18/07/2012
Monde civilisé
Lecture qui peut faire du mal, mais un mal pour un bien, espérons-le. Cliquez sur ce lien : http://www.laviedesidees.fr/Qui-ecrira-notre-histoire.html
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Politique qui chamboule tout
Dora décida de se changer les idées et reprit son travail en cours. Elle alla prélever l’eau d’un lac en contre bas du volcan encore en activité puis escalada le flanc du dragon. Toutes les passions humaines avaient l’air de se consumer dans ce chaudron qu’elle contempla des heures durant. La projection continuelle de boules de lave incandescente évoquait un feu d’artifice qui ne demandait qu’à monter pour happer d’un coup de langue de feu le moindre intrus sur son passage, avant d’aller éventuellement flirter avec la voie lactée. Elle contempla les étoiles, surprise par la nuit et fit demi tour en maugréant quelques mots :
« Quel caractère ! Faut pas te donner le bourdon bonhomme, si j’ai bien compris, qui te cherche te trouve. Je ne te veux pas de mal alors de ton côté, pas d’entourloupe Crapotin, je compte sur toi.»
Seule en compagnie de son monstre préféré elle en avait profité pour tenter de remettre les compteurs à zéro. Le volcan s’était montré presque aussi persuasif que Janin. Il ne manqua pas de lui rappeler quelques règles élémentaires de survie mais avec les phénomènes de cet acabit, le bon sens ne suffisait pas, il fallait anticiper, et pour cela, comprendre était encore insuffisant, parce qu’il ne suivait pas de ligne de conduite inscrite quelque part dans ses gènes ou sur le papier à musique d’un destin quelconque, il pouvait être imprévisible. Dora rentra. L’ambiance, à première vue, s’était améliorée à la Corne d’abondance. Hector discutait dans la grande salle, avec un ingénieur. Les couples par ailleurs, étaient moins démarqués que la veille. Chacun avait-il secrètement décidé, dans un accord tacite, de brouiller les cartes concernant sa vie privée. Même dans la salle où l’on prenait le repas, les habitudes s’étaient soudain délitées. Chacun pour l'heure, était planté au milieu d’autres, au gré de sa déambulation hasardeuse ou d'une discussion, qui ne l'était pas moins, avec le premier venu. Jeudi entouré de deux interlocuteurs continua sa conversation, se contentant de lui faire un petit signe amical de la main. Le docteur Dross la héla :
— Il y a du changement dans l’air. La base aéronautique va être implantée ailleurs que dans la zone verte. Les touristes et les Bléassenghs devront se rendre aux abords de la Louradie pour s‘adonner aux vols en orbite. Tout ceci sans doute, dans le but de remettre un peu de mobilité entre les régions, de décloisonner.
— Je ne suis pas partie d'une journée que tout est chamboulé ! Qui a décidé de cela ?
— Décret du gouvernement. Mais il va y avoir un autre problème. Les enfants des gueux sont mutés d’office à la surveillance des robots qui serviront à la construction des nouveaux locaux et à leur maintenance naturellement. Ils ont reçu une bonne formation pour cela. Hector est évidemment muté d’office. Le gouvernement parle de crise, il veut de toute évidence reprendre les rênes du pouvoir.
— Les gueux éloignés d’office de leurs enfants ! Ils vont mal le prendre...
— Les enfants des gueux sont séparés de leurs parents depuis tout jeunes et sont en mauvais terme avec eux.
— Hector s’en va ?
— Si je peux me permettre… je sais de source sûre que Géraldine refuse de partir en Louradie. Elle tient à rester avec l’équipe de Janin s’occuper de la cause des gueux. Certains avaient construit des huttes en pleine forêt, fait des jardins. Je crains que l’État et les Bléassenghs ne fassent main basse là-dessus. Peut-être espèrent-ils que les gueux suivront leurs enfants, même s’ils savent qu’ils ne les connaissent pratiquement plus, sait-on jamais avec la fibre parentale.
— Nous avions cru gagner la partie mais les choses prenant cette tournure…
— Du moins n’est-il plus question de procès contre nous. Mais tout va être démantibulé. Ils veulent nous séparer ...
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16/07/2012
À visage découvert
Les choses s’étaient compliquées à la Corne d’abondance. Depuis l’arrivée de Jeudi, en premier lieu, et celle ensuite, de Tom et Odette. Jeudi avait pourtant cru trouver enfin une famille parmi cette communauté ; les rapports conflictuels que ses parents avaient, comme tenu, à entretenir avec lui étaient oubliés ; en tant que cadet il n’avait pas eu droit à leur affection, il arrivait en effet souvent dans son pays que le cadet soit plus ou moins vu d’un mauvais œil. Il avait néanmoins réussi, dans ce contexte difficile, à devenir avocat. Mais, quand la guerre civile était survenue, il n’avait pas éprouvé de motivation suffisamment forte pour se ranger dans l’un ou l’autre camp. Prendre position contre ou en faveur du milieu de ses parents, de classe moyenne, ne l’intéressa pas. Ceux-ci du reste n’avaient pas, comme à leur habitude, les idées très claires. Au fond, ils étaient des conservateurs qui s’ignoraient tout en s’affichant révolutionnaires. C’est donc avec soulagement que Jeudi avait quitté son pays, comme on se débarrasse d’une peau morte, la chenille s’était définitivement muée en papillon en dépit de la mauvaise rencontre avec les Bléassenghs. Ceux-ci l’avaient certes effrayé, mais eux, ne lui devant aucune espèce d’affection, il était satisfait à son insu de se sentir un étranger à leur égard, autant qu’ils l’étaient pour lui. En ce qui concernait Dora, il ne lui avait pas demandé de quitter Hector, les choses avaient semblé faciles, il n’avait pas perçu la meurtrissure qu’en éprouvait Hector. Mais après l’épisode de l'échappée de Jeudi hors du tribunal, la douleur avait quitté Hector pour refluer quelque temps plus tard vers Dora, douleur qui était passée d’un être à l‘autre, et que lui Jeudi, avait ignorée. Dora ressentit le manque de son ancien mari. L’affection qu’elle portait pour une lointaine période de l’histoire du vingtième siècle concernant des pacifistes qui prônaient le « Peace and love » l’avait-elle prédisposée à ce genre de situation ou reflétait-elle quelque chose de ses fantasmes profonds qui, par ce concours de circonstances s’étaient réveillés. Après l’euphorie de son sauvetage, Jeudi éprouvait maintenant un peu de mal face à l’impudeur soudaine de Dora, Hector avait semblé jouer avec elle en toute innocence mais déjà à ce moment là il partait définitivement ailleurs pensa-t-il, ce comportement avait été le signe d’un détachement qui se concrétisait d’étrange façon. Et Dora avait maintenant l’attitude envers Géraldine, d’une mère acariâtre, jalouse de sa belle-fille. Étrange revanche, pourrait-on croire si l’on ne connaissait pas la générosité profonde d’Hector. Odette comprenait que les choses manifestement confuses dans l’esprit de Dora, n’étaient pas glauques pour autant. Cette équipe de chercheurs avait beaucoup donné malgré les tâtonnements, ils étaient fatigués, peut-être même un peu perdus, égarés à la manière des gueux de qui ils avaient pris la défense. Odette regarda Dora qui pleurait à visage découvert
— Tout est fragile, lui dit-elle. L’amour flirte souvent avec le sentiment que la personne aimée est tout à soi, elle en fait tellement partie. C’est parfois si dur de laisser partir quelqu’un que ça peut rendre fou comme la mort d’un enfant. Mais en réalité, il n’est pas bien loin Hector, à quelques kilomètres d’ici.
— Tu parles « carré », ça me va, lui répondit Dora.
— Tu as de la chance, Hector et Jeudi se respectent, ils s'estiment beaucoup.
Tom alla chercher sa guitare, entonna un blues en résonnance avec celui que les gueux allaient bientôt chanter au grand ravissement d’Hector et Géraldine. La musique chassa de la maison les derniers esprits mauvais qui auraient voulu encore s'y attarder.
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