25/02/2013
Rousseau et Alceste
Après la pièce Le Misanthrope éditée chez Hatier on trouve un supplément conséquent : anthologie sur l’honnête homme ainsi que, entre autres documentations diverses, une rubrique Thèmes et documents. Où l’on prend la pleine mesure des incidences ou résonnances de la littérature dans le réel, pour ceux qu'elle intéresse.
La lettre répertoriée de Jean-Jacques Rousseau à d’Alembert fait écho à la pièce de Molière. Lettre à d’Alembert sur les Spectacles (1758) et son introduction :
"Dans cette lettre, Rousseau répond à D’Alembert (1717-1783), qui défend dans l’article « Genève » de L’Encyclopédie l’idée d’ouvrir un théâtre à Genève. Le théâtre, en s’adressant davantage aux passions qu’à la raison, détournerait de La vertu. Le Misanthrope lui semble être l’exemple d’une pièce qui prétend instruire le spectateur, mais qui raille en réalité l’honnêteté à travers le personnage d’Alceste, dont le portrait satirique serait immoral."
Quelques lignes de la lettre de Rousseau : "Vous ne sauriez me nier deux choses : l’une, qu’Alceste dans cette pièce est un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien ; l’autre, que l’auteur lui donne un personnage ridicule. C’en est assez, ce me semble, pour rendre Molière inexcusable."
Quelques phrases du texte, en réponse, de D’Alembert : "Mais je viens au Misanthrope. Molière, selon vous, a eu dessein dans cette comédie de rendre la vertu ridicule. Il me semble que le sujet et les détails de la pièce, que le sentiment même qu’elle produit en nous, prouvent le contraire. Molière a voulu nous apprendre, que l’esprit et la vertu ne suffisent pas pour la société, si nous ne savons compatir aux faiblesses de nos semblables, et supporter leurs vices même ; que les hommes sont encore plus bornés que méchants, et qu’il faut les mépriser sans le leur dire" …
Forts de café tous les deux, non ? J’ai aimé pour ma part l’étude que Molière a faite du rapport de pouvoir entre ces deux personnages : Célimène et Alceste. Célimène manie la satire avec brio, Alceste est dans l’absolu, à la poursuite d’un idéal et veut par conséquent soumettre Célimène, faire plier le réel à ses désirs. Deux solitudes s‘affrontent finalement. Je n’ai pu m’empêcher de sourire aux réparties de Célimène lorsque Arsinoé, son amie singulière, l’attaque, et d’être touchée par la détresse d’Alceste. Molière prend le parti d’Éliante, je pense, parce qu’elle a du recul et n'est pas dépourvue d'une réelle bonté. Elle aime Célimène et prend sa défense, ne se comporte jamais en rivale bien que Célimène ait plus de succès auprès de celui qu'elle aime d'abord avant de le prendre en amitié. Éliante, c'est l’espoir. La réaction de Rousseau est assez passionnée… l’indice d’une identification probable à Alceste, du coup, malgre son génie, il n'a pas tenu compte d'Éliante.
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Le Misanthrope
Un passage du Misanthrope, extrait de la scène 4 de l'acte II
Clitandre, à Célimène
Pour bien peindre les gens vous êtes admirable.
Alceste
Allons, ferme, *poussez, mes bons amis de cour ;
Vous n’en épargnez point, et chacun a son tour ;
Cependant aucun d’eux à vos yeux ne se montre,
Qu’on ne vous voie, en hâte, aller à sa rencontre,
Lui présenter la main, et d’un baiser flatteur
Appuyer les serments d’être son serviteur.
Clitandre
Pourquoi s’en prendre à nous ? Si ce qu’on dit vous blesse,
Il faut que le reproche à Madame s’adresse.
Alceste
Non, *morbleu ! C’est à vous ; et vos ris complaisants
Tirent de son esprit tous ces traits médisants.
Son humeur satirique est sans cesse nourrie
Par le coupable encens de votre flatterie ;
Et son cœur à railler trouverait moins d’appas,
S’il avait observé qu’on ne l’applaudît pas.
C’est ainsi qu’aux flatteurs on doit partout se* prendre
Des vices où l’on voit les humains se répandre.
Philinte
Mais pourquoi pour ces gens un intérêt si grand,
Vous qui condamneriez ce qu’en eux on reprend ?
Célimène
Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ?
À la commune voix veut-on qu’il se réduise
Et qu’il ne fasse pas éclater en tous lieux
L’esprit contrariant qu’il a reçu des cieux ?
Le sentiment d’autrui n’est jamais pour lui plaire ;
Il prend toujours en main l’opinion contraire,
Et penserait paraître un homme du commun,
Si l’on voyait qu’il fût de l’avis de quelqu’un.
L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes,
Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ;
Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,
Aussitôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui.
Alceste
Les rieurs sont pour vous, Madame, c’est tout dire,
Et vous pouvez pousser contre moi la satire.
Philinte
Mais il est véritable aussi que votre esprit
Se gendarme toujours contre tout ce qu’on dit,
Et que, par un *chagrin que lui-même avoue,
Il ne saurait souffrir qu’on blâme, ni qu’on loue.
Alceste
C’est que jamais, morbleu! Les hommes n’ont raison,
Que le chagrin contre eux est toujours de saison,
Et que je vois qu’ils sont, sur toutes les affaires,
Loueurs impertinents, ou *censeurs téméraires.
Célimène
Mais…
Alceste
Non, Madame, non : quand j’en devrais mourir,
Vous avez des plaisirs que je ne puis souffrir ;
Et l’on a tort ici de nourrir dans vote âme
Ce grand attachement aux défauts qu’on y blâme.
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14:38 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0)