28/10/2007
J'aime l'âne
j'aime l'âne si doux
Marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
Et bouge ses oreilles ;
Et il porte les pauvres
Et des sacs remplis d’orge.
Il va, près des fossés,
D’un petit pas cassé.
Mon amie le croit bête
Parce qu’il est poète.
Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.
Jeune fille au doux cœur,
Tu n’as pas sa douceur :
Car il est devant Dieu
L’âne doux du ciel bleu.
Et il reste à l’étable,
Fatigué, misérable,
Ayant bien fatigué
Ses pauvres petits pieds.
Il a fait son devoir
Du matin jusqu’au soir.
Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille…
Mais l’âne s’est blessé :
La mouche l’a piqué.
Il a tant travaillé
Que ça vous fait pitié.
Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.
L’âne n’a pas eu d’orge,
Car le maître est trop pauvre.
Il a sucé la corde,
Puis a dormi dans l’ombre…
La corde de ton cœur
N’a pas cette douceur.
Il est l’âne si doux
Marchant le long des houx.
J’ai le cœur ulcéré :
Ce mot-là te plairait.
Dis-moi donc, ma chérie,
Si je pleure ou je ris ?
Va trouver le vieil âne,
Et dis-lui que mon âme
Est sur les grands chemins,
Comme lui le matin.
Demande-lui, chérie,
Si je pleure ou je ris ?
Je doute qu’il réponde :
Il marchera dans l’ombre,
Crevé par la douceur,
Sur le chemin en fleurs.
Francis Jammes
19:50 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)
le flou
Les cartes se brouillent en politique, l’ouverture plus propice à la confusion, qu’à éclairer les motivations des uns et des autres. Servir les intérêts des plus forts, reste trop souvent en politique, une priorité qui risque du coup, de s’accentuer au détriment des exclus. Au vu du reportage sur les SDF, au journal télévisé d’hier soir, des milliers de personnes vont encore devoir affronter l’hiver dans la rue, malgré les promesses de logements faites l’hiver dernier. En de telles situations, les "simples citoyens" ont d’autant plus besoin de clarté au niveau des valeurs défendues par les différents politiques. Pour aider plus efficacement, encore faut-il pouvoir se faire une idée juste de qui sont les responsables. Sinon, comment délier la bourse d’un État toujours enclin à la rétention monétaire quand il s’agit de secourir les plus démunis dans ce floutage des personnes et des valeurs ?
08:10 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)
27/10/2007
L'ombre
Une autre fois, dans ce quartier sinistre,
Nous nous sommes assis sur un banc, à la nuit,
Et le vent qui chassait la pluie,
Les globes des hôtels meublés,
Les marlous aux chandails humides,
Les filles qui nous regardaient
Accumulaient, autour de nous, les maléfices
Dont le cercle se rapprochait,
Alors tu t’es mise à pleurer,
A m’expliquer, sans élever la voix,
Qu’un jour tu me délivrerais
De ces larves qui sont en moi…
Tu parlais et la pluie tombait.
C’était la pluie qui te faisait pleurer,
Comme un chagrin que rien n’apaise,
Comme une peine inconsolée.
Et la ronde des ombres et des feux des maisons
Tournait infatigablement
Avec ses voyous et ses filles,
Ses bars, où les phonos grinçaient,
En nous jetant quelquefois, par la porte,
Comme l’appel d’une voix morte…
La ronde que rien ne lassait,
Tournait et m’emportait, avec toi qui es morte,
Tourne et m’emporte encore, avec tout mon passé,
Hors du temps, hors du monde, hors de tout ce qui est
Ou qui n’est pas, mais que toi, dans l’ombre, tu sais…
Francis Carco
16:35 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)