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31/10/2020

Extrait de l'entretien avec Michel Le Bris

Extrait d'un entretien avec Michel Le Bris, du Télérama de la semaine du 19 au 25 mai 2018. N° 3566.

 

Propos recueillis pas Michel Abescat pour Télérama :

 

Michel Le Bris dit notamment en réponse à la question : Si la Bretagne est un pilier de votre existence, Mai 68 en est un autre. Quel souvenir en gardez-vous ?

 

[...] "J'étais [ainsi] dans ce moment complexe où je me demandais comment avouer à ma mère que je n'utiliserais jamais mon diplôme d'HEC, dont elle avait tellement rêvé. Je l'avais obtenu pour elle, pour qu'elle y trouve sa revanche ; elle voulait que j'aie un "bon métier", que je devienne un de ces patrons pour lesquels elle avait travaillé. Je savais que ce n'était pas ma voie. Comment le lui dire ?

D'une manière générale, les gens de mon âge craignaient l'avenir qu'on leur proposait, c'était un film en noir et blanc façon Jean Gabin, quand nous étions d'un monde en couleur. Le Flower Power, le rock, le jazz, la BD... j'avais toutes ces contradictions dans la tête quand, brusquement, Mai 68 est venu tout régler. Il n'était plus question du monde ancien. Je me souviens que les gens se souriaient, quelque chose de très fluide passait entre eux, de spontané, qui contrastait avec les violences dans la rue, les cocktails Molotov, les flics. Je m'étais engagé dans la gauche prolétarienne, mais je garde d'abord le souvenir de cette tendresse, de cette allégresse, de ce sentiment que chacun avait d'être plus grand que lui. Dans le fond, l'inconscient du mouvement susurrait qu'il n'était pas principalement politique, mais d'abord culturel. Au-delà d'une revendication classique, c'était une volonté de vivre autrement qui s'exprimait."

 

Ensuite Michel Le Bris dit avoir quitté la gauche prolétarienne après avoir purgé huit mois de prison en raison de son poste de directeur du journal La cause du peuple. Il garde un souvenir extraordinaire de l'après-soixante-huit dit-il, qu'il a vécu aux côtés de Sartre, de Michel Foucault, de Maurice Clavel, d'André Glucksmann, de Guy Lardreau, de Christian Jambet. Il s'agissait alors pour eux de : "penser une philosophie de la liberté accordée à ce que nous avions vécu, en ayant le courage de mettre en cause les dogmes marxistes qui jusque-là paraissaient indépassables."

Plus loin il déclare : "Il s'agissait d'annoncer la possibilité d'un âge de la fiction, de mettre en avant la dimension poétique de l'être humain qui le fonde dans sa grandeur, sa liberté, sa capacité d'imagination et de création, de rêve et d'invention, d'affirmer qu'il y a en chaque homme quelque chose de plus grand que lui. Quelque chose qui ne peut pas être réduit au social. Si nous étions uniquement déterminés par notre milieu social, je travaillerais aujourd'hui sur les parcs à huîtres de la baie de Morlaix. je sais d'où je viens, j'ai vu la souffrance et l'humiliation de ma mère, et je me suis dit quand j'étais petit : jamais ! Jamais je n'accepterai cela. Il y a quelque chose qui se dresse en soi à ce moment-là qui est plus fort que tout. Nous sommes plus grands que nous. C'est à partir de cette déflagration de l'imaginaire qu'on peut redéfinir une philosophie de la liberté. L'histoire de ce que j'ai écrit, l'histoire du festival Etonnants Voyageurs, tout, s'ordonne autour de cette idée."

 

Commentaire : J'espère que ce festival aura lieu ! Par ailleurs ce que dit Michel Le Bris pose la question des "petits boulots" qui, s'y on s'y enferme peuvent nous faire croire que nous sommes nous-mêmes petits, dans le sens mesquin. Personnellement "j'ai eu fait" des petits boulots et j'ai essayé de ne jamais m'identifier à ces "petits" boulots, que je faisais avec pragmatisme et  pour gagner un salaire, dans le même esprit que les baroudeurs américains. Évidemment, si on s'assimile à ce travail cela devient dangereux pour soi-même.

Les éboueurs, par exemple, si on ne les amalgame pas avec leur "petit" travail, on peut les voir comme des héros ; des fées, concernant les femmes de ménage dans le sens non ironique ici de fées du logis. Mais sans doute ne faut-il pas trop longtemps les faire ces petits jobs ? À moins que d'être particulièrement forts dans sa tête, car ils peuvent sans doute finir par écrabouiller les personnes, surtout si on ne les respecte pas en retour. Et puis, ils sont pleins de contre mouvements qui usent l'organisme, mettent le dos en compote etc. Ils ne sont pas bons pour la santé physique et cela peut se répercuter sur la santé mentale.

 

En tant que chrétienne d'éducation je me souviens de Jésus nettoyant les pieds de ses apôtres, du Seigneur se mettant au service des petits, les petits étant finalement les bourgeois parfois. Mais si ce n'était pas un jeu pour Jésus, cela peut devenir chez les hommes ordinaires un jeu dangereux hélas où le sadisme prend le pas, avec des rapports sado/maso malsains.  

07:03 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

30/10/2020

Lecture du jour : Jean Sulivan ♣♣♣ Il n'est pas allé à l'école mais n'empêche...

"Jean Sulivan

 

 

La conversation quotidienne n’est que rengaine jusqu’au moment où quelqu’un parle de son propre regard, de sa voix, remonte de son fond une impression, une révélation qui est sienne; comme dans les livres tout est vain qui n’est pas cela, le jaillissement irrépressible de la vérité la plus intime qui appartient à tous… Et sans doute l’exil n’est-il supportable que parce qu’il y a cette frontière perdue, retrouvée, au-delà de ce qui protège et masque, mots, briques, papiers peints… 

 

Comme si ces impressions qui peuvent surgir d’un magma de médiocres souvenirs et qui vous envoient à l’improviste un coup léger, vous griffent le cœur d’une fine blessure, comme si ces impressions, ces traces actives en nous, presque sans nous et souvent à jamais ignorées, étaient ce qu’il y a de plus intime, de plus incommunicable et cependant de plus universel, si du moins la parole vient à leur donner existence.

 

Point n’est besoin de toujours les avoir ressenties soi-même, chacun les croit reconnaître dans le tremblement de la voix, d’une écriture, participe au bonheur de celui qui les exprime sans les avoir peut-être vécues, mais parce qu’il les a reconnues sur un visage, car ce qui se tient aux profondeurs est aussi, une seconde, surface et forme, une lumière dans un regard, une ombre, ce pli du front, des lèvres, aussi nécessaire, inattendu, imprévisible que les traces sur la pierre que laissent la pluie, le vent, la mer; aussi vraies, plus vraies que les idées abstraites mais que nous ne savons déchiffrer, et les mots ne nous sont donnés que pour retrouver la palpitation de ces secondes perdues, retrouvées, immuables tout au long d’une vie, la joie secrète hors du temps, quand l’éternité déborde. 

Jean Sulivan, Car je t’aime ô Eternité (Gallimard, 1966)"

 

Lu sur le site Jubilate Deo.

 

Jean Sulivan :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Sulivan

 

♣♣♣

 

Luchini parle du ressentiment  :

https://youtu.be/4LtC55vX948

 

Un lièvre en son gîte songeait :

 

https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/jean_de_la_fontaine/le_lievre_et_les_grenouilles

 

Le mot manquant

Je relisais l'extrait du post concernant Baldwin, post qui date d'hier et je me suis aperçue que j'ai oublié de taper un mot. La phrase devient donc une énigme : "Baldwin soulignait la libération qu'il avait ressentie "lorsque toutes les catégories américaines de mâle, femelle, hétéro ou pas, noir ou blanc volèrent en éclats, Dieu merci, très dans [sa] vie."

 

Solution de l'énigme : il manquait le mot "tôt", ce qui nous donne : "très tôt dans sa vie". Et cela prend sens.

 

À propos de sens. Qu'est-ce qui manque dans la vie pour qu'elle prenne sens ? Je pense que c'est la capacité à aller au-delà de l'égoïsme. Chose difficile en fait. Nous ne demanderions pas mieux que d'être épicurien et cueillir le jour en consommant à tirelarigot, et que constatons-nous ? Non seulement la planète en meurt, mais aussi des gens, laissés pour compte parce que d'autres ont trop tiré la couverture à eux, en meurent. Les adolescents constatent aussi cela, avec plus d'acuité encore, leur avenir de "nanti" n'étant pas encore assuré.

 

Que se passe-t-il comme malaise à l'école (pas seulement ces temps-ci) ? Ce qui participe beaucoup du malaise à l'école à mon sens  est que celle-ci n'est pas forcément l'idéal  espace de méditation que beaucoup de professeurs aimeraient qu'elle soit, la plupart d'entre eux du moins, comme Samuel Patty, de toute évidence, qui voulait pointer du doigt les difficultés rencontrées par certains citoyens confrontés à certains sujets.

Les enseignants sont mal à l'aise face à l'avenir déjà compromis de certains élèves, quant à ce qui va advenir de ceux qui ne sont pas bons en math, non plus informaticiens dans l'âme, tous les métiers protégés du système passant par ces deux matières, qui sont comme les deux cases du jeu de l'oie périlleux qu'est encore le système. Pour les élèves en classe littéraire, philosophie, et aussi les "cancres", tout dépendra des réseaux de la famille de l'élève et de la chance (les musiciens virtuoses, par exemple, pourront toujours gagner leur vie,  au moins dans le métro).

Hélas, pour les professeurs qui ont foi en leur métier d'enseignant, si noble en soi, l'école pour le moment est surtout un espace de sélection pour orienter vers les bonnes filières un certains nombre, qui n'est pas le plus grand nombre.

 

La vie de l'homme n'est pas tout à fait comme celle d'un chat domestique comme Yoko. Yoko le chat s'était donné pour mission d'adoucir la vie de ses maîtres, en échange de ses repas. La vie de l'être humain n'est pas de servir un maître, mais d'agir pour devenir maître de soi, somme toute, vaincre son égoïsme et donner indifféremment aux autres humains, au mieux de ses capacités, pour que ce monde ne devienne pas uniquement un monde d'informaticiens chevronnés et de mathématiciens faisant toujours plus avancer les technologies diverses et variées, mais un monde de fraternité réelle. Pas facile de vaincre l'égoïsme, j'en conviens. 

"Moi-même d'ailleurs comme dirait Pierre Desproges dans un sketch que j'imagine et qui correspondrait bien à son humour, j'ai fort à faire avec mes déconvenues égotiques... Priscilla et ce fumier d'Albert, par exemple.    

06:20 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)