15/08/2007
La beauté
Le conte mis en ligne hier et avant-hier, étudié par Dobrinsky :”Ars longa, vita brevis ? Sans doute. Mais le conte ébauche trois autres réflexions sur les rapports de l’art avec la vie. La première, romantique s’il en fut, est que la souffrance vécue est le ferment de la création. Une seconde idée, tacite dans l’éloge de l’évolution esthétique du prince, est que l’art véritable n’a que faire de l’excès du détail et du décoratif : il doit s’harmoniser, classiquement, aux lignes sobres et grandioses de la nature. Enfin, le thème central que suggère l’ultime coup de théâtre est que la sacralisation de l’art peut dessécher le cœur. Écho tardif d’une célèbre controverse avec Henry James, théoricien d’un art exclusivement attentif à lui-même ? Et/ou méditation de l’homme et de l’auteur au seuil de la soixantaine ?” Dobrinsky
Je ne connais pas la controverse de H.G. Wells avec Henry James, cependant les quelques lignes, ci-dessous, au sujet de James, semblent apporter un démenti au fait qu'il serait resté “un théoricien d'un art exclusivement attentif à lui-même” :
« Henry James commence à Rome l'écriture de son deuxième roman Roderick Hudson, publié à partir de janvier 1875 dans l'Atlantic Monthly, qui inaugure le thème « international » de la confrontations des cultures d'une Europe raffinée et souvent amorale et d'une Amérique plus fruste, mais plus droite. » - Wikipédia
Sur le même thème, un extrait d'un texte trouvé sur le site, dont je vous donne le lien en fin de page :
« Souvenirs d’Antillia » est un conte fantastique : le narrateur, mystérieusement devenu amnésique, relate son aventure au cœur d’un monde insolite, où les hommes, ayant développé une sophistication extrême, sont capables de modeler à leur gré leur apparence physique ou leur genre sexuel. Dans cet étrange pays, fait de cités souterraines et de villes-montagnes, les préoccupations esthétiques et métaphysiques ont depuis longtemps permis de réguler le progrès scientifique, beaucoup mieux en tout cas que dans notre monde contemporain.
La conquête de l’immortalité reste une préoccupation majeure des Antilliens ; mais les scientifiques se divisent sur les moyens d’y parvenir, et les médiums, qui vivent au fond de temples-labyrinthes, sont peut-être les seuls à savoir recoudre le temps déchiré par la mort.
Louis, terrien égaré dans ce monde à la fois si différent et si proche, est jeté au centre du maelström engendré par les âpres rivalités qui opposent les savants ; écartelé entre passé et présent, doutant de son identité même, il retrouvera néanmoins l’espoir grâce à l’amour d’une Antillienne, qui le conduira à se surpasser... »
cliquez ici.
08:05 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (1)
14/08/2007
2ème partie du conte de Wells
"Cet édifice devait être d’une élégance et d’une beauté parfaites, plus merveilleux qu’aucun autre édifice jamais bâti ou susceptible de l’être, si bien que, jusqu’à la fin des temps, il resterait une merveille, et que les hommes le chériraient, en parleraient entre eux, désireraient le voir et viendraient le visiter du monde entier ; et qu’ils se rappelleraient le nom, et garderaient le souvenir de sa reine. Et cet édifice, dit-il, devait être nommé La Perle d’Amour.
Et ses conseillers comme son peuple consentirent à son projet et il en fit ainsi.
Les années se succédèrent et il les consacra toutes à construire et à décorer La Perle d’Amour. D’énormes fondations furent taillées dans la roche vive, dans un site à partir duquel on semblait contempler les déserts neigeux des hautes montagnes à l’autre bout de la vallée du monde. Il y avait là des villages et des coteaux, et une rivière sinueuse, et trois grandes villes dans le lointain. En ce lieu, on déposa le sarcophage d’albâtre d’un travail habile ; et tout autour, on plaça des colonnes d’une belle pierre rare, et des murs ouvragés et sculptés, et un immense reliquaire en maçonnerie, surmonté d’un dôme avec des clochetons et des coupoles, ravissant comme un joyau. Au début, le plan architectural de la Perle d’Amour fut moins hardi et raffiné qu’il le devint plus tard. Au début, l’édifice était plus petit et plus ouvragé et revêtu d’incrustations ; il contenait maints écrans ajourés et maints groupes délicats de colonnes aux teintes roses, et le sarcophage reposait là, comme un enfant dormant parmi les fleurs. Le dôme primitif était recouvert de tuiles vertes dans des cadres d’argent qui les maintenaient ensemble ; mais on enleva ce dôme parce qu’il écrasait l’édifice ; parce qu’il ne s’élançait pas assez superbement vers le ciel pour satisfaire l’imagination du prince, qui s’épanouissait.
Car, à ce stade, il n’était plus le charmant jeune homme amoureux de sa jeune reine. C’était à présent un homme mûr, austère et résolu ne songeant qu’à l’édification de la Perle d’Amour. Chaque année d’effort lui avait enseigné de nouvelles virtualités en matière d’arceaux, de murs, d’arc-boutants ; il avait acquis une plus grande maîtrise des matériaux qu’il devait employer, et il avait appris l’existence de maintes pierres, de multiples teintes et effets architecturaux dont il n’aurait pas eu la moindre idée au début. Son goût pour les couleurs s’était affiné, il préférait les tons plus froids ; il n’aimait plus l’éclat des fils d’or dans l’émail qui lui plaisait au départ, l’éclat d’un missel enluminé. À présent, il recherchait les coloris azurés qui évoquent le ciel, et les teintes délicates des horizons lointains, les ombres mystérieuses et les grandes coulées soudaines d’opalescences violettes ; il visait au grandiose et à l’infini. Il s’était bien lassé des sculptures et des gravures murales, et des incrustations décoratives et de tout le petit travail méticuleux des artisans. « C’étaient de jolies choses », disait-il au sujet de ses ornements antérieurs, et il les faisait reléguer dans des édifices subalternes où ils ne contrarieraient pas son projet principal. Son art devenait de plus en plus remarquable. Les gens étaient frappés d’une crainte révérentielle et d’une stupeur, en voyant La Perle d’Amour prendre son essor majestueux à partir de la première ébauche pour atteindre à une ampleur, une élévation, une magnificence surhumaines. Ils ne savaient pas précisément ce à quoi ils s’étaient attendus, mais jamais ils n’avaient prévu un monument aussi sublime. « L’amour, murmuraient-ils, fait d’admirables miracles », et, dans le monde entier, toutes les femmes, quelles que fussent leurs autres amours, aimaient le prince pour l’éclat de sa ferveur.
L’édifice était traversé en son milieu par un vaste couloir, une échappée de vue, que le prince en vint à apprécier de plus en plus. À partir de l’entrée intérieure du bâtiment, son regard parcourait sur toute sa longueur une immense galerie à piliers, franchissait la zone centrale d’où les colonnes roses avaient disparu depuis longtemps, passait au-dessus du pavillon qui abritait le sarcophage et, par une baie d’une conception ravissante, se portait sur les déserts neigeux de la grande montagne, la reine de toutes les montagnes, à trois cents kilomètres de là. À droite et à gauche, les piliers, les arceaux, les contre-boutants et les galeries s’élançaient vers le ciel et y planaient dans leur perfection discrète, tels de grands archanges qui attendraient dans l’ombre l’apparition de Dieu. En voyant cette austère beauté pour la première fois, un sentiment d’exaltation s’emparait des hommes, puis ils frissonnaient et se prosternaient en leur cœur. Très souvent, le prince venait se planter là, pour contempler cette perspective, profondément ému, mais pas encore pleinement satisfait. Il sentait qu’il lui restait encore quelque chose à faire pour la Perle d’Amour, avant que son œuvre fût achevée. Toujours, il faisait apporter de petites retouches ou revenait sur une retouche récente. Et, un beau jour, il dit que le sarcophage ressortirait plus nettement et plus spontanément en l’absence du pavillon ; et, après l’avoir longtemps fixé des yeux, il fit démonter et enlever celui-ci.
Le lendemain, il vint et resta muet, et le surlendemain et le jour suivant. Enfin, il y retourna en amenant avec lui un architecte et deux maîtres-artisans et une petite suite.
Tous regardèrent en silence, debout ensemble, formant un petit groupe parmi l’immensité sereine de leur chef-d’œuvre. Sa perfection ne conservait aucune trace d’effort. C’était comme si le Dieu créateur de la beauté de la nature avait repris à son compte le fruit de leur labeur.
Une seule chose dissonait dans l’harmonie totale. Le sarcophage introduisait une disproportion certaine. On ne l’avait jamais agrandi et, à vrai dire, comment aurait-on pu le faire depuis les premiers jours ? Il arrêtait le regard ; il brisait par son encoche l’envolée des lignes architecturales. Dans ce sarcophage, se trouvait le cercueil en alliage de plomb et d’argent et, dans ce cercueil, gisait la reine, cause chérie immortelle de toute cette beauté. Mais, à présent, ce sarcophage ne semblait être rien de plus qu’un petit rectangle sombre, déposé là, en désaccord avec l’immense perspective de la Perle d’Amour. C’était comme si quelqu'un avait laissé tomber un petit sac de voyage dans la mer cristalline du ciel.
Longtemps, le prince médita, sans que personne connût les pensées qui lui traversaient l’esprit.
Enfin, il parla. Il montra du doigt le sarcophage.
« Enlevez-moi cet objet », dit-il."
08:25 | Lien permanent | Commentaires (1)
13/08/2007
1ère partie du conte de Wells
"La perle, proclame le moraliste, est plus belle que la plus brillante des pierres cristallines parce qu’elle procède de la souffrance d’un être vivant. Je ne saurais rien dire là-dessus parce que je ne me sens pas du tout attiré par les perles. Leur éclat voilé ne m’émeut pas. Et je ne peux pas me prononcer personnellement sur la controverse séculaire qui porte sur le fait de savoir si « La Perle d’Amour » est le plus cruel des contes ou simplement une charmante fable sur l’immortalité du beau.
Ce conte et cette controverse sont à coup sûr familiers à ceux qui étudient la prose persane médiévale. Le conte est bref, mais les commentaires qu’il a inspirés forment un pan considérable de la littérature de cette époque. On en a rendu compte comme d’une invention poétique et également comme d’une allégorie aux significations diverses. Les théologiens en ont fait ce qu’ils voulaient, prolixes à leur coutume, en s’attachant singulièrement à ce qui touche à la résurrection de la chair ; et les auteurs d’écrits sur l’esthétique s’en sont maintes fois servis en guise de parabole. Enfin, nombreux sont ceux qui l’on tenu pour un récit factuel, une histoire tout bonnement et platement authentique.
L’anecdote est située dans le nord des Indes, terre féconde entre toutes pour accueillir des histoires d’amour sublimes. Il s’agit d’un pays de soleil, avec des lacs, des forêts luxuriantes, des collines et des vallées fertiles, et, dans le lointain, de hautes montagnes, suspendues au ciel, avec leurs pics, leurs crêtes, leurs arêtes sous une neige éternelle inaccessible.
Un jeune prince régnait sur toute cette contrée ; et il trouva une vierge d’une beauté et d’un charme indescriptibles et en fit sa reine et déposa son cœur à ses pieds. Ils connurent l’amour, un amour plein de joies, de douceur et d’espoir, un amour exquis, parfait et merveilleux au-delà de ce que l’on a jamais rêvé sur ce sujet. Ils connurent cet amour tout au long d’une année et d’une partie de l’année suivante puis, subitement, à cause d’une morsure venimeuse qu’elle reçut dans un fourré, la princesse mourut.
Elle mourut et, pendant quelque temps, le prince en fut anéanti. Il restait muet et paralysé de douleur. On craignit qu’il ne se donnât la mort, et il n’avait ni fils ni frère pour lui succéder. Pendant deux jours et deux nuits, il resta sans manger, allongé à plat ventre sur le bas de la couche où reposait le beau corps serein de la morte. Ensuite, il se releva, prit de la nourriture et vaqua à ses occupations très calmement, comme quelqu’un qui a pris une grande résolution. Il fit déposer le corps de la princesse dans un cercueil fait d’un alliage de plomb et d’argent ; et, pour le recevoir, il fit fabriquer un cercueil extérieur avec les bois aromatiques les plus précieux, rehaussés d’or ; enfin, autour de celui-ci, on devait mettre en place un sarcophage d’albâtre, incrusté de pierres précieuses. Pendant qu’on oeuvrait à tout cela, le prince passa le plus clair de son temps près des bassins, ou dans les gloriettes, ou sous les pavillons ou les bosquets du parc, ou dans les pièces du palais, où la princesse et lui avaient le plus souvent vécu ensemble, méditant sombrement sur sa beauté. Il ne déchira pas ses vêtements, ni ne souilla son corps sous le sac et la cendre, selon l’usage, car son amour était trop grand pour lui dicter de telles extravagances. Finalement, il reparut parmi ses conseillers et devant son peuple et leur fit part de ses intentions.
Il leur dit qu’il ne pourrait plus toucher à une femme, ni s’intéresser à leur sexe, et qu’il trouverait donc un jeune homme convenable qu’il puisse adopter en tant que son héritier et préparer à ses fonctions ; et encore, que lui-même remplirait les devoirs de sa charge comme il sied à un prince, mais que, pour le reste, il s’adonnerait de tout son pouvoir, de toute son énergie, en usant de toute sa fortune et de tout son empire, à l’édification d’un monument digne de son incomparable maîtresse disparue, chère à son cœur."
La suite demain !
08:50 | Lien permanent | Commentaires (0)