13/08/2007
1ère partie du conte de Wells
"La perle, proclame le moraliste, est plus belle que la plus brillante des pierres cristallines parce qu’elle procède de la souffrance d’un être vivant. Je ne saurais rien dire là-dessus parce que je ne me sens pas du tout attiré par les perles. Leur éclat voilé ne m’émeut pas. Et je ne peux pas me prononcer personnellement sur la controverse séculaire qui porte sur le fait de savoir si « La Perle d’Amour » est le plus cruel des contes ou simplement une charmante fable sur l’immortalité du beau.
Ce conte et cette controverse sont à coup sûr familiers à ceux qui étudient la prose persane médiévale. Le conte est bref, mais les commentaires qu’il a inspirés forment un pan considérable de la littérature de cette époque. On en a rendu compte comme d’une invention poétique et également comme d’une allégorie aux significations diverses. Les théologiens en ont fait ce qu’ils voulaient, prolixes à leur coutume, en s’attachant singulièrement à ce qui touche à la résurrection de la chair ; et les auteurs d’écrits sur l’esthétique s’en sont maintes fois servis en guise de parabole. Enfin, nombreux sont ceux qui l’on tenu pour un récit factuel, une histoire tout bonnement et platement authentique.
L’anecdote est située dans le nord des Indes, terre féconde entre toutes pour accueillir des histoires d’amour sublimes. Il s’agit d’un pays de soleil, avec des lacs, des forêts luxuriantes, des collines et des vallées fertiles, et, dans le lointain, de hautes montagnes, suspendues au ciel, avec leurs pics, leurs crêtes, leurs arêtes sous une neige éternelle inaccessible.
Un jeune prince régnait sur toute cette contrée ; et il trouva une vierge d’une beauté et d’un charme indescriptibles et en fit sa reine et déposa son cœur à ses pieds. Ils connurent l’amour, un amour plein de joies, de douceur et d’espoir, un amour exquis, parfait et merveilleux au-delà de ce que l’on a jamais rêvé sur ce sujet. Ils connurent cet amour tout au long d’une année et d’une partie de l’année suivante puis, subitement, à cause d’une morsure venimeuse qu’elle reçut dans un fourré, la princesse mourut.
Elle mourut et, pendant quelque temps, le prince en fut anéanti. Il restait muet et paralysé de douleur. On craignit qu’il ne se donnât la mort, et il n’avait ni fils ni frère pour lui succéder. Pendant deux jours et deux nuits, il resta sans manger, allongé à plat ventre sur le bas de la couche où reposait le beau corps serein de la morte. Ensuite, il se releva, prit de la nourriture et vaqua à ses occupations très calmement, comme quelqu’un qui a pris une grande résolution. Il fit déposer le corps de la princesse dans un cercueil fait d’un alliage de plomb et d’argent ; et, pour le recevoir, il fit fabriquer un cercueil extérieur avec les bois aromatiques les plus précieux, rehaussés d’or ; enfin, autour de celui-ci, on devait mettre en place un sarcophage d’albâtre, incrusté de pierres précieuses. Pendant qu’on oeuvrait à tout cela, le prince passa le plus clair de son temps près des bassins, ou dans les gloriettes, ou sous les pavillons ou les bosquets du parc, ou dans les pièces du palais, où la princesse et lui avaient le plus souvent vécu ensemble, méditant sombrement sur sa beauté. Il ne déchira pas ses vêtements, ni ne souilla son corps sous le sac et la cendre, selon l’usage, car son amour était trop grand pour lui dicter de telles extravagances. Finalement, il reparut parmi ses conseillers et devant son peuple et leur fit part de ses intentions.
Il leur dit qu’il ne pourrait plus toucher à une femme, ni s’intéresser à leur sexe, et qu’il trouverait donc un jeune homme convenable qu’il puisse adopter en tant que son héritier et préparer à ses fonctions ; et encore, que lui-même remplirait les devoirs de sa charge comme il sied à un prince, mais que, pour le reste, il s’adonnerait de tout son pouvoir, de toute son énergie, en usant de toute sa fortune et de tout son empire, à l’édification d’un monument digne de son incomparable maîtresse disparue, chère à son cœur."
La suite demain !
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