Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/03/2013

...le vent semblait courir à pas légers

"Dix heures sonnaient enfin à l’horloge du château, mon père s’arrêtait subitement : le même ressort qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d’argent surmonté d’une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l’ouest puis revenait dans la salle, son flambeau à la main, pour se rendre dans sa chambre à coucher au fond de la petite tour de l’est. Lucile et moi nous (nous) tenions sur son passage, tremblants de respect et de frayeur. Nous l’embrassions en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa tête vénérable sans nous répondre, continuait sa route, s’enfonçait dans les ombres de la salle, disparaissait dans un corridor et se retirait dans la tour dont nous entendions les portes se refermer sur lui. Dans ce moment le talisman était rompu : ma mère, ma sœur et moi, transformés en statue par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désenchantement se manifestait par un débordement de paroles. Si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher, et nous lui reprenions dans un quart d’heure, tout ce qu’il nous avait dérobé dans un jour.

Ce torrent de paroles écoulé, j’appelais la femme de chambre et je reconduisais ma mère et ma sœur à leur appartement. Avant de me retirer, elles me faisaient regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les passages et les corridors voisins. Tous les contes qui faisaient la tradition du château, leur revenaient en mémoire. Les gens étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, mort il y avait deux cents ans, apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré plusieurs fois dans le grand escalier de la tourelle. Deux faits mieux prouvés venaient mêler pour ma mère et pour Lucile la crainte des voleurs à celle des revenants et de la nuit. Il y avait quelques années que mes quatre sœurs, alors fort jeunes, se trouvaient seules à Combourg avec mon père. Une nuit elles étaient occupées à lire ensemble la mort de Clarisse. Déjà tout effrayées des détails de cette mort, elles entendent distinctement des pas d’homme dans l’escalier de la tour, qui conduisait à leur appartement : il était une heure du matin. Épouvantées, elles éteignent la lumière et se précipitent dans leur lit. On approche, on arrive à la porte de leur chambre, on s’arrête un moment pour écouter ; ensuite on s’engage dans un escalier dérobé qui communiquait à la chambre de mon père ; quelque temps après on revient, on traverse de nouveau l’antichambre et le bruit des pas qui s’éloignent, s’évanouit dans la profondeur du château.

Mes sœurs n’osaient parler le lendemain, car elles craignaient que le revenant ou le voleur ne fût mon père lui-même qui avait voulu les surprendre. Il les mit à l’aise en leur demandant si elles n’avaient rien entendu. Il raconta qu’on était venu à la porte de l’escalier secret de sa chambre et qu’on l’eût ouverte sans un coffre qui se trouvait par hasard devant cette porte. Éveillé en sursaut, il avait saisis ses pistolets mais le bruit cessant il avait cru s’être trompé, et il s’était endormi. Il est probable qu’on avait voulu l’assassiner : les soupçons tombèrent sur un des domestiques ; il est certain qu’un homme à qui le château eût été inconnu, n’aurait pas pu trouver l’escalier dérobé par où l’on descendait à la chambre de mon père.

Une autre fois dans une soirée du mois de décembre, mon père écrivait auprès du feu dans la grande salle. On ouvre une porte derrière lui, il tourne la tête et aperçoit un homme qui le regardait avec des yeux hagards et étincelants. Mon père tire du feu de grosses pinces dont on se servait pour remuer les quartiers d’arbres dans le foyer : armé de ses tenailles rougies, il se lève : l’homme s’effraye, sort de la salle, traverse la cour intérieure, se précipite sur le perron et s’échappe à travers la nuit.

Ces récits occupaient tout le temps du coucher de ma mère et de ma sœur ; elles se mettaient au lit mourantes de peur. Je me retirais dans mon donjon au haut de la tourelle du grand escalier. La cuisinière rentait dans la grosse tour de l’ouest, les domestiques descendaient dans leur souterrain, et huit personnes ainsi dispersées dans les diverses parties d’une forteresse, sans communication entre elles, sans sonnettes, sans aucun moyen de se faire entendre, s’endormaient comme elles pouvaient aux cri des chouettes et au bruit du vent. La fenêtre de mon donjon s’ouvrait sur la cour intérieure. Le jour, j’avais en perspective les créneaux de la courtine opposée, d’où pendaient des scolopendres et où croissait un prunier sauvage. Quelques martinets qui durant l’été s’enfonçaient en criant dans les trous des murs, étaient mes seuls compagnons. La nuit je n’apercevais qu’un petit morceau du ciel, et quelques étoiles. Quand la lune brillait et qu’elle s’abaissait à l’ouest, j’en étais averti par ses rayons qui éclairaient mon lit à travers les vitraux de la fenêtre. Des chouettes voletant d’une tour à l’autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux, l’ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l’endroit le plus désert à l’ouverture des galeries des tours, je ne perdais pas un des murmures du vent, et ces murmures étaient étranges. Quelquefois le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois il laissait échapper des plaintes : tout à coup ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements. Puis tous ces bruits expiraient pour recommencer encore. À quatre heures du matin la voix du maître du château, appelant le valet de chambre à l’entrée des voûtes séculaires, se faisait entendre, comme la voix du dernier fantôme de la nuit.

Dans mon enfance ces bruits m’avaient pénétré de terreur : je me cachais sous ma couverture où je suais à grosses gouttes, et ne m’endormais qu’au jour. J’avais été bercé de toutes les histoires d’apparitions que les nourrices bretonnes se racontent depuis le temps d’Olivier de Clisson et de Bertrand Duguesclin."

Chateaubriand Les Mémoires d'outre-tombe p.132 et suivantes 

17:57 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

"... n'auraient dû tomber que sur moi"

"À huit heures, la cloche annonçait le souper. Après le souper, dans les beaux jours, on s’asseyait sur le perron : mon père prenait son fusil, et tirait les chouettes qui sortaient des créneaux à l’entrée de la nuit. Ma mère, Lucile et moi, nous regardions les bois, le ciel, le dernier rayon du soleil, et les premières étoiles. À dix heures on rentrait et l’on se couchait. Les soirées d’automne et d’hiver étaient d’une autre nature. Après le souper lorsqu’on était revenu de la table à la cheminée ma mère se jetait en soupirant sur un vieux lit de jour de siamoise flambée. On mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m’asseyais auprès du feu avec Lucile. Les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une promenade qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de chambre de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. Sa tête demi-chauve était couverte d’un grand bonnet blanc, qui se tenait tout debout. Lorsqu’en se promenant il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie, qu’on ne le voyait plus ; on l’entendait seulement encore marcher dans les ténèbres. Puis il revenait lentement vers la lumière et sortait peu à peu de l’obscurité comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait en passant d’un ton sévère : « De quoi parliez-vous ? » Saisis de terreur nous ne répondions rien : il continuait sa marche. Le reste de la soirée l’oreille n’était plus frappée que du bruit égal et mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère, et du murmure du vent.

Un seul incident variait ces soirées qui figureraient dans un roman du XIe siècle. Il arrivait que mon père, interrompant sa promenade, venait quelquefois s’asseoir au foyer pour nous faire l’histoire de la détresse de son enfance et des traverses de sa vie. Il racontait des tempêtes et des périls, un voyage en Italie, un naufrage sur la côte d’Espagne : c’était alors qu’il avait traversé ces nobles royaumes que son fils devait aussi parcourir, poussé par d’autres passions et d’autres malheurs. Il avait vu Paris ; il en parlait comme d’un lieu d’abomination et comme d’un pays étranger et lointain : les Bretons trouvaient que la Chine était dans leur voisinage, mais Paris leur paraissait au bout du monde. J’écoutais avidement mon père. Lorsque j’entendais cet homme si dur à lui-même, regretter de n’avoir pas fait assez pour sa famille, se plaindre en paroles courtes, mais amères de sa destinée ; lorsque je le voyais à la fin de son récit se lever brusquement, s’envelopper dans son manteau, recommencer sa promenade, presser d’abord ses pas, puis les ralentir en les réglant sur les mouvements de son cœur, l’amour filial remplissait mes yeux de larmes, je repassais dans mon esprit les chagrins de mon père ; et il me semblait que les souffrances endurées par l’auteur de mes jours, n’auraient dû tomber que sur moi."

Chateaubriand Les Mémoires d'outre-tombe p. 130 et suivantes 

11:25 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

Alondra Nelson

Alondra Nelson is a sociologist and teaches at Columbia University. Her social and historical approach to medicine, science and technology has given rise, in particular, to a book on the health policies implemented by the Black Panthers in the 1960s and 1970s.
> Body And Soul: The Black Panther Party and the Fight Against Medical Discrimination (University of Minnesota Press, 2011)

 

Alondra Nelson est sociologue et professeur à l'Université de Columbia. Son approche sociale et historique de la médecine, de la science et de la technologie a donné lieu, en particulier, à un livre sur les politiques de santé mises en œuvre par les Black Panthers dans les années 1960/1970

Le corps et l’âme : Le Black Panther Party et la lutte contre la discrimination médicale (University of Minnesota Press, 2011)

Source : Clé des langues

Mon commentaire à cette lecture : tous les racismes sont odieux et à terme conduisent l'humanité à sa perte. Stop au racisme d'où qu'il vienne.

 

 

10:29 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)