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07/12/2011

Le triomphe du cornac

Nous voici page 152 du Voyage de l'éléphant de José Saramago, débarquement de la caravane sur le quai du port de Gênes. L'éléphant Salomon et l'archiduc accompagné de son épouse ne vont pas tarder à apparaître devant le peuple  manifestement impatient de voir enfin les époux illustres ainsi que le fabuleux animal, encore méconnu dans l'Europe du Moyen Age. Troisième et dernier  extrait :

"Si l’on demandait à cet instant à ces femmes et à ces hommes quel personnage ils souhaitaient le plus voir de près, l’archiduc ou l’éléphant, nous pensons que l’éléphant l’emporterait avec une grande différence de voix. L’attente anxieuse de cette multitude se traduisit par un cri, l’éléphant venait de faire grimper sur lui à l’aide de sa trompe un homme muni d’un sac contenant ses affaires. C’était subhro ou fritz, comme on préférera, le soigneur, le valet, le cornac, l’homme qui avait été si humilié et qui à présent, sous les yeux du peuple de gênes assemblé sur le quai, jouira d’un triomphe presque parfait. Perché sur la nuque de l’éléphant, son sac entre les jambes, vêtu maintenant de sa tenue sale de travail, il contemplait avec la superbe d’un vainqueur les gens qui regardaient bouche bée, signe absolu de stupéfaction, mais qui, à vrai dire, peut-être parce qu’il est absolu, ne s’observe jamais dans la vie réelle. Quand il montait salomon, subhro avait toujours l’impression que le monde était petit, mais aujourd’hui, sur le quai du port de gênes, cible des regards de centaines de personnes littéralement émerveillées par le spectacle qui leur était offert, soit par sa propre personne, soit par un animal à tous égards démesuré qui obéissait à ses ordres, fritz contemplait la foule avec une sorte de dédain, et, dans un instant insolite de lucidité et de conscience de la relativité des choses, il pensa que, tout compte fait, un archiduc, un roi, un empereur ne sont pas plus qu’un cornac juché sur un éléphant. D’un coup de bâton, il fit avancer salomon vers la planche. La partie de l’assistance qui était le plus près recula, effrayée, encore plus lorsque l’éléphant, au milieu de la rampe, on ne sut et ne saura jamais pourquoi, lâcha un barrissement qui, on pardonnera la comparaison, résonna aux oreilles de ces gens comme les trompettes de jéricho et dispersa les plus timorés."

 

 

  

 

10:50 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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