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14/08/2007

2ème partie du conte de Wells

"Cet édifice devait être d’une élégance et d’une beauté parfaites, plus merveilleux qu’aucun autre édifice jamais bâti ou susceptible de l’être, si bien que, jusqu’à la fin des temps, il resterait une merveille, et que les hommes le chériraient, en parleraient entre eux, désireraient le voir et viendraient le visiter du monde entier ; et qu’ils se rappelleraient le nom, et garderaient le souvenir de sa reine. Et cet édifice, dit-il, devait être nommé La Perle d’Amour.

Et ses conseillers comme son peuple consentirent à son projet et il en fit ainsi.

Les années se succédèrent et il les consacra toutes à construire et à décorer La Perle d’Amour. D’énormes fondations furent taillées dans la roche vive, dans un site à partir duquel on semblait contempler les déserts neigeux des hautes montagnes à l’autre bout de la vallée du monde. Il y avait là des villages et des coteaux, et une rivière sinueuse, et trois grandes villes dans le lointain. En ce lieu, on déposa le sarcophage d’albâtre d’un travail habile ; et tout autour, on plaça des colonnes d’une belle pierre rare, et des murs ouvragés et sculptés, et un immense reliquaire en maçonnerie, surmonté d’un dôme avec des clochetons et des coupoles, ravissant comme un joyau. Au début, le plan architectural de la Perle d’Amour fut moins hardi et raffiné qu’il le devint plus tard. Au début, l’édifice était plus petit et plus ouvragé et revêtu d’incrustations ; il contenait maints écrans ajourés et maints groupes délicats de colonnes aux teintes roses, et le sarcophage reposait là, comme un enfant dormant parmi les fleurs. Le dôme primitif était recouvert de tuiles vertes dans des cadres d’argent qui les maintenaient ensemble ; mais on enleva ce dôme parce qu’il écrasait l’édifice ; parce qu’il ne s’élançait pas assez superbement vers le ciel pour satisfaire l’imagination du prince, qui s’épanouissait.

Car, à ce stade, il n’était plus le charmant jeune homme amoureux de sa jeune reine. C’était à présent un homme mûr, austère et résolu ne songeant qu’à l’édification de la Perle d’Amour. Chaque année d’effort lui avait enseigné de nouvelles virtualités en matière d’arceaux, de murs, d’arc-boutants ; il avait acquis une plus grande maîtrise des matériaux qu’il devait employer, et il avait appris l’existence de maintes pierres, de multiples teintes et effets architecturaux dont il n’aurait pas eu la moindre idée au début. Son goût pour les couleurs s’était affiné, il préférait les tons plus froids ; il n’aimait plus l’éclat des fils d’or dans l’émail qui lui plaisait au départ, l’éclat d’un missel enluminé. À présent, il recherchait les coloris azurés qui évoquent le ciel, et les teintes délicates des horizons lointains, les ombres mystérieuses et les grandes coulées soudaines d’opalescences violettes ; il visait au grandiose et à l’infini. Il s’était bien lassé des sculptures et des gravures murales, et des incrustations décoratives et de tout le petit travail méticuleux des artisans. « C’étaient de jolies choses », disait-il au sujet de ses ornements antérieurs, et il les faisait reléguer dans des édifices subalternes où ils ne contrarieraient pas son projet principal. Son art devenait de plus en plus remarquable. Les gens étaient frappés d’une crainte révérentielle et d’une stupeur, en voyant La Perle d’Amour prendre son essor majestueux à partir de la première ébauche pour atteindre à une ampleur, une élévation, une magnificence surhumaines. Ils ne savaient pas précisément ce à quoi ils s’étaient attendus, mais jamais ils n’avaient prévu un monument aussi sublime. « L’amour, murmuraient-ils, fait d’admirables miracles », et, dans le monde entier, toutes les femmes, quelles que fussent leurs autres amours, aimaient le prince pour l’éclat de sa ferveur.

L’édifice était traversé en son milieu par un vaste couloir, une échappée de vue, que le prince en vint à apprécier de plus en plus. À partir de l’entrée intérieure du bâtiment, son regard parcourait sur toute sa longueur une immense galerie à piliers, franchissait la zone centrale d’où les colonnes roses avaient disparu depuis longtemps, passait au-dessus du pavillon qui abritait le sarcophage et, par une baie d’une conception ravissante, se portait sur les déserts neigeux de la grande montagne, la reine de toutes les montagnes, à trois cents kilomètres de là. À droite et à gauche, les piliers, les arceaux, les contre-boutants et les galeries s’élançaient vers le ciel et y planaient dans leur perfection discrète, tels de grands archanges qui attendraient dans l’ombre l’apparition de Dieu. En voyant cette austère beauté pour la première fois, un sentiment d’exaltation s’emparait des hommes, puis ils frissonnaient et se prosternaient en leur cœur. Très souvent, le prince venait se planter là, pour contempler cette perspective, profondément ému, mais pas encore pleinement satisfait. Il sentait qu’il lui restait encore quelque chose à faire pour la Perle d’Amour, avant que son œuvre fût achevée. Toujours, il faisait apporter de petites retouches ou revenait sur une retouche récente. Et, un beau jour, il dit que le sarcophage ressortirait plus nettement et plus spontanément en l’absence du pavillon ; et, après l’avoir longtemps fixé des yeux, il fit démonter et enlever celui-ci.

Le lendemain, il vint et resta muet, et le surlendemain et le jour suivant. Enfin, il y retourna en amenant avec lui un architecte et deux maîtres-artisans et une petite suite.

Tous regardèrent en silence, debout ensemble, formant un petit groupe parmi l’immensité sereine de leur chef-d’œuvre. Sa perfection ne conservait aucune trace d’effort. C’était comme si le Dieu créateur de la beauté de la nature avait repris à son compte le fruit de leur labeur.

Une seule chose dissonait dans l’harmonie totale. Le sarcophage introduisait une disproportion certaine. On ne l’avait jamais agrandi et, à vrai dire, comment aurait-on pu le faire depuis les premiers jours ? Il arrêtait le regard ; il brisait par son encoche l’envolée des lignes architecturales. Dans ce sarcophage, se trouvait le cercueil en alliage de plomb et d’argent et, dans ce cercueil, gisait la reine, cause chérie immortelle de toute cette beauté. Mais, à présent, ce sarcophage ne semblait être rien de plus qu’un petit rectangle sombre, déposé là, en désaccord avec l’immense perspective de la Perle d’Amour. C’était comme si quelqu'un avait laissé tomber un petit sac de voyage dans la mer cristalline du ciel.

Longtemps, le prince médita, sans que personne connût les pensées qui lui traversaient l’esprit.

Enfin, il parla. Il montra du doigt le sarcophage.

« Enlevez-moi cet objet », dit-il."

 

 

Commentaires

Mais pourquoi Wells ne lui fournit-il pas sa machine à voyager dans le temps pour revenir en arrière ?

Écrit par : Patick S. VAST | 14/08/2007

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