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07/02/2013

Le Médecin volant - Molière

Scène I

Valère. — Hé bien ! Sabine, quel conseil me donneras-tu ?

Sabine  — Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les affaires sont tellement avancées, que je crois qu’ils eussent été mariés dès aujourd’hui, si vous n’étiez aimé ; mais comme ma cousine m’a confié le secret de l’amour qu’elle vous porte, et que nous nous sommes vues à l’extrémité* par l’avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d’une bonne invention pour différer le mariage. C’est que ma cousine, dès l’heure que je vous parle, contrefait la malade ; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m’envoie quérir un médecin. Si vous en pouviez envoyer quelqu’un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence*, il conseillerait à la malade de prendre l’air à la campagne. Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen vous pourriez l’entretenir à l’insu de notre vieillard, l’épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin.

Valère. — Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste*, et qui voulût tant hasarder* pour mon service ? Je te le dis franchement, je n’en connais pas un.

Sabine. — Je songe une chose : si vous faisiez habiller votre valet en médecin ? Il n’y a rien de si facile à duper que le bonhomme.

Valère. — C’est un lourdaud qui gâtera tout ; mais il faut s’en servir faute d’autre. Adieu, je le vais chercher. Où diable trouver ce maroufle* à présent ? Mais le voici tout à propos.

extrémité* : dans une situation très difficile

*intelligence : de connivence avec nous

*À ma poste : à ma disposition.

*hasarder : prendre des risques.

*maroufle : rustre.

 

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05/02/2013

Le prix Gaudi

"...Récompense en demi-teinte pour les défenseurs de la langue catalane puisque le film est… muet. Autre grand vainqueur de la soirée, The Impossible qui a emporté six statuettes dont celle du meilleur film européen et du meilleur directeur. Le film de Cesc Gay, Una pistola en cada mano, tourné en castillan a également remporté quatre Gaudis. Quant aux films tournés en catalan, comme El Bosc ou Fènix 11.23, ils doivent se contenter d’un seul prix chacun. Paradoxe d’une cérémonie qui défend l’exception culturelle catalane mais préfère récompenser finalement les films les plus internationaux." Intégral : 

http://www.lepetitjournal.com/barcelone/accueil/actualite/139327-prix-gaudi-le-meilleur-film-en-langue-catalane-est-un-film-muet

10:00 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

03/02/2013

"Un lourd clapotement lui apprit que Tarrou avait plongé"

Les confidences de Tarrou au docteur Rieux :

 

"« Bien entendu, je savais que, nous aussi, nous prononcions à l’occasion des condamnations. Mais on me disait que ces quelques morts étaient nécessaires pour amener un monde où l’on ne tuerait plus personne. C’était vrai d’une certaine manière après tout, peut-être ne suis-je pas capable de me maintenir dans ce genre de vérités. Ce qu’il y a de plus sûr c’est que j’hésitais. […] Jusqu’au jour où j’ai vu une exécution (c’était en Hongrie) et le même vertige qui avait saisi l’enfant que j’étais a obscurci mes yeux d’homme.

«  Vous n’avez jamais vu fusiller un homme ? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur une invitation et le public est choisi d’avance. Le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. […] Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi, je n’ai pas bien dormi depuis ce temps-là. Le mauvais goût m’est resté dans la bouche et je n’ai pas cessé d’insister, c’est-à-dire d’y penser.

«  J’ai compris alors que moi, du moins, je n’avais pas cessé d’être un pestiféré pendant toutes ces longues années où pourtant, de toute mon âme, je croyais lutter justement contre la peste. J’ai appris que j’avais indirectement souscrit à la mort de milliers d’hommes, que j’avais même provoqué cette mort en trouvant bons les actions et les principes qui l’avaient finalement entraînée. Les autres ne semblaient pas gênés par cela ou du moins ils n’en parlaient jamais spontanément. Moi, j’avais la gorge nouée. J’étais avec eux et j’étais pourtant seul. Quand il m’arrivait d’exprimer mes scrupules, ils me disaient qu’il fallait réfléchir à ce  qui était en jeu et ils me donnaient des raisons souvent impressionnantes, pour me faire avaler ce que je n’arrivais pas à déglutir. Mais je répondais que les grands pestiférés, ceux qui mettent des robes rouges, ont aussi d’excellentes raisons dans ces cas-là, et que si j’admettais les raisons de force majeure et les nécessités invoquées par les petits pestiférés, je ne pourrais pas rejeter celles des grands. Ils me faisaient remarquer que la bonne manière de donner raison aux robes rouges était de leur laisser l’exclusivité de la condamnation. Mais je me disais alors que, si l’on cédait une fois, il n’y avait pas de raison de s’arrêter. Il me semble que l’histoire m’a donné raison, aujourd’hui c’est à qui tuera le plus. Ils sont tous dans la fureur du meurtre, et ils ne peuvent pas faire autrement.

« Mon affaire à moi, en tout cas, ce n’était pas le raisonnement. C’était le hibou roux, cette sale aventure où de sales bouches empestées annonçaient à un homme dans les chaînes qu’il allait mourir et réglaient toutes choses pour qu’il meure, en effet, après des nuits et des nuits d’agonie pendant lesquelles il attendait d’être assassiné les yeux ouverts. Mon affaire, c’était le trou dans la poitrine. Et je me disais qu’en attendant, et pour ma part au moins, je refuserais de jamais donner une seule raison, une seule, vous entendez, à cette dégoûtante boucherie. Oui, j’ai choisi cet aveuglement obstiné en attendant d’y voir plus clair.

« Depuis, je n’ai pas changé. Cela fait longtemps que j’ai honte, honte à mourir d’avoir été, fût-ce de loin, fût-ce dans la bonne volonté, un meurtrier à mon tour. Avec le temps, j’ai simplement aperçu que même ceux qui étaient meilleurs que d’autres ne pouvaient s’empêcher aujourd’hui de tuer ou de laisser tuer parce que c’était dans la logique où ils vivaient et que nous ne pouvions pas faire un geste en ce monde sans risquer de faire mourir. Oui, j’ai continué d’avoir honte, j’ai appris cela, que nous étions tous dans la peste, et j’ai perdu la paix. Je la cherche encore aujourd’hui, essayant de les comprendre tous et de n’être l’ennemi mortel de personne. Je sais seulement qu’il faut faire ce qu’il faut pour ne plus être un pestiféré et que c’est là ce qui peut, seul, nous faire espérer la paix, ou une bonne mort à son défaut. C’est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. Et c’est pourquoi j’ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir.

« C’est pourquoi encore cette épidémie ne m’apprend rien, sinon qu’il faut la combattre à vos côtés. Je sais de science certaine (oui, Rieux, je sais tout de la vie, vous le voyez bien) que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne. Et qu’il faut se surveiller sans arrêt pour ne pas être amené, dans une minute de distraction, à respirer dans la figure d’un autre et à lui coller l’infection. Ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, si vous voulez, c’est un effet de la volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter. L’honnête homme, celui qui n’infecte presque personne, c’est celui qui a le moins de distraction possible. Et il en faut de la volonté et de la tension pour ne jamais être distrait! Oui, Rieux, c’est fatigant d’être un pestiféré. Mais encore plus fatigant de ne pas vouloir l’être. C’est pour cela que tout le monde se montre fatigué, puisque tout le monde, aujourd’hui, se trouve un peu pestiféré. Mais c’est pour cela que quelques-uns, qui veulent cesser de l’être, connaissent une extrémité de fatigue dont rien ne les délivrera plus que la mort.

« D’ici là, je sais que je ne vaux plus rien pour ce monde lui-même et qu’à partir du moment où j’ai renoncé à tuer, je me suis condamné à un exil définitif. Ce sont les autres qui feront l’histoire. Je sais aussi que je ne puis apparemment juger ces autres. Il y a une qualité qui me manque pour faire un meurtrier raisonnable. Ce n’est donc pas une supériorité. Mais maintenant, je consens à être ce que je suis, j’ai appris la modestie. Je dis seulement qu’il y a sur cette terre des fléaux et des victimes et qu’il faut, autant qu’il est possible, refuser d’être avec le fléau. Cela vous paraîtra peut-être un peu simple, et je ne sais si cela est simple, mais je sais que cela est vrai. J’ai entendu tant de raisonnements qui ont failli me tourner la tête, et qui ont tourné suffisamment d’autres têtes pour les faire consentir à l’assassinat, que j’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair. J’ai pris le parti alors de parler et d’agir clairement, pour me mettre sur le bon chemin. Par conséquent, je dis qu’il y a les fléaux et les victimes, et rien de plus. Si, disant cela, je deviens fléau moi-même, du moins, je n’y suis pas consentant. J’essaie d’être un meurtrier innocent. Vous voyez que ce n’est pas une grande ambition.

Il faudrait, bien sûr, qu’il y eût une troisième catégorie, celle des vrais médecins, mais c’est un fait qu’on n’en rencontre pas beaucoup et que ce doit être difficile. C’est pourquoi j’ai décidé de me mettre du côté des victimes, en toute occasion, pour limiter les dégâts. Au milieu d’elles, je peux du moins chercher comment on arrive à la troisième catégorie, c’est-à-dire à la paix. »

En terminant, Tarrou balançait sa jambe et frappait doucement du pied contre la terrasse. Après un silence, le docteur se souleva un peu et demanda si Tarrou avait une idée du chemin qu’il fallait prendre pour arriver à la paix.

— Oui, la sympathie.

[…] Tarrou se secoua :

— Savez-vous, dit-il, ce que nous devrions faire pour l’amitié ?

— Ce que vous voulez, dit Rieux.

— Prendre un bain de mer. Même pour un futur saint c’est un plaisir digne.

Rieux souriait.

— Avec nos laissez-passer, nous pouvons aller sur la jetée. À la fin, c’est trop bête de ne vivre que dans la peste. Bien entendu, un homme doit se battre pour les victimes. Mais s’il cesse de rien aimer par ailleurs, à quoi sert qu’il se batte ?

— Oui, dit Rieux, allons-y."

La peste, pages 273 à 277 Albert Camus

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