12/07/2012
Un cours sous les arbres
Les gueux de la forêt écoutaient attentivement Géraldine, qui avait décidé de s'improviser prof d'histoire dans le but confus de mettre un peu les choses en perspective, en cette période charnière de sa vie dans la communauté et surtout pour se lier d'amitié avec ceux qu'elle avait décidé d'apprivoiser :
— Les premières écritures servirent à consigner, à mettre de la mémoire sur tablettes d’argile, histoire notamment de se souvenir des dettes des uns et des autres, à ce propos, le premier support de la monnaie s’exprima de façon scripturale, à l’instar du chèque, avant de passer, bien plus tard, par le support métallique. Ces supports, les tablettes d’argile, le métal, le papier, n’ont évidemment pas de valeur par eux-mêmes. La monnaie en soi, est une abstraction se rapportant à un échange. Un produit ne s’échangea plus contre un autre produit dont on avait estimé une équivalence de valeur, cette estimation de la valeur s’est abstraite par le biais de la monnaie, on parle d’abstraction de la valeur… retenez bien cette formulation.
Charlotte, une femme de la communauté des gueux, s'étira et bailla avant de prendre la parole
— Il est un peu primaire ton cours d’histoire Géraldine, ton truc à toi c'est les maths. mais pour en revenir à ce qui nous tracasse au présent… tout en restant dans les questions d’échange, les Bléassenghs, estiment comme tout un chacun que les fiduciaires, c'est-à-dire vous, les chercheurs, se doivent de restituer les biens. Au fond, tout s’est passé comme avant l'invention de la monnaie entre les Bléa et vous, en terme d’échange, non ? Vous leur aviez pris la forêt « en douce », en échange de quoi vous avez tenté de les amadouer avec des robots soigneurs, infirmiers et autres ordinateurs sur pattes, et au bout du compte, ça n’a pas marché. Nous les gueux nous avons fini par savoir vos raisons d’agir ainsi... c’était une tentative pour endiguer la prolifération d’arbres aux pendus.
Elle pouffa et continua :
" Mais bon, il aurait peut-être mieux valu passer par la justice."
— Nous avons essayé de les dissuader en douceur en espérant les amener à réfléchir. Ils nous avaient idéalisés, de ce fait, il y avait un sentiment de culpabilité de notre part à leur encontre… répondit Géraldine, d'un ton conciliant.
— C’était très mal vu quand même ! insista Charlote."On ne fait qu’empirer les choses en caressant les egos dans le sens du poil… Ben oui, c’est bien ce que vous faisiez somme toute. Pour finalement être obligés de les prendre à contre-poils par la suite ! Je sais, il fallait absolument réagir ! Le Noble, en excitant les édiles de Bléassenghs contre vous par le biais de Tom et Odette vous a contraints à sortir le grand jeu. Il n’avait pas prévu les ripostes sophistiquées d’Hector, le bougre ! Certains de ses chiens sont de vraies machines de guerre. L’État ne va plus vous quitter de l’œil après ça ! Fini de déléguer. Vous restez, c'est une chance pour nous, mais serez surveillés comme l’huile sur le feu désormais et j’ai entendu dire que les Bléassenghs ont choisi ce moment pour réclamer leur indépendance, c’est d’autant plus fou qu’ils n’ont jamais été colonisés.
Ils se mirent à rire tous, sauf Géraldine quelque peu déstabilisée par l'aisance inattendue de Charlotte qu' elle avait imaginé timide. Elle regarda Hector en train de sourire à leur nouvelle connaissance, il était assis en tailleur sur l'herbe parmi les ex-gueux que Janin leur avait présenté, Peter à ses côtés. Charly, pour aider Géraldine à reprendre contenance proposa de faire de la musique.
— Un petit blues du temps des champs de coton du lointain vingtième siècle, on reste dans l'histoire ; ça vous dit ? Nous les gueux sommes des troubadours, sans la musique nous n’aurions pas pu survivre.
— OK dit Hector, c’est un bon deal. Qu’est-ce que tu dis de cette petite récré pour te faire payer ton cours d’histoire Géraldine ?
— Je donnerais dix cours pour ce genre de récré répondit-elle. On t’écoute Charly.
Les gueux se sentirent d’un apport inestimable lorque la musique commença.
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10/07/2012
Hector et Peter
Le lendemain matin les chercheurs qui avaient l’habitude de se retrouver autour de la grande table du petit déjeuner étaient là, ne manquait à l’appel que Géraldine, brillante mathématicienne en plus d’être une jeune femme de grande beauté. Elle n’avait pas, néanmoins, la renommée de Dora, n’était pas célèbre. D’un caractère plus effacé elle évitait au contraire la moindre interview concernant ses recherches et se contentait de mettre ses compétences et ses trouvailles au service des uns et des autres. Hector, Dora et Jeudi se chahutaient comme des enfants.
— Holà les enfants dit le docteur Dross, un peu de calme ! Laissez-moi vous annoncer une bonne nouvelle.
— Nous avons gagné ? demanda Jeudi. Nous restons en zone Verte ?
— Nous gardons le contrôle de cette zone, des membres du gouvernement nous ont fait savoir il y a à peine une heure qu’ils ne voient pas à qui d’autre ils pourraient confier la surveillance de cette zone volcanique, sinon à Dora et son équipe. En ce qui concerne la robotique et l’informatique, Hector leur a fait une petite démonstration qui a mis en échec les manigances de Le Noble pour nous compromettre. Par contre, côté Bléassenghins, il reste quelques problèmes à régler... leur pouvoir au niveau régional est loin d’être négligeable. Nous allons donc devoir leur rendre une grande partie de la forêt, en plus de la Corne d’abondance. Pour le tourisme, les Bléassengh pourront hélas récupérer cette grande et magnifique maison que nous avions si bien investie. Elle fait partie de leur patrimoine, d‘après le gouvernement. Janin de son côté affirme que la bicoque les réconciliera avec eux-mêmes, avec les esprits de la forêt …
— … Et qui sait, à la longue, avec les traîne-misère, ceux qui comptent pour du beurre, les gueux...
ajouta Géraldine qui venait de faire son entrée. Le trio des amoureux avaient cessé d’être turbulent, et regardaient maintenant la nouvelle venue d’un air grave, comme si la jeunesse et la beauté de Géraldine les surprenaient, la jeune femme leur avait communiqué sa mélancolie, elle continua :
« J’ai passé la nuit avec Peter, Janin, sa fille et quelques gueux. Je leur ai raconté les performances d’Hector avec les robots, ils ont été rassurés. Hector, de qui j’étais vaguement la petite amie avant-hier encore … »
Au prénom de son fils Odette avait redoublé d’attention, mais outre cela, Géraldine lui devint soudainement sympathique en dépit de sa beauté froide.
— Tu as donc traversé la forêt seule ? C’était truffé de robots patrouilleurs ! Ils auraient pu t’immobiliser jusqu’à ce qu’on s’inquiète de ton absence. Tu n’as pas voulu que je te mette une puce. On t’aurait vu arriver ici, menottes aux mains. Tu as failli te tourner en ridicule ! commenta Hector.
— D’autres s’en étaient bien chargés avant moi, répondit Géraldine sans passion. J’avais besoin de me retrouver. Tiens voilà ton jouet, ajouta-t-elle
Géraldine lui lança la tablette qui lui permettait de mettre les robots sous contrôle.
— Tu avais piqué ma tablette ! Les robots montent toujours la garde au moins ? Tu n’as pas fait de bêtise ?
— Je ne suis pas une enfant, ne prends pas ce ton avec moi ! Je leur ai donné le mot de passe. Toi, Janin et moi, étions les seuls à le connaître, si tu t’en souviens.
— Tu veux que je revienne Géraldine ? Attends, je te rejoins bientôt, le temps de prendre mes affaires.
— Non. Ton attitude m’a fait réfléchir, reste avec Dora et Jeudi si le cœur t’en dit. Janin et moi avons d’autres préoccupations que les vôtres. Nous cherchons un moyen de pacifier les Bléassengh. Janin m’a donné une idée : enseigner les math à d’anciens gueux qui sont avec lui depuis quelque temps déjà. À ceux qui le veulent, et qui ont des dispositions pour les maths évidemment. Ensuite nous les guiderons vers les Bléassenghs qui ont besoin de se perfectionner dans cette matière.
— Les robots sont d’excellents professeurs argumenta Hector. Et les Bléassenghs n’accepteront jamais d’anciens gueux comme prof de toute façon. N’oublie pas que les gueux sont marqués au poignet, ils les reconnaîtraient et les rejetteraient sur le champ, de plus ils prendraient cette proposition comme une nouvelle provocation de notre part. On dirait que tu ne les connais pas ! Si tu veux nous mettrons de nouveaux robots à leur service.
— Après ce qui leur est arrivé, ils vont peut-être commencer à se méfier de tes robots ! Quant aux robots- professeurs qu’ils ont déjà, ceux qui sont mauvais en math restent en échec avec eux. Les Bléassenghs ont besoin de présence humaine pour progresser. Les robots, aussi bien que les politiques, ne produisent pas de changement de mentalité. Janin m’a laissé entrevoir une possibilité de pacifier les Bléassenghs. Cette nuit par exemple j’étais perdue, et lui m’a aidée à me retrouver. Tu as sauvé Jeudi mais envers moi tu aurais pu devenir un bourreau ordinaire si Janin n’était pas venu à ma rencontre.
Dora contint sa colère et déclara sèchement
— Ne cherche pas à culpabiliser Hector, Géraldine ! Nos relations ne te regardent pas.
— Alors cessez vous-même de me regarder et de me demander des comptes ! Je m’en vais.
Sur ces paroles, Géraldine leur tourna le dos et sortit. Le joli trio de potaches s’était dissout sous l’impact d’un tel coup. Chacun des trois protagonistes était redevenu grave. Jeudi, après pareille intervention, ne se sentait ni tout à fait innocent, ni tout à fait coupable mais un peu dans la peau de Géraldine ; une part de lui-même pensait ne pas mériter une telle enfant. Dora se trouva soudainement vieille sous le regard d’Odette qui, malgré des rides naissantes, lui sembla fraîche comme une fleur sous la rosée matinale. Les choses, malgré la victoire écrasante des chercheurs prirent un goût un peu amer pour tout le monde. À en croire cette enfant qu'était encore Géraldine à leurs yeux, un peu de laisser aller faisaient d’eux des Le Noble en puissance. Hector quitta sur le champ ses amis, récupéra ses affaires et alla s’installer dans une chambre du foyer hospitalier, auprès du chamane et de sa fille. Peter, qui avait pris ses quartiers non loin de là le contempla de ses yeux sombres à son arrivée. Hector lui trouva une ressemblance avec Géraldine, il trouvait que Peter aurait pu être son jeune frère, il avait le même regard. Il se prit à l’aimer et en ressentit une sorte d’apaisement.
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06/07/2012
La Corne d'abondance, suite des Marcheurs
Jeudi se laissa emporter, épuisé, vers la Corne d’abondance.
Dora s’était rendue dans le grenier de la maison, là où l’on aimait à se représenter les bienveillants fantômes des premiers habitants, là également où Jeudi et elle avaient fait l’amour pour la première fois, alors qu’elle lui présentait un assortiment de vêtements de change après l’avoir sauvé de l’agression d’une bande de Bléassengh ; cela à l‘insu de son compagnon d’alors, Hector, qui en fut quand il l’apprit par la suite, assez meurtri. Elle s’apprêta dans le coin salle de bain, se parfuma et attendit fébrilement. Des bruits de voix se firent entendre en bas, Hector riait, Jeudi semblait murmurer. Le café était en train de se faire à en juger au parfum qui se répandait dans la maison, elle entendit Tom et Odette qui descendaient précipitamment les escaliers, l’enthousiasme d’une joie enfantine au coeur.
— Mais oui, tu peux l’embrasser aussi ce robot Tom, il l’a bien mérité !
Tout le monde s’esclaffa, seule Dora tremblait, elle sentait la présence magnétique de Jeudi, il était déjà près d’elle lui semblait-il. Tout le monde la savait submergée par l‘émotion dès qu‘il s‘agissait de lui et comprenait son attitude. Chacun félicita Jeudi, le réchauffa de son amitié ; on dégusta un café et personne ne s’attarda. Ils le laissèrent s’éclipser. Aucun d’eux n’avait mentionné Dora mais il savait où la trouver. Quand la porte s’ouvrit, elle ne fut pas trop étonnée de voir deux hommes s’avancer en souriant vers elle. Hector avait été son premier mari, la séparation, bien que douloureuse, n’avait pas détruit l’amour qu’ils se portaient, Jeudi les savait encore épris l’un de l’autre ; il aimait Hector presque autant que Dora, le désir en moins. Jeudi et Dora s’embrassèrent, elle enlaça ensuite Hector. Les trois balbutiaient leur bonheur à la façon d’enfants maladroits. Les amoureux firent l’amour, Hector caressant la tête de Dora qui se retourna enfin vers lui, lui chuchotant son admiration, elle le remerciait d’avoir sauvé Jeudi. Ils restèrent ensemble durant un certain temps pendant lequel la rumeur s’ébruita que les ébats dans le grenier concernaient aussi bien Hector que le rescapé. "Ouf ! dit doctement Monsieur Dross, je pensais que Dora trompait Jeudi avec Hector ces derniers jours, mais il n’en est rien. Rien à dire en ce cas, c’est loyal et mâture." Les autres se rangèrent à son avis, trouvant, dans le contexte de la rencontre de Jeudi et Dora, la chose assez normale compte tenu qu’Hector n’avait toujours pas repris véritablement femme depuis le départ de Dora, son épouse d’alors, avec Jeudi. Les collègues de la zone verte ne trouvaient pas Dora réellement belle comme l’était Géraldine par exemple, mais désirable. Après tout Hector et elle avaient ensemble de grands enfants, déjà étudiants par ailleurs. Ces deux là s’aimaient encore, ils s'en étaient bien douté, et ce, en dépit du coup de foudre qui s’éternisait entre Jeudi et Dora. Ils pensèrent que Jeudi faisait preuve d’intelligence, son empathie naturelle pour Hector, et maintenant sa reconnaissance, tout cela avait rendu la chose, a priori hors du commun, du rapport intime à trois, assez naturelle finalement, les concernant, et spontanée leur semblait-il. Lorsqu’ils poussèrent plus loin la réflexion, ils en conclurent que des retrouvailles de ce genre à deux leur eussent au bout du compte, paru mesquines à l’encontre du pauvre Hector. Ils se quittèrent un sourire de bienveillance aux lèvres pour les amoureux, après avoir mis Tom et Odette quelque peu interdits, dans la confidence. De mémoire de Louradiens, jamais on avait entendu femme plus expansive sur le plan vocal, que Dora. Ils estimèrent quant à eux que leurs nouvelles connaissances, ils n’osaient plus dire amis après leur expérience récente avec les faux gueux, agissaient en accord avec leurs convictions pacifistes, balayant ainsi au passage d’absurdes rivalités.
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