01/04/2013
Pas narcisso
Si on aimait tout de soi, de ses proches, des bons auteurs, ce serait le nirvana. Personne n’étant parfait, j’estime donc, la mâturité aidant, qu’il me faut m’efforcer de rester dans l’attitude convenable, celle de la bienveillance dans les limites du possible, dès que je me heurte à quelque chose que je n’aime pas en moi ou en quelqu’un d’autre. Je me débrouille donc pour lire des auteurs, pourvu qu’ils soient bons écrivains, dont je n’apprécie pas forcément complètement la personnalité, je pense notamment à Chateaubriand que je m’efforce de tolérer quand il décrit ses parties de plaisir à la chasse lorsqu’il était enfant (ce n'était qu'un enfant à demi sauvage, très seul, me dis-je, sans l'excuser pour autant). C’est quelque chose d’incompréhensible pour moi la chasse, moi qui m’enfuyais à toutes jambes quand on tuait le cochon à la ferme voisine. J’étais maigre comme un coucou petite mais je m’identifiais quand même à la truie, au verrat, au cochon en tout genre qui s’égosillait de peur face à ce qui l’attendait. Une trouillarde certes mais au grand cœur aussi, qui a bien grandi j’espère au niveau de la maîtrise.
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Courage
La science rive son clou à plus d’un. Il me suffit de me retrouver devant la mise en équation du ruban de Moebius pour prendre conscience qu’elle n’est pas vraiment à ma portée en l’état actuel des choses, ses équations logiques m’échappent autant que n’importe quelle formule magique et du coup nul doute quant au fait que la science, éventuellement, peut me couillonner beaucoup. Elle peut faire tout et son contraire, en fait. Elle a ses saints, ses martyrs, cobayes consentants ou pas, ses sauvés, et ses tués parce que, en ne suivant que ses objectifs, elle peut parfois écraser sur son passage ceux qui ne représentent rien pour elle, qu’elle ne voit pas. La science a ses élus et ses laissés pour compte en cela elle ne diffère pas tellement des religions du temps passé. Et elle a aussi ses addictes évidemment… dernièrement j’ai entendu parler des quelques politiques au Japon qui veulent réinstaller de nouveaux réacteurs sur des zones sismiques. Je crois d’ailleurs que c’est à la lecture de cette info que m’est venu le rêve de cette nuit : une animatrice télé très charismatique, en ce sens qu’elle a l’art de plaire à un large public, se transformait d’un coup en tueuse en série. Dans le rêve, non prémonitoire j’espère, les quelques rescapés se sont enfermés à double tour en attendant que lentement la démente arrive jusqu’à eux. D’un coup une dame charmante incarnait la monstruosité et ses victimes incarnaient eux, la peur. Ce sont toujours les victimes qui incarnent la peur, et c’est probablement pour lui échapper que d’aucuns choisissent le camp des bourreaux. My god ! donne-moi le caractère de l'abeille, le courage. Et à vous tous.
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31/03/2013
Les Prodiges de la vie - Stefan Zweig
Il s’aperçut en frissonnant que, l’espace d’un moment, la plénitude de la grâce et la pire pesanteur s’étaient donné la main et il perçut le flux et le reflux de vagues puissantes, sans savoir si elles allaient exalter sa vie ou l’entraîner vers des profondeurs menaçantes. Mais il se sentait sans énergie face à la crainte, comme face à l’espérance ; il n’éprouvait que de la compassion pour cette jeune vie devant laquelle s’ouvraient encore tant de chemins et de perspectives. En vain il chercha que dire ; les mots étaient d’une lourdeur de plomb et rendaient un son faux. Que valaient-ils en comparaison d’un seul souvenir douloureux ?
Il passa tristement la main sur la chevelure frémissante d’Esther. Elle leva les yeux, confuse et troublée ; d’un geste machinal elle remit ses cheveux en ordre, puis elle se redressa, laissant errer ses regards autour d’elle, comme s’il lui fallait s’adapter à nouveau à la réalité. Ses traits s’affaissèrent, traduisant sa fatigue, seuls ses yeux flamboyaient encore d’une lueur sombre. Elle se ressaisit brusquement et dit, très vite, pour dissimuler les sanglots qui faisaient encore trembler sa voix : « Il faut que je m’en aille. Il est tard, et mon père m’attend. »
[…] Le vieil homme resta seul, plongé dans une profonde méditation. Il croyait encore au miracle, mais le prodige, parce qu’il y voyait uniquement un jeu de la vie, conduit par la main de Dieu, lui apparaissait beaucoup plus solennel et beaucoup plus divin. Il renonça à l’idée de faire rayonner la foi en des promesses mystiques sur le visage d’un être dont l’âme était peut-être déjà trop abattue pour croire encore. Il ne voulut plus faire preuve d’outrecuidance en se faisant le médiateur de Dieu ; il se contenterait d’être son modeste serviteur, qui de son mieux s’efforce de créer un tableau, et le dépose avec humilité au pied de l’autel, comme d’autres leur offrande. Il comprit que c’était une faute de se préoccuper des signes, de les rechercher, au lieu d’attendre que leur heure arrive et qu’ils se révèlent à lui…
Son cœur s’enfonça de plus en plus dans l’humilité. Pourquoi avait-il voulu accomplir chez cette enfant un miracle que personne ne lui avait commandé ? N’était-ce pas une grâce suffisante que dans sa vie — vide et dépouillée, tel un vieil arbre dont les branches sans feuilles se dressent vers l’azur dans un désir ardent — une autre vie ait pénétré, pleine de jeunesse, qui se blottissait contre lui avec un mélange de crainte et de confiance ? La vie lui avait envoyé un miracle, il le sentait bien ; il lui avait été donné d’offrir et de transmettre l’amour qui continuait d’embraser ses vieux jours, de le planter comme une graine destinée à s’épanouir encore en des fleurs merveilleuses. N’était-ce pas là un cadeau suffisant de la part de l’existence ? Et Dieu ne lui avait-il pas montré comment il devait le servir ? Il avait désiré ardemment un modèle pour son tableau, et il l’avait trouvé ; la volonté de Dieu n’était-elle pas qu’il fît le portrait d’Esther, et non qu’il inculquât à son âme une foi qu’elle ne comprendrait peut-être jamais ? Son cœur s’enfonçait de plus en plus dans l’humilité.
Stefan Zweig - Romans, nouvelles et théâtre - Classiques modernes - La Pochthèque (p.131)
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