AFFRONTER L’ANIMAL
N’est pas toujours facile
d’affronter l’animal
même s’il vous regarde sans trouble ni haine
il le fait fixement
et semble dédaigner
le fin secret qu’il porte
paraît mieux sentir
l’évidence du monde
celle qui jours et nuits
taraude et blesse à l’âme
dans le bruit, le silence.
(D’après tout, éd. Gallimard)
SUR LES SEUILS
Ceux qui inlassablement regardent
sur les seuils
sans rien faire d’autre
voient frémir l’herbage
l’attente les a durcis
apercevant ceux-là qui s’avancent
sans savoir où aller
ne regrettant pas
le règne des rois
ils ne cherchent pas à se faire meilleurs
ni à tuer
fût-ce l’insecte silencieux
qui gravit leur main.
(D’après tout, éd. Gallimard)
LES ENFANTS
Les enfants jouent au théâtre
jusqu’à l’heure
du souper dans la nuit qui vient
alors les grandes personnes les appellent
le garçon a les yeux si clairs
puis voici celle qui mourra jeune
et celle dont sera seul le corps
tous se lavent les mains dans l’ombre
près des végétaux flamboyants
et sont encore à ce temps
que l’on vit dans l’éternité.
(Territoires, éd. Gallimard)
DES HOMMES
Au milieu d'un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d'autres pleuraient ,
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 40
À propos de Jean Follain :
"Il disait : « Tout fait événement pour qui sais frémir ».
Il nomme, il dénomme précisément, toujours avec une voix presque chuchotée mais avec le mot juste, irréductible, vagabond humble, simple de tous les villages qui sait tous les anciens grimoires, les vieux outils, les anciens rites. Amant « de la secrète beauté », il ne peut concevoir le monde sans les petites choses qui font les humains respectables, leurs peurs, leurs rêves, leurs amours. Il semble cacher des témoignages secrets au fond de ses mots.
Il demeure ce promeneur en poésie qui se souvient de chaque herbe de son enfance :
« alors que dans un champ / de son enfance éternelle / le poète se promène / qui ne veut rien oublier ». (Jean Follain).
Il est à part, il est en nous. Discret, osant à peine se faire une petite place, il est là presque inaperçu.Et ces petits « riens » que sont ses poèmes font de vastes bouffées de souvenance. Il soupesait le poids du monde en touchant, en effleurant les objets, les verrous secrets de l’enfance. L’avenir de sa poésie se cache dans les plis des dits et des non-dits de ses mots, si simples en apparence, mais qui ont su retenir le toit des sentiments. Elle ne se lit pas, elle s’insinue en nous. Pour longtemps.
A-t-il lui aussi tremblé d’exister ?" Gil Pressnitzer