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25/05/2012

Pas facile

Odette quitta la table du petit déjeuner et rejoignit l’une des nombreuses chambres du second étage, la chambre "Prune" ; allongée sur le lit, les mains entrecroisées sur le crâne elle commença à méditer. Deux jours venaient de s’écouler, elle s’imagina sa propre tête au regard de celle qu’avait tirée Tom, à leur arrivée ; interloqués par la présence inattendue de toute cette équipe de scientifiques, ils étaient près de retourner sur leurs pas. Jeudi, Janon et Janin les avaient aidés à monter les tentes pour la nuit et au petit matin ils avaient vu la pancarte confectionnée par Hector où était inscrit «  Bienvenue à La corne d’abondance ». Encore cette manie des petites ardoises, une coutume désuète de la zone verte par souci d’authenticité sans doute, signe en tout cas, de bonne ou mauvaise volonté des habitants. Odette et Tom, après une nuit tranquille avec un Peter qui s’était déjà épris de Janon et son père, firent ce matin-là un détour par l’hôpital, hôpital en fin de construction, d’un nouveau genre, qui ne se trouvait pas loin de La corne d’abondance, n’avaient-ils pas quitté la Louradie pour trouver un lieu de soins à Peter ? Malgré l’amélioration indubitable, son état requérait encore un suivi conséquent, d’autre part toute la bande, d’un commun accord, avait estimé que les parents eux-mêmes avaient l’air éprouvé. Cet instant de retour sur soi lui serait probablement profitable. Peter avait vite pris ses marques dans une aile de l’établissement, aux côtés du botaniste, directeur de l’institution d’envergure mondiale bien que secrète. Eux étaient retournés à la vieille demeure où ils avaient fini par entrer. Géraldine et Dora leur avaient fait visiter cet antre légendaire, c’est dans la chambre « Prune » qu’elle avait choisi de s’installer temporairement, moins impressionnée par l’histoire de la maison se souvint-elle, que par ce concentré de savants en lien avec d’autres génies de la planète, qui semblaient réduire celle-ci à un mouchoir de poche. Malgré leur évidente gentillesse ces prestigieux scientifiques les avaient fait tomber Tom et elle, du haut de leur innocence coriace, de la candeur nouvelle que Peter leur avait insufflée au fil de leur marche à pieds si éprouvante fût-elle. Cette route qu’ils avaient fini par appeler leur « nationale sept », référence à une vieille légende du vingtième siècle, se terminait donc, par ardoises interposées, en pied de nez en ce qui concernait Madame Piéaumur et ses concitoyens à l’âme délicate et en clin d’œil de la part de ces originaux néanmoins admirables. Les savants leur avaient raconté, une fois qu’ils les avaient trouvés suffisamment disponibles, certains de leurs déboires politiques. Les bonnes nouvelles venaient plutôt des architectes et des soignants. Odette espéra en cet instant qu’ils n’aient pas travaillé pour rien, l’inquiétude quant aux possibles représailles des Bléassenghins ne la quittait plus. Elle s’enroula dans le couvre-lit et repensa à l’extraordinaire hôpital de la forêt interdite, conçu pour des claustrophobes, dans un écrin de verdure enclin à rassurer également d’éventuels agoraphobes, cette construction en passe d’être bientôt achevée était sublime, semblait vouée à l’infini et dans sa configuration était en prise directe avec la forêt. Des jardins en guise de hall à plafonds de verre amovibles, s’ouvraient d’un coup sur le ciel, on y avait créé un micro climat grâce auquel orangers et citronniers embaumaient les lieux en cette saison du printemps ; de nombreuses terrasses plantées de pelouses et de plantes choisies d’après l’orientation des pièces, s’élevaient ça et là, prolongeant ainsi les chambres réservées aux malades trop faibles pour se rendre dans l’immense parc arboré qui entourait l’hôpital. Peter ne pouvait se sentir enfermé en un tel lieu. L’autre bonne nouvelle venait de la philosophie des soignants, dans cet hôpital on avait intégré un foyer d’accueil pour les persécutés du fascisme qui viendraient à « s’égarer » dans la forêt à priori interdite de la zone verte. Odette et Tom pouvaient retourner auprès de Peter dès que le besoin s’en ferait sentir, besoin en réalité toujours présent tant les sourires nouveaux du garçon lui avaient rafraîchi l’âme. Ce fils manquait à Odette en ce moment, comme Jeudi à Dora, mais elle n’osait pas faire faux bond à des hôtes, séparés eux-mêmes de leur progéniture depuis cinq ans en dehors des vacances. Dora était une amoureuse, ce qui induisait forcément une attractivité sexuelle, en l’occurence pleine de charme et de beauté, attractivité heureusement absente dans l’amour d’Odette pour son fils. Il s’agissait la concernant d’affection maternelle classique mais que les coups de l’adversité avaient tellement renforcée que se séparer de Peter tenait de l’arrachement. Intensité équivalente de ces deux amours de nature différente. Odette se souvint de l’empressement de Janon, à leur présenter le personnel. Une quarantaine de jeunes gens du monde entier se trouvaint là, conseillés par des professeurs à la retraite. Janon avait déjà emmené Peter en promenade en compagnie de Janin son père et professeur, chamane qui brandissait à l’occasion sa fille naine sur son énorme poing en guise de blague préférée. Ces gens faisaient partie du mouvement politique encore peu connu « Dignité et fraternité ». Odette revit Peter s’éloigner et ressentit à la fois déchirement et confiance. Plus question de retourner en Louradie, ils resteraient à proximité. Elle revit l’étrange ville d’où ils venaient, dont certaines constructions abracadabrantes masquaient et coupaient des routes ; des quartiers se retrouvaient ainsi en îlots, petites villes dans la ville et il fallait contourner les immeubles-barrages par d’étroits passages, pour y accéder. Une famille de saltimbanques régnait dans l’un de ces endroits où les bicoques s’entassent côte à côte, entourées de la forteresse d’immeubles baroques à l’air hostile.  Un jour qu’ils se promenaient dans cette ville-kaléidoscope, ils étaient tombés sur des félins assoupis à proximité d'une baraque, l’un des membres de la famille régnante passa la tête à la fenêtre et regarda curieusement les imbéciles qui s’attardaient dans ce qu’ils considéraient comme leur propriété. La Louradie n’était pas un pays facile non plus.  

24/05/2012

Ils ont pris le parti d'attendre, suite des marcheurs

Monsieur Dross le vétéran lança une proposition toute simple à laquelle ils rechignaient tous à l’idée d’entendre les voix de l’incontournable Madame Piéaumur et des siens. « Il serait peut-être temps de mettre la radio, dit-il, vous vous rendez compte qu’au 21é siècle les gens avaient encore la possibilité d’utiliser des téléphones portables. Chaque citoyen en détenait un à l’époque, ça devait être pratique. Dommage qu’on en trouve pratiquement plus, là en l’occurrence ça aurait permis à Dora d’être un peu plus rassurée sur le sort de son bien aimé. Vous voulez bien mettre la radio Odette ? »

— ça ne nous renseignera pas sur le sort de Jeudi, argumenta Odette, si j’ai bien compris la situation, tout le monde se ment sans cesse à des degrés différents dans la zone verte. Ce n’est peut-être pas la peine de s’infliger la peine d’écouter nos ennemis déblatérer de fausses informations. Le décryptage risque fort d'échouer, ils s'arrangeront pour nous égarer. À votre avis pourquoi ont-ils dévoyé les hôpitaux, c’est bien là le problème crucial.  Leur colère semble venir de ce qu’ils se sentent trahis par vous du simple fait de notre admission chez vous, comme s’ils pensaient que  vous devriez absolument adopter la même ligne de conduite qu'eux dans vos rapports avec les gens.

— Par idéal idéologique, reprit Monsieur Dross. Un modèle de société auquel ces conservateurs tiennent par dessus tout. L’affaire des hôpitaux n’est qu’un symptôme de leur intolérance. Ils n’auront réussi qu’à mettre une barrière nouvelle, celle entre eux et nous s’ils restent sur leurs positions, une barrière qui celle-là les blesse dans leur orgueil.

— Mais, reprit Odette, qui les a corrompus ou comment se sont-ils corrompus ? D'où vient l'orgueil insensé de ces gens ? Cette affaire d’hôpitaux dévoyés n’est pas propre à la zone verte, nous serions encore en Louradie sinon, mais ici elle prend une tournure plus incisive encore, les gens  semblent cultiver un complexe de supériorité délirant. Une sorte de folie des grandeurs… je me trompe ? 

— C’est pourquoi Le Noble arrivera probablement à ses fins, lui répondit Dora. Lui, les confortera dans cet esprit de domination… Jeudi a pris inutilement des risques, nous devrions préparer notre départ dès qu’ils l’auront relâché, s’ils le relâchent…

— Odette et moi allons aller chercher Jeudi seuls, prenez soin de Peter, dit Tom. Il ne faut pas que ces gens nous croient amis.

— Excusez-moi pour tout à l’heure Tom. Non, il ne faut pas aller à la rencontre de Jeudi. Quelle que soit votre relation avec nous, ils veulent votre perte, du simple fait que vous leur semblez vulnérables. Ils en sont là. Pas de panique, il faut attendre.

 

21/05/2012

Tom et Odette en savent un peu plus long

 

— Je parle des Bléassenghins. Ce sont de dangereux paumés, Tom. Il faut aider Jeudi.   

 

Tom et Odette se regardèrent, sceptiques, ce fut lui qui se décida à formuler la question qu’ils se posaient tous les deux à cet instant :

 

— Les Gueux sont de votre côté ? Ils ont pris position ?

 

Dora, qui avait du mal à reprendre son calme, déclara :

 

— C’est ce que quelques-uns d’entre nous ont la naïveté de croire. Ils sont payés pour cela depuis très peu de temps, on a eu beaucoup de mal à les apprivoiser, ils sont secrets, peu sociables. C’est un travail de longue haleine auquel s’est attaché Jeudi. Je n’ai confiance personnellement qu’aux gueux qui vivent auprès de nous, ceux de la ville végètent dans une sorte de résignation qui ne me semble pas de bon augure. Ils gagatisent avec leurs chiens, prennent des voix plaintives. Ils se sont coulés dans un moule de victime éternelle, j’aimerais croire qu’ils vont se réveiller moi aussi, parfois il m’arrive d’y croire d’ailleurs, dans un bel élan d’optimisme… à moins que ce ne soit du relâchement. D’après Jeudi, ils seraient  combattifs en cas d'alerte, si l’un ou l’autre étaient attaqués, ou si Jeudi l’était. Lui a confiance en eux.

 

«  Et leurs chiens demanda Odette, Hector disait tout à l’heure qu’ils sont féroces … »

 

Dora palpita des narines et tiqua vers Hector, génie de l’informatique plus au fait de ses dernières trouvailles que des banales affaires quotidiennes. « Ce sont des chiens quasi dénaturés, mais dans le sens "doux comme des agneaux",reprit-elle, — un peu comme leurs maîtres — Ils ont des attitudes d’humiliés perpétuels comme eux. Ils aboient à peine ces chiens. Vous pensez bien que les Bléassenghins n’auraient pas laissé traîner dans leur ville de luxe des meutes de chiens dangereux. Je me suis laissée dire que ces animaux bénéficient de séance de toilettage toutes les semaines et que leurs propriétaires en les attendant reçoivent un copieux repas. Tout cela a l’air très humain d’apparence, mais dans les bois, c’est une autre chanson. Vous ai-je dit Odette ce dont les Bléassanghins sont capables dans l’ombre et même au grand jour maintenant, si l’occasion leur en est donnée?"

 

« Ne leur dites rien à ce sujet Dora, intervint l’astro-physicien, ils savent déjà de quoi ils sont capables, pas besoin de détails macabres. Nous devons rassembler nos forces, physiques et mentales. Récapitulons plutôt la situation : Jeudi est parti depuis hier après-midi, s’est rendu à cette réunion, ne nous a pas téléphoné mais c’était entendu comme cela en raison des écoutes téléphoniques, pas de mails non plus, comme prévu. Les gueux ne sont pas armés pour répondre à une attaque de robots si jamais les Bléassenghins lançaient leur police de ville contre Jeudi, mais si ce genre de choses se produisait, ils ont le feu vert pour faire fonctionner les sirènes d'alarme. Nous n’avons pas osé encore confier des brouilleurs d’ondes aux gueux de la ville mais Jeudi en possède toujours un sur lui, qui lui permettrait de voir venir. C’est le calme plat au niveau des sirènes, il n’est donc pas insensé d’en déduire que Jeudi a passé sa nuit à l’hôtel Oasis, leur réunion a dû se prolonger en raison des circonstances nouvelles. Ils ont dû lui poser beaucoup de questions à propos de nos initiatives dans la zone verte. Peut-être seront-ils raisonnables. De toute façon, vu l’état d’esprit de Le Noble si nous n’avions pas démarché vers eux, la guerre serait inévitable. Jeudi devrait nous rendre compte de tout cela d’ici quelques instants. Courage Dora.»

 

Monsieur Dross le vétéran lança une proposition toute simple à laquelle ils rechignaient tous à l’idée d’entendre la voix de l’incontournable Madame Piéaumur et des siens. « Il serait peut-être temps de mettre la radio, dit-il, vous vous rendez compte qu’au 21é siècle les gens avaient encore la possibilité d’utiliser des téléphones portables. Chaque citoyen en détenait un à l’époque, ça devait être pratique malgré tout.  la communauté scientifique dans son ensemble les a interdits et pour cause, mais là,  en l’occurrence, ce producteur d'ondes nocives aurait permis à Dora d’être un peu plus rassurée sur le sort de son bien-aimé. Vous voulez bien mettre la radio Odette ? »