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30/07/2012

Les Marcheurs, suite et fin du premier tome

Hector coupa le son et les cinq protagonistes, les lèvres serrées dans une grimace exaspérée se considérèrent tour à tour en soufflant par les narines, sous l’emprise peut-être de l’esprit taurin dont faisait preuve Dora à ses mauvais moments, laquelle se trouvait toujours en compagnie de Géraldine et Janin dans la salle de réception où l’allocution du chef de l’État avait lieu.

— Nous avons pris notre part à cet échec avec les Bléassenghs murmura le docteur Dross, comme eux nous nous sommes limités trop longtemps à faire de l’animation insipide, non seulement dans les medias mais aussi auprès d’eux. Nous avons maintenu tout ce petit monde dans son inaptitude passagère à la réflexion, nous avons participé au système qui a fait d’eux des consommateurs effrénés c’est-à-dire d’éternels frustrés. Ce que Géraldine réalise auprès des gueux depuis quelques semaines, nous aurions dû le faire auprès des Bléassenghs.

— Cantonnés comme nous le sommes dans nos travaux respectifs, nous n’avions pas le temps de nous rendre compte de grand-chose, s’exclama Hector, nous communiquons très peu, continua-t-il, ce sont eux, ces artistes que sont les Bléassenghs, qui étaient censés nous apporter un peu de spiritualité, au lieu de quoi ils sont devenus des êtres éternellement assoiffés d’animations futiles de toutes sortes qu’ils s’octroient pour certains en produisant des films à la gloire du prêt à penser, des films d’animation dignes de spots publicitaires où tout ce qu’on demande au spectateur, c’est d’admirer à longueur de scénario leur bobine et leur plastique. En guise de spiritualité, le voyeurisme est devenu notre lot de bon citoyen bien savant. Tout le monde s’ennuie dans cette pseudo-culture, nous les premiers. Le réveil n’a pas été facile docteur Dross, je pense que ce n’est pas la peine d’en rajouter avec de la culpabilité.

Jeudi prit la parole :

— Le réveil n’a été facile pour personne. Je dois quitter le pays, Hector. Dora comme Géraldine ne bougeront pas d’ici. Tu ne feras pas d’adieux définitifs à Géraldine, elle t’attendra. À Dora non plus, en tant que mère de tes filles. Mes adieux à Dora seront définitifs, quelque chose s’est cassé entre nous, tu le sais. J’espère que tu ne vas pas me laisser tomber maintenant, je voudrais faire partie du voyage, avec Tom, Odette et Peter.

— Rien n’a été calculé de part et d’autre, Jeudi. Dora a raison, tout s’est fait spontanément, disons que ça aura été une des seules expériences spirituelles que j’aurai eue dans la zone verte, elle fut redoutable. Mais j’oublie les rêves que dame Odette nous fait partager, et la rencontre avec Géraldine qui n’aurait pas eu lieu sans cela. Mes nouveaux prototypes m’ont aussi aidé à tenir le coup. Tu fais partie du voyage.

Les deux hommes se serrèrent la main.

— Il ne faut pas tarder à emmener tout ce petit monde loin d’ici Hector, dit le docteur Dross. De notre côté nous allons tenter de corriger le tir avec les Bléassenghs, si c’est encore possible.

Bientôt ils entendirent le bruit de l’hélicoptère. Le chef de l’État s’en allait déjà, le Noble à ses côtés. Le bureau fut bientôt empli de monde. Chacun semblait secoué. Hector étreignit Géraldine en silence, leur amour suivrait à n’en pas douter un cours tourmenté mais qui tiendrait la route. Nos marcheurs, à regret, s’apprêtaient à la reprendre, et cette fois ils avaient de la compagnie.  

 

Le discours d'un président du vingt-sixième siècle

— Bon ça suffit Odette, ce n’est pas le moment de plaisanter, d’accord ? assena Jeudi. Tout le monde se tut et attendit. l’heure était effectivement grave.

Dans un coin de la pièce le robot qui avait servi à sauver Jeudi rompit le silence de sa voix métallique :

— Ai établi connexion entre les paroles enregistrées et les actes à accomplir en cas de fortes décharges d’adrénaline chez humains dans mon entourage proche. Demande confirmation Hector avant de passer à l’action. Stop.

— Déconnecte-toi jusqu’à nouvel ordre. Stop, lui communiqua Hector.

Le robot s’éteignit. Chacun se demanda à part soi comment il avait pu identifier la voix de son maître. Odette posa directement la question au robot qui ne réagit pas. "C’est tout un système" dit l’inventeur de la machine pour couper court à de plus amples explications. Jeudi soupirait, Odette et Tom avaient-ils vraiment conscience du risque qu’ils couraient si par hasard des hommes de Le Noble accompagnaient le président. Sans doute que oui, à voir comment ils appréciaient la présence d’Hector et de sa machine à leur côté.

— Vos filles ne viennent pas souvent ici s’enquit Odette. Hector se montra plus causant cette fois :

— Je pensais à elles justement. Elles étudient toutes les deux à l’université de Stuggol. En médecine. Elles sont presque jumelles, juste une année de différence. Elles connaissent du monde là-bas. C’est un beau pays la Dorkadsi, j’irais bien m’y reposer un peu, les retrouver me ferait du bien. Tous les deux vous devriez m’accompagner, et même Peter, il faudra aviser. Géraldine ne veut pas venir. Si cela se trouve Dora et elle se débrouilleront très bien sans moi pour se réconcilier, essaya-t-il de plaisanter.

— Attends, ça va peut-être s’arranger avec les politiques, commenta Jeudi sans conviction.

Hector pressa sur un bouton et l’on entendit clairement dans la pièce le discours du président qui avait déjà commencé :

— Comme vous le savez, chers amis, nos amis de Bléassengh sont conscients de leur valeur, ils comblent de leur présence la nation, comme vous-mêmes d’ailleurs, et je suis venu ici, auprès de vous, dans le but d’enrayer la discorde que des êtres de moindre valeur ont tenté d‘établir entre vous ; nous nous attachons désormais et avec la plus grande fermeté, à éradiquer du pays ces manants qui créent des malentendus, sèment la tempête et récoltent le vent…ou inversement chers amis, qu’importe, vous m’avez compris. Des êtres chagrins, frustrés à juste titre, en un mot des anarchistes. Anarchistes par qui disfonctionnements et malentendus ne manquent pas de se multiplier et qui ont amené une situation de crise. Un robot de première importance aurait administré aux édiles de Bléassengh un sédatif alors que ceux-ci étaient en train de remplir leur fonction au tribunal. Quoi de plus légitime que de condamner, chers amis un dangereux criminel, étranger notoire les ayant menacés quelques heures plus tôt — de mort, lors d’une réunion administrative qui suivait normalement son cours paisible jusqu’à son arrivée. Je suis venu, hommes de science, pour clarifier la situation, remettre entre les Bléassenghs et vous de l’harmonie. Ce faisant, j’éradiquerai de ces lieux si paisibles avant leur arrivée, des gens qui n’ont rien à y faire. Outre les anarchistes tel ce Jeudi, tel ce couple de Louradie, outre ces individus donc, les gueux que nous ne voulons plus voir traîner chez nous.

Une voix timide s’éleva, c’était celle de Géraldine

— Permettez-moi de vous interrompre Monsieur le Président, les gueux sont des citoyens de notre pays et encore ne le seraient-ils pas, n’ont-ils pas droit à notre respect ? Pensez-vous vraiment qu’ils n’ont aucune valeur ? Je suis bien placée pour témoigner en leur faveur. Si on leur laisse une chance, croyez-moi, ils peuvent devenir aimables, voire même, très réconfortants.

— Je vous prierai madame, de décliner la prochaine fois votre identité avant d’adresser la parole au président de la république. En ces temps où règne confusion et insécurité, cette règle est devenue élémentaire. Nous contrôlons l’identité de ceux qui prennent la parole, il est en effet de première importance de savoir à qui exactement nous avons affaire. Je vous prierai, madame, de remettre votre carte d’identité à monsieur Le Noble qui se tient ici à ma droite. Quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter ?

Les scientifiques murmurèrent, un souffle de réprobation se fit entendre qui n‘eut pas l’air d’intimider le président et sa garde rapprochée. Dans le bureau où se trouvaient Hector, Jeudi, le docteur Dross et le couple honni, tout le monde retenait son souffle. Le robot ne bronchait pas non plus. Le président reprit : 

— Je sais que des rumeurs ont couru à propos du possible démantèlement de la communauté scientifique que vous formez ici. Que diable ! Vous n’êtes pas une secte que je sache! Les Bléassenghs ont eu tout lieu de se réjouir de vos nombreux services et sont prêts à oublier le navrant incident du robot piqueur ah! ah! ah! Qui s’est trompé de cible, le bougre en libérant le malfaiteur et en mettant groggy les justiciers : l’erreur est humaine… si j’ose dire en pareil cas, ah! ah! ah! Le président se racla la gorge et reprit en détachant les mots : « Nous avons donc décidé que seuls Monsieur Hector Durasso et son équipe seraient mutés, entendez-moi bien, non pour les punir d’une quelconque façon, mais parce que nous reconnaissons, au-delà de l’erreur commise par le robot humanoïde et les robots chiens, l’ingéniosité de ces inventions de prototypes d'un genre nouveau. Ils peuvent rendre de grands services, à condition d’être bien dirigés, ah! ah! ah! Monsieur Hector non seulement n’aura pas de blâme mais sera gratifié d’une promotion, je sais qu’il n’est pas ici, le docteur Dross nous en a informé, mais néanmoins sachez que nous le nommons directeur de Recherche dans le domaine de la technologie en matière de sécurité, sous la présidence de Monsieur le Noble, en charge des dossiers dans ce domaine. Ces hautes fonctions ne peuvent avoir leur siège que dans la capitale. Reste la question de la forêt qui sera débattue dans les jours qui viennent. La présence des loups importune en effet touristes et Bléassenghs, Bléassenghs qui, je le rappelle sont les propriétaires légitimes de cette forêt en raison, soit de leur origine, soit de l’immense richesse qu’ils ont légitiment acquise par leurs mérites personnels que personne jusqu’ici n’a jamais osé contester. 

 

 

28/07/2012

Hector se cache

Hector et Géraldine s’apprêtèrent à partir quand un bruit d’hélicoptère les arrêta. On annonçait à l’assemblée la visite surprise du président de la république. Odette que cette nouvelle avait effrayée tant elle craignait d’avoir à retourner en Louradie ne tarda pas à s’évanouir. Hector la prit sous les épaules, demanda de l’aide à Tom qui l’attrapa aussitôt par les chevilles et ils l’emmenèrent dans un bureau du rez-de-chaussée, à l’abri des regards. Jeudi suivait avec la perruque rousse qui avait dégringolé quand, affolée, elle avait voulu empoigner une mèche de ses cheveux. Allongée sur un canapé, Hector lui administra un sédatif sans attendre le docteur Dross dont le cabinet jouxtait le bureau, il lui prit ensuite son pouls. Tous ces gestes, il les avait étudiés avec le docteur Dross sur des mannequins pour les convertir ensuite en automatismes dans les mécanismes de son dernier prototype, il lui avait fallu au passage intégrer tous les rudiments du secourisme et acquérir des connaissances médicales que le docteur lui avait généreusement dispensées. Déjà Odette rêvait : elle se trouvait en Louradie, marchant dans une rue, elle avait croisé une dame, gitane d’aspect qui promenait un enfant. C’était un enfant en bas âge, très dynamique, tout à coup il sauta en l’air, il sembla à Odette qu’il y était resté suspendu une demi seconde. Odette était de bonne humeur. Elle dit à la femme d’un ton enjoué qu’elle avait cru que son petit allait s’envoler. « J’ai de la chance hein ! » s’exclama la femme en guise de réponse. Plus loin dans le quartier elle vit qu’un cirque s’était installé. Elle recroisa la femme qui lui demanda un peu d’argent. Elle dut refuser, elle n’en avait pas sur elle. Elle s’infiltra bientôt dans la roulotte d’un forain qui avait une page de journal à la place du visage, celle-ci lui collait à la peau. Le forain se plaignait du climat délétère qui régnait dans le pays. « Tout cela ne lui allait pas disait-il, ça n’avait l’air de rien mais il fallait se méfier. » Il tourna sa tête de monstre vers elle, sans se soucier de sa présence, sans doute parce qu’il ne l’avait pas vue, un tel masque placardé sur la figure. Avant de quitter la roulotte elle aperçut à l’extérieur de sa propre cuisse droite une longue et large croûte purulente de sang séché, dans ses bras elle tenait Peter bébé, qui lui-même avait sur la peau quelque plaques du même genre, dont une de laquelle sortait des germes de pomme de terre. Il fallait vite rentrer à la maison, se soigner. Vite. Rentrée chez elle, elle trouva la femme rencontrée auparavant en compagnie d’un enfant en train de fouiller sa maison. Car dans ce rêve, elle habitait une maison en Louradie. La femme lui reprocha de ne pas lui donner d’argent alors qu’elle possédait une piscine. Odette la suivit dans la rue, pleine de remords « demain ! » lui cria-t-elle. « Reviens demain, j’aurai de l’argent à te donner. » Elle suivit la femme qui ne voulait plus se retourner, la reconnaissant au foulard bleu ciel à carreaux qu’elle portait. « Promis ! Demain ! Aujourd’hui je ne peux pas. » Elles arrivèrent à proximité du cirque, un groupe de danseuses asiatiques dansait, une princesse en porteur non loin d’elles, asiatique elle aussi, les observait. Les danseuses elles, regardaient Odette sévèrement. La princesse fit un signe et elles entourèrent la femme au foulard bleu qui se confondit avec elles en se joignant au cercle. Les femmes entamèrent une danse et finirent par s’éloigner. Odette crut se réveiller. Elle se trouvait transportée au vingt et unième siècle. Garée sur le parking d’une gare dans une petite voiture blanche. Un gueux vint taper à la fenêtre de sa drôle de voiture. Elle baissa la vitre pour lui dire que non, elle n’avait pas d’argent sur elle. L’homme avait les yeux bleus pâles, mais intenses. Il lui dit « Vous êtes polonaise ! » comme un compliment, Odette dut démentir, il joua les incrédules et se mit en devoir de lui dire que son grand-père avait été un poilu des tranchées et qu’il lui disait en petit garçon admiratif « Et tu n’es pas mort grand-père ! » « bien sûr bafouilla-t-il en riant il était pas mort puisque je lui parlais. » Son père continua-t-il avait lancé des barres à mines contre des voitures de nazis. Et lui, il avait fait tout un tas de petits boulots de toute sorte dans sa vie et des petits cons lui disaient qu’il était feignant, que c’est pour ça qu’ils ne lui donneraient rien du tout. « feignant, moi madame, reprit-il. Il y a deux semaines j’ai encore porté des sacs de cinquante kilos sur mon dos. Le gars à qui je donnais un coup de main n’en revenait pas. Regardez mes mains madame, elles son pleines de cales. Cinquante euros il m’a donné, j’étais content. J’aurais cru qu’il m’en aurais donné que vingt. » Après une petite pause il ajouta : «  En ce moment l’assistante sociale qui s’occupe de moi est partie en vacances, c’est pour ça. »

Odette comprit très bien ce qu’était une assistante sociale dans le rêve mais maintenant qu’elle était réveillée pour de bon, avec l’impression d’avoir quitté pendant longtemps son monde à elle, elle demanda à Hector ce qu’était une assistante sociale, s’apprêtant à raconter son entrevue onirique.

« Chut Odette, chut ! d’ici une petite demi-heure le président va parler. Nous saurons si nous devons nous échapper ou pas. Pour l’instant il me croit dans une autre région,restons planqués.»

Le docteur Dross venait d’arriver en catimini, ayant entendu ce qu’avait dit Hector il confirma :

— avec cette ambiance délétère, on ne sait jamais. N’oublions pas que Le Noble est des leurs et que ce n’est pas vraiment un enfant de chœur. »

— Un enfant de chœur ? C’est quoi ? Encore un de vos prototypes ? Demanda Tom en toute bonne foi.

— Je reviens des siècles derniers, j’ai fait une remontée dans le temps dans mon dernier rêve Tom. En ce temps-là, il y avait des enfants de cœur, ils bondissaient comme des anges autour de femmes portant des foulards bleus, ils étaient légers, presque immatériels.

— Bon ça suffit Odette, ce n’est pas le moment de plaisanter, d’accord ? assena Jeudi. Tout le monde se tut et attendit. l’heure était effectivement grave.