-être un seul —
Ils entendront la pie en l’air qui réclame
Beaucoup de place autour des tilleuls.
Ils s’égaieront par là de chansons et d’autres,
Mais nul n’atteindra le lointain battement
De celle qui n’a pas de frère, la nôtre,
Celle douce entre les douces tristement.
Celle qui tremble trop pour être entendue,
Si tendre qu’un seul, qui ce soir remuerait
Le feuillage où palpitante elle s’est tue,
D’un regard, d’un seul à peine, la tuerait.
…………………………………………………...
C’est ma petite fille qu’on m’a brisée,
Que le sanglot du vent me rapporte ici,
Celle qui n’est ce soir jamais apaisée
Et qu’en vain je calme en mon cœur obscurci.
Ah ! Ne laisse plus personne approcher d’elle,
Vent sauvage ! Attends qu’elle ait un peu dormi.
Plus personne… Entoure-la de sombres ailes…
Plus personne, ô vent, surtout pas un ami.
Ne laisse plus personne rompre ce somme
Où se plaint tant d’ombres, où tant de rêve a peur…
Ah ! Plus un ami surtout ! Rien n’est lourd comme
Le pas trop léger d'un ami sur le cœur.
Chasse tous les chemins hors de sa détresse,
Et le ciel, et les nuages, mais mon ami,
Lui si doux… écarte-le d’une caresse
Qui loin, loin, repousse… et retient à demi.
Prends-le dans ton souffle et l’implore, et l’entraîne
Par les pays grands pour qu’il ne passe plus,
Plus jamais sur le seuil où j’endors la peine
De ma fille en pleurs qui n’a pas de salut.
Où, pauvre nourrice vaine, je murmure
Sur mon enfant que rien ne peut plus guérir
Un air à voix lasse, entrecoupée, obscure,
Pour aider le temps long qu’elle passe à mourir.
Marie Noel - Œuvre poétique, éd. Stock
06:50 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
19/07/2013
Ce qui importe vraiment
10:05 | Lien permanent | Commentaires (0)