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25/02/2013

Le Misanthrope

Un passage du Misanthrope, extrait de la scène 4 de l'acte II

 

Clitandre, à Célimène

Pour bien peindre les gens vous êtes admirable.

 

Alceste

Allons, ferme, *poussez, mes bons amis de cour ;

Vous n’en épargnez point, et chacun a son tour ;

Cependant aucun d’eux à vos yeux ne se montre,

Qu’on ne vous voie, en hâte, aller à sa rencontre,

Lui présenter la main, et d’un baiser flatteur

Appuyer les serments d’être son serviteur.

 

Clitandre

Pourquoi s’en prendre à nous ? Si ce qu’on dit vous blesse,

Il faut que le reproche à Madame s’adresse.

 

Alceste

Non, *morbleu ! C’est à vous ; et vos ris complaisants

Tirent de son esprit tous ces traits médisants.

Son humeur satirique est sans cesse nourrie

Par le coupable encens de votre flatterie ;

Et son cœur à railler trouverait moins d’appas,

S’il avait observé qu’on ne l’applaudît pas.

C’est ainsi qu’aux flatteurs on doit partout se* prendre

Des vices où l’on voit les humains se répandre.

 

Philinte

Mais pourquoi pour ces gens un intérêt si grand,

Vous qui condamneriez ce qu’en eux on reprend ?

 

Célimène

Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ?

À la commune voix veut-on qu’il se réduise

Et qu’il ne fasse pas éclater en tous lieux

L’esprit contrariant qu’il a reçu des cieux ?

Le sentiment d’autrui n’est jamais pour lui plaire ;

Il prend toujours en main l’opinion contraire,

Et penserait paraître un homme du commun,

Si l’on voyait qu’il fût de l’avis de quelqu’un.

L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes,

Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ;

Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,

Aussitôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui.

 

Alceste

Les rieurs sont pour vous, Madame, c’est tout dire,

Et vous pouvez pousser contre moi la satire.

 

Philinte

Mais il est véritable aussi que votre esprit

Se gendarme toujours contre tout ce qu’on dit,

Et que, par un *chagrin que lui-même avoue,

Il ne saurait souffrir qu’on blâme, ni qu’on loue.

 

Alceste

C’est que jamais, morbleu! Les hommes n’ont raison,

Que le chagrin contre eux est toujours de saison,

Et que je vois qu’ils sont, sur toutes les affaires,

Loueurs impertinents, ou *censeurs téméraires.

 

Célimène

Mais…

 

Alceste

Non, Madame, non : quand j’en devrais mourir,

Vous avez des plaisirs que je ne puis souffrir ;

Et l’on a tort ici de nourrir dans vote âme

Ce grand attachement aux défauts qu’on y blâme.

 

 

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21/02/2013

Question d'honneur... Aventure de la pie - Chateaubriand

Dieppe, fin d’octobre 1812

Aventure de la pie.

Ce qu’on dit d’un malheur, qu’il n’arrive jamais seul, on le peut dire des passions : elles viennent ensemble, comme les muses ou comme les furies. Avec le penchant qui commençait à me tourmenter, naquit en moi l’honneur ; exaltation de l’âme qui maintient le cœur incorruptible au milieu de la corruption ; sorte de principe réparateur placé auprès d’un principe dévorant, comme la source inépuisable des prodiges que l’amour demande à la jeunesse et des sacrifices qu’il impose.

Lorsque le temps était beau, les pensionnaires du collège sortaient le jeudi et le dimanche. On nous menait souvent au Mont-Dol, au sommet duquel se trouvaient quelques ruines gallo-romaines : du haut de ce tertre isolé, l’œil plane sur la mer et sur des marais où voltigent pendant la nuit des feux follets, lumière des sorciers qui brûle aujourd’hui dans nos lampes. Un autre but de nos promenades était les prés qui environnaient un séminaire d’Eudistes, d’Eudes, frère de l’historien Mézerai, fondateur de leur congrégation.

Un jour du mois de mai, l’abbé Égault, préfet de semaine, nous avait conduits à ce séminaire : on nous laissait une grande liberté de jeux, mais il était expressément défendu de monter sur les arbres. Le régent, après nous avoir établis dans un chemin herbu, s’éloigna pour dire son bréviaire.

Des ormes bordaient le chemin ; tout à la cime du plus grand, brillait un nid de pie : nous voilà en admiration, nous montrant mutuellement la mère assise sur les œufs, et pressés du plus vif désir de saisir cette superbe proie. Mais qui oserait tenter l’aventure ? L’ordre était si sévère, le régent si près, l’arbre si haut ! Toutes les espérances se tournent vers moi ; je grimpais comme un chat. J’hésite, puis la gloire l’emporte : je me dépouille de mon habit, j’embrasse l’orme et je commence à monter. Le tronc était sans branches, excepté aux deux tiers de sa crue, où se formait une fourche dont une des pointes portait le nid.

Mes camarades, assemblés sous l’arbre, applaudissent à mes efforts, me regardant, regardant l’endroit d’où pouvait venir le préfet, trépignant de joie dans l’espoir des œufs, mourant de peur dans l’attente du châtiment. J’aborde au nid : la pie s’envole ; je ravis les œufs, je les mets dans ma chemise et redescends. Malheureusement, je me laisse glisser entre les tiges jumelles et j’y reste à califourchon. L’arbre étant élagué, je ne pouvais appuyer mes pieds ni à droite ni à gauche pour me soulever et reprendre le *limbe extérieur : je demeure suspendu en l’air à cinquante pieds.

Tout à coup un cri : « Voici le préfet ! » et je me vois incontinent abandonné de mes amis, comme c’est l’usage. Un seul, appelé Le Gobbien, essaya de me porter secours, et fut tôt obligé de renoncer à sa généreuse entreprise. Il n’y avait qu’un moyen de sortir de ma fâcheuse position, c’était de me suspendre en dehors par les mains à l’une des deux dents de la fourche, et de tâcher de saisir avec mes pieds le tronc de l’arbre au-dessous de sa bifurcation. J’exécutai cette manœuvre au péril de ma vie. Au milieu de mes tribulations, je n’avais pas lâché mon trésor ; j’aurais pourtant mieux fait de le jeter comme depuis j’en ai jeté tant d’autres. En dévalant le tronc, je m’écorchai les mains, je m’éraillai les jambes et la poitrine, et j’écrasai les œufs : ce fut ce qui me perdit. Le préfet ne m’avait point vu sur l’orme ; je lui cachai assez bien mon sang, mais il n’y eut pas moyen de lui dérober l’éclatante couleur d’or dont j’étais barbouillé. « Allons, me dit-il, « monsieur, vous aurez le fouet. »

Si cet homme m’eût annoncé qu’il commuait cette peine dans celle de mort, j’aurais éprouvé un mouvement de joie. L’idée de la honte n’avait point approché de mon éducation sauvage : à tous les âges de ma vie, il n’y a point de supplice que je n’eusse préféré à l’horreur d’avoir à rougir devant une créature vivante. L’indignation s’éleva dans mon cœur ; je répondis à l’abbé Égault, avec l’accent non d’un enfant, mais d’un homme, que jamais ni lui ni personne ne lèverait la main sur moi. Cette réponse l’anima ; il m’appela rebelle et promit de faire un exemple. « Nous verrons, » répliquai-je, et je me mis à jouer à la balle avec un sang-froid qui le confondit.

Nous retournâmes au collège ; le régent me fit entrer chez lui et m’ordonna de me soumettre. Mes sentiments exaltés firent place à des torrents de larmes. Je représentai à l’abbé Égault qu’il m’avait appris le latin ; que j’étais son écolier, son disciple, son enfant ; qu’il ne voudrait pas déshonorer son élève, et me rendre la vue de mes compagnons insupportable ; qu’il pouvait me mettre en prison, au pain et à l’eau, me priver de mes récréations, me charger de pensums ; que je lui saurais gré de cette clémence et l’en aimerais davantage. Je tombai à ses genoux, je joignis les mains, je le suppliai par Jésus-Christ de m’épargner : il demeura sourd à mes prières. Je me levai plein de rage, et lui lançai dans les jambes un coup de pied si rude, qu’il en poussa un cri. Il court en clochant à la porte de sa chambre, la ferme à double tour et revient sur moi. Je me retranche derrière son lit ; il m’allonge à travers le lit des coups de férule. Je m’entortille dans la couverture, et, m’animant au combat, je m’écrie :

*Macte animo, generose puer ! 

Cette érudition de grimaud fit rire malgré lui mon ennemi ; il parla d’armistice : nous conclûmes un traité ; je convins de m’en rapporter à l’arbitrage du principal. Sans me donner gain de cause, le principal me voulut bien soustraire à la punition que j’avais repoussée. Quand l’excellent prêtre prononça mon acquittement, je baisai la manche de sa robe avec une telle effusion de cœur et de reconnaissance, qu’il ne se put empêcher de me donner sa bénédicion. Ainsi se termina le premier combat que me fit rendre cet honneur devenu l’idole de ma vie, et auquel j’ai tant de fois sacrifié repos, plaisir et fortune.

Mémoires d'outre-tombe, page 238 et suivantes

Chateaubriand a onze ans à l’époque des faits.

*limbes : au sens étymologique du mot : frange, bordure, côté. 

* « Macte animo, generose puer ! » : « Courage, noble enfant ! »

09:57 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

18/02/2013

La Phrase du jour

"It is a fine seasoning for joy to think of those we love." Moliere

Cette phrase est inspirée du Misanthrope de Molière, ce n'est pas Alceste qui la prononce, elle est écrite dans une lettre que Célimène adresse à l'un de ses soupirants. En voici la version Molière :

"...c'est un merveileux assaisonnement aux plaisirs qu'on goûte que la présence des gens qu'on aime."

Le contexte avec cet extrait de la lettre de Célimène, lettre où elle critique l'un après l'autre ses prétendants : "...Et pour *l'homme à la veste, qui s'est jeté dans le bel esprit et veut être auteur malgré tout le monde, je ne puis me donner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa prose me fatigue autant que ses vers. Mettez-vous donc en tête que je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez ; que je vous trouve à *dire plus que je ne voudrais, dans toutes les *parties où l'on m'entraîne, et que c'est un merveilleux assaisonnement aux plaisirs qu'on goûte que la présence des gens qu'on aime."


*L'homme à la veste : référence à Oronte

*"Que je vous trouve à dire" : que je regrette votre absence

*"Parties" : divertissements 

09:05 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)