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04/10/2014

Àl'usine d'Abbeville, il n'y aura ni éleveur, ni printemps, ni hiver.

À l'usine d'Abbeville, il n'y aura ni éleveur, ni printemps, ni hiver. Un seul jour répété mille fois.

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  Extrait de l'article de Jocelyne Porcher, dans Marianne, à propos de l'usine d'Abbeville :

 

Parmi les acteurs du conflit qui oppose les promoteurs du projet "mille vaches" et ses détracteurs, les vaches sont rarement citées. Pourtant, au-delà des questions de "bien-être animal", qui peuvent du reste être rapidement évacuées, considérant que la conception des bâtiments a sans nul doute intégré ce paramètre zootechnique en veillant à une ventilation ad hoc ou des logettes réglementaires, la prise en considération des vaches a visiblement été oubliée. Pourtant, 1 000 vaches, ou 500, ou 300, cela veut dire une vache, une autre vache, une autre vache... Toutes ces vaches forment un troupeau mais chaque vache est un individu singulier. Quel peut être le sentiment d'une vache, une de celles qui sont récemment arrivées sur le site - par exemple la 312 -, encadrées par la police et quasiment traite manu militari ?

quelle va être sa vie dans cet établissement imposé en France comme un nouveau modèle de production laitière sachant conjuguer compétitivité, productivité, rentabilité, adaptabilité, profitabilité... et électricité à l'heure de la fin des quotas laitiers ?

Dès son arrivée, la 312, une prim'Holstein comme il en existe des millions dans le monde, n'a pas manqué de remarquer que son lieu de vie n'était pas une étable, pas une ferme, mais une usine. Donc qu'en dehors de toute autre rationalité le production résumerait toute son existence. Elle a pu dès lors prévoir que celle-ci allait être courte, voire très courte. Il ne serait pas question de pâturage, de rumination à l'ombre du soleil ou à l'abri d'un arbre sous la pluie, de retour à l'étable la panse rebondie, d'échanges affectueux avec un éleveur bio "né dans les vaches", anxieux à l'idée qu'elle l'attende sous l'orage. Non, rien de tout cela. L'usine. Des conditions de travail tracées au cordeau du profit maximum. Un espace clos sur lui-même, une nourriture sans variété (ensilage de maïs-soja - probablement importé, probablement OGM  - compléments médicamenteux), des congénères affligées se croisant à l'entrée de la salle de traite. La  salle de traite, trois fois par jour. Des ouvriers humains qui s'activent sans relâche à la machine à traire. Des ouvriers, des ouvrières, des machines. Une usine. Où ne comptent ni les humains ni les vaches ni même ce qu'ils produisent ensemble. La 312 sait que les quelque sept cents jours (dans le meilleur des cas) qui lui restent à vivre vont être la répétition d'un seul jour sans rapport aucun avec son monde à elle, son monde de vache.

Car la 312 aime marcher, et même courir, elle aime pâturer et manger des fleurs, elle aime ruminer auprès d'une copine, échanger des impressions, se castagner un peu à l'occasion, regarder tout ce qui se passe alentours, car elle est curieuse et méditative. Elle aime élever son veau - [...] Elle aime écouter la radio le soir au moment de la traite, surtout la musique quand son éleveur chantonne au rythme cadencé de la machine. Elle aime la paille propre dans l'étable l'hiver, et elle aime  attendre au chaud le retour du printemps.

 

À Abbeville, à l'usine, il n'y aura ni éleveur, ni printemps, ni hiver. Un seul jour répété mille fois pour mille vaches.

 

Quel immense gâchis collectif pour le bénéfice à court terme de quelques-uns ! Cette usine..." 

 

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Jocelyne Porcher

 

 

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