06/05/2009
Namouss le moucheron et l'éléphant
tiré du livre intitulé Contes Derviches, de Idries Shah
"Il était une fois un moucheron qui s’appelait Namouss et qui était connu de tous, en raison de sa grande sensibilité, sous le nom de Namouss le Perceptif. Or donc, un jour, le moucheron Namouss, après avoir mûrement réfléchi à sa condition et pour de bonnes et suffisantes raisons, décida de déménager. Il choisit à cet effet un lieu éminemment approprié — l’oreille d’un certain éléphant.
Tout ce qui lui restait à faire était d’y transporter ses biens sans plus attendre. Et c’est ainsi que Namouss s’installa en bonne et due forme dans sa vaste et ô combien attrayante demeure. Le temps passa. Le moucheron éleva plusieurs générations de petits moucherons et les envoya de par le monde. Au fil des ans, il connut les moments d’anxiété et d’euphorie, les sentiments de joie et de chagrin, d’insatisfaction et d’accomplissement, qui sont le lot habituel du moucheron où qu’il se trouve.
L’oreille de l’éléphant était son foyer et, comme il en va toujours en pareil cas, il sentait, et ce sentiment persista jusqu’à devenir permanent, qu’il existait un rapport étroit entre sa vie, son histoire, son être même et cette demeure. L’oreille était si chaude, si accueillante, si vaste ; elle était le théâtre de tant d’expériences !
Bien entendu, Namouss n’avait pas emménagé sans la cérémonie requise ni le respect approprié des rites exigés par la situation. Le premier jour, juste avant d’entrer dans les lieux, il avait proclammé sa décision du plus haut de sa petite voix. « O Éléphant ! Avait-il crié, sache que nul autre que moi, Namouss le Moucheron, connu sous le nom de Namouss le Perceptif, se propose d’établir sa demeure en ce lieu. Comme il s’agit de ton oreille, et sacrifiant à la coutume, je t’informe de mon intention. »
L’éléphant n’avait pas soulevé d’objections.
Ce que Namouss ne savait pas, c’est que l’éléphant ne l’avait pas entendu du tout. Du reste, il n’avait pas non plus ressenti l’arrivée ( ni même la présence ou l’absence ) du moucheron et de ses nombreux enfants. Pour ne pas s’étendre sur ce point plus longtemps qu’il n’est nécessaire, disons qu’il ignorait tout de la présence des moucherons.
Et lorsque vint le moment où Namouss le Perceptif décida de déménager à nouveau, pour des raisons qui lui semblaient importantes et irrésistibles, il se dit après mûre réflexion qu’il devait procéder à ce déménagement en accord avec la coutume établie et sacro-sainte. Il prépara en conséquence la déclaration solennelle de son départ de l’oreille de l’éléphant.
Quand la décision finale et irrévocable fut prise et qu’il eut suffisamment répété son discours, Namouss cria à nouveau dans l’oreille de l’éléphant. Il cria une fois, et il n’y eut pas de réponse. Il cria à nouveau, l’éléphant restait toujours silencieux. La troisième fois, rassemblant toute la force de sa voix, déterminé à faire entendre ses pressantes et néanmoins éloquentes paroles, il s’écria : « O Éléphant ! Sache que moi, le Moucheron Perceptif Namouss, je me propose de quitter mon foyer et ma demeure, d’abandonner ma résidence dans cette oreille qui est tienne et où j’ai vécu si longtemps. Et ceci pour une importante et suffisante raison que je suis prêt à t’expliquer. »
À ce moment, les paroles du moucheron atteignirent enfin l’ouïe de l’éléphant et son cri fut enregistré. L’éléphant méditait sur ces paroles, quand Namouss s’écria : « Qu’as-tu à dire en réponse à cette nouvelle ? Quels sont tes sentiments vis-à-vis de mon départ ? »
L’éléphant leva son énorme tête et poussa quelques barissements. Et ces barissements signifiaient : « Va en paix — car en vérité ton départ présente autant d’intérêt et de signification pour moi que ton arrivée. »"
"À première vue le conte de Namouss le Perceptif pourrait être pris pour une illustration sardonique de l’inutilité de la vie. Pour le Soufi, une telle interprétation ne ferait que révéler l’insensibilité du lecteur.
Ce que l’on veut souligner ici, c’est le manque de jugement dont font preuve les hommes en général quant à l’importance relative des choses de la vie.
Ce qui est important est fréquemment considéré comme étant sans importance et ce qui est insignifiant semble vital.
Cette histoire est attribuée au Sheikh Hamza Malamati Maqtul. C’est lui qui organisa les Malamatis. Soupçonné d’être un Chrétien, il fut exécuté en 1575."
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