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14/11/2012

André Peragallo parle de son ami Armand Dehorne

"Oui, c’était dans ce concret qu’Armand Dehorne fouillait, avec une conscience éprise de précision. Il cherchait à exprimer le plus intensément possible toute son exploration intime, à la rendre véridique. Ecrire était pour lui l’autre façon d’appréhender ce monde, trouver quelque chemin nouveau dans toute les mutations de la réalité. Essayer de comprendre. Dire cette vie qui l’entourait par un autre moyen que la science à laquelle il appartenait.

C’était un partie secrète du cœur de l’homme et du sien qu’il voulait découvrir, une représentation supplémentaire de la face des choses, des objets, la plus obscure peut-être et certainement la plus liée à l’imagination, seule capable de détecter l’autre réalité.

« André, me disait-il, la poésie n’est pas une activité de dilettante. C’est l’expression suprême, la plus sincère de notre sensibilité confrontée à la vie et à cette unité de l’Univers. » Ces paroles me frappèrent. Je sentais qu’il avait trouvé une voix juste pour traduire la vérité qu’il recherchait, celle qu’il fallait pour exprimer et délivrer, après une longue habitation secrète, tout ce qu’il percevait et remuait en lui comme le sang.

Il me parlait aussi de sa jeunesse dans le pays d'Avesnes, des belles forêts d’enfance, des prairies et des fermes, de cette vie paysanne où il s’était formé. Ce qu’il disait avait l’odeur du miel, du lait, de la terre, des fruits. A l’entendre interroger le passé, en décrire les contours, il me semblait que je participais aussi à cette fête de la nature, à ce travail des champs, à ces jeux de l’enfance.

Et son récit me poursuivait : «  je courais librement dans les prés, dans les fermes. Mon père était instituteur dans le village et on avait un beau jardin fruitier. Quand le moment était venu, j’assistais aux récoltes. Toutes ces activités m’intéressaient. J’allais au catéchisme sans trop comprendre le sens de ce qu’on m’apprenait alors. Je me souviens surtout du vieux clocher de l’église parce que j’y avais vu nicher un couple de hiboux. L’hiver, fort rigoureux dans cette contrée, j’avais un gros cache-nez de laine et des galoches et je faisais de longues glissades sur les flaques gelées, avec mes camarades. »

Les souvenirs revenaient en désordre du fond de sa mémoire. C’était comme les images d’un vieux film qui soudain revivaient après être restées longtemps inanimées. Il répondait à toutes mes questions, à ma curiosité. Ces aveux étaient comme une offrande à l’amitié qui nous liait. Souvent, oubliant l’heure, le soir nous surprenait. Nous nous quittions alors, en hâte, emportant chacun de notre côté nos sensations, tandis que derrière nous s’allumaient les hauts lampadaires de la ville.

C’est bien plus tard, après que nous eûmes parcouru ensemble des kilomètres de ville et de banlieue, après l’échange de bien des confidences, qu’Armand Dehorne m’invita à me rendre chez lui. Il habitait un grand immeuble du boulevard de la Liberté. Un appartement élevé à la hauteur des toits, là où le ciel respire, où la lumière changeante du ciel nordique étend son étrange domaine. Là où il pouvait :"Comme un veilleur de nuit ravi d’être tout seul"

Porter le plus loin possible son regard et son imagination de poète.

On se réunissait le plus souvent dans son bureau. Dans cette pièce qu’il aimait à cause de sa lumière. Devant la haute fenêtre, s’élaborait, depuis plusieurs années, son travail pictural." … André Peragallo, cliquez ici :

http://www.jacques-basse.net/?p=4268

 

 

05:40 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

12/11/2012

Lui et moi

Un rat détonne dans le paysage, il n’est pas à sa place allongé comme une bête sacrificielle, au bas de la marche d’entrée, j’ai beau me douter qu’il s’agit de l’offrande d’un chat, un chat doux et pacifique envers ceux de son espèce et nous, les bipèdes, cela me dérange. Pas la moindre trace de sang, les jolies pattes du rat sont repliées vers le corps, dans un geste enfantin, sans crispation. Acceptation du sort. La peur qu'il a dû éprouver s’est effacée face à autre chose. Le rat en mourant a fermé à demi les yeux, fuite ultime, le museau à peine entrouvert semble avoir libéré un dernier soupir apaisé. Tchao la vie.

Tu étais de belle taille, sans être dodu. Je vois ta tête au microscope, à force de la regarder elle me donne l’impression d’être proéminente. Tu es de l’autre côté du miroir, mais ton museau inerte offre un reflet de toi assez significatif. Avant, à peine t’aurais-je aperçu, j’aurais poussé un cri, que tu sois mort ou vivant, quelque chose d’un peu hystérique, basique. Aujourd’hui tu ne m’inspires plus cette horreur ridicule. Ce déplacement bien malgré toi de ton corps jusqu’ici t’aura autrement dérangé, au point que tu n’as même pas cherché à combattre, tu es mort d’une façon plutôt spirituelle, en dépit de l’aspect monstrueux que tout chat doit avoir pour toi. Pour autant, je ne t’attraperai pas par la queue, manque d’aisance encore avec les morts de ton espèce… et les vivants. Les yeux mi-clos, j’avance prudemment vers toi, je coince ton corps entre un râteau et une pelle, te soulève, te dépose dans la poubelle, je la noue avec appréhension, crainte d’un miracle facétieux, j’emporte le tout jusqu’au conteneur, et voilà. Le patio a repris une allure automnale de lent pourrissement végétal.

12:08 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)

Argile

ARGILE PLAT D’ETAIN

 

La tendresse naît du malheur,

Mais je n’en suis qu’à mi-hauteur !

Je multiplie en moi quatre bohémiennes

Qui soulèvent un pan des forêts indiennes.

Ça forme une clairière au sol de cassonade

Qui s’emplit de clairons ou qui sent la grillade.

Ces petites Vénus tendent leur cou de chèvre

Et me jettent au loin des cerises, leurs lèvres !

 

Les remparts sans honneur où les chiens vont mourir,

Déjà miraculeux, font semblant de s’ouvrir,

Par une déhiscence adorable des briques

Dégageant des parfums immédiats, théoriques.

 

Je l’ai dit, tant de fois ! Surtout les soirs d’été :

Le secret véritable est la simplicité !

Les baraques de fer reçoivent du goudron,

Le couchant de biais traverse les salades.

Le monde sans vitesse est enfin doux et rond

Et je viens d’être heureux comme un homme malade.

 

L’instant délicieux se sépare de l’heure,

Et plonge dans lui seul comme un être qui pleure,

Moi qui croyais encore aux luttes primitives,

A peine si mon âme a des ombres actives !

Je suis très las sans être triste.

En ta faveur, calme Univers !

Et par amour des lieux déserts,

Je me renonce et me désiste.

 

Mais pour aller jusqu’à la nuit

Sans connaître la répugnance,

Je garderai ma patience,

La vertu qui manque de bruit !

 

Imminent sur le vide, un soleil jalousé

Nous redonne le goût des édens framboisés.

Pas assez ! Jamais trop ! Fertiles métaphores,

Embrassez-le, ce cœur qui veut sauter plus fort !

 

J’ai l’aspect de mes souvenirs ;

Il n’est rien en moi qui ne pense ;

Le paysage me rumine,

Mon propre regard examine

Si je suis l’homme en concordance.

 

Ai-je bien mangé mon décor,

Ce morceau de faubourg et ma part suburbaine

De chiffons, de ferraille et d’obliques sirènes ?

Avec lui, longtemps, je fais corps.

Et des ormes fléchis fondent dans ma salive,

Et les noirs campements ont de belles lessives.

Des cygnes tout bleuis, portant bas leur plastron,

Naissent du linge, ou d’un grand drap de mince neige,

A moins qu’ils soient issus du maigre fil de fer !

Mythes facétieux, délicats sortilèges !

Quand ils prendront leur vol, je n’aurai plus de fièvre,

Mais la fleur grêle, oui ! Le nom de Jésus à la bouche !

Jésus veut-il me prendre,

Osé-je le comprendre ?

 

Et si l’église vient à sortir d la ville,

Va-t-elle s’implanter à son tour dans un île

Entièrement feutrée et à ma ressemblance ?

Elle s’allonge, elle s’éclaire ;

Même elle éclate, peuplant l’air

D’incompatibles projectiles.

Oh ! Sitôt que mon sort comprend moins le mystère,

L’univers se complique en usant du silence.

 

Je danserai ma mort sur des claviers grossis,

Je pourrirai sans nom dans les bruns harmoniums !

 

Et vous voilà, grand ciel refusant de noircir,

Occident fatigué, faibles couches de cire

Achevant de briller sur les tendres péniches

D’un Canteleu qui mène au banal Haubourdin.

Vous voilà, pays neutre, honorables jardins ! 

 

Je me retrouve seul, inclus dans la substance.

D’un grand nombre de fruits qui tournent pour les hommes.

On se prolonge ainsi dans les plus tendres sommes.

Et, privé de contours, j’ai beaucoup d’existences !

 

Aller, partir, finir,

Ne plus jamais se dévêtir !

Je change moins de contenu,

Ma chair au songe est convertie.

Aimer ! Mourir de sympathie,

Passer les murs de l’inconnu !

Aimer pour apprendre à mourir !

 

Mais vous, sombres déchets, abondantes Fumées

Qui rouliez, sans ouvrir vos spirales fermées,

A la place des nues,

Et vous refroidissiez en d’énormes volumes

Plus légers que des plumes,

Qu’êtes-vous devenues ?

 

— Oh la la ! nous, c’est différent ;

Nous ne rentrons pas dans le rang,

Non oedificandi !

Là-bas, toujours, on fait des pas, les plus fugaces !

On fait le tour du papier peint des paradis,

Non oedificandi

Armand Dehorne

05:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)