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04/05/2009

Rainer Maria Rilke, Lorand Gaspar ...

 ... et "l'autre rapport", par Laurent Margantin

« Apprendre à voir » - l’ intensité

La lecture et la traduction de Rilke par Lorand Gaspar s’ inscrivent dans une réception de sa poésie plaçant celle-ci au cœur d’ un faisceau de questions aussi bien littéraires que métaphysiques. Le fait qu’ un philosophe comme Heidegger se soit intéressé à Rilke a élevé ce dernier au rang de « penseur de la poésie » désireux de rompre avec le malaise de l’ individu et des sociétés en proie au nihilisme de l’ industrie et de l’ économie mondialisées. Très tôt en effet, Rilke perçoit le monde moderne comme un univers où l’ homme a perdu le contact avec les objets qui l’ entourent. Les objets sont devenus anonymes, produits en série à l’ identique, et l’ homme ne les voit plus, ne sachant plus s’ en servir qu’ en fonction de leur utilité. Dans les Nouveaux poèmes, Rilke élabore un culte des choses qu’ il s’ agit d’ apprendre à voir. Dans ce contexte, la parole poétique se voit chargée de rétablir une communication entre l’ homme et le réel, entre le dedans et le dehors.

 

Car la nuit semble encore suffisamment épaisse pour que les moments de clarté soient vite recouverts, comme si l’ intensité des images et de l’ espace qui les accueille n’ était pas encore assez forte pour battre la nuit en brèche. Le souffle poétique s’ affirme peu à peu à travers ce que le poète qualifie à de nombreuses reprises d’ épaisseur, qui est soit celle de l’ ombre, soit celle de murs et de pierres dont la présence est obsédante dans ces poèmes, comme elle l’ est chez Rilke . La pierre empêcherait le souffle de se diffuser, l’ étoufferait comme dans un sarcophage. Les nuits sont dites « d’ acier », et il est question du « poids des sables » ou de « granit du cœur ». La lumière libératrice semble inaccessible au poète du Quatrième état de la matière, comme piégé dans la nuit minérale d’ une conscience alourdie par l’ épreuve de la détresse. Empruntant à deux reprises à Rilke l’ image de l’ ange, Gaspar évoque la dureté de l’ espace à traverser pour atteindre une nouvelle vie reconnaissant aux choses leur part de lumière : « La traversée sera longue disait l’ange / dans l’ épaisseur de la pierre »

A de multiples reprises, Gaspar évoque ces pélerins du désert à la recherche de Dieu, se confrontant à leur soif d’ absolu. Mais pour lui, « ces hommes, habités par une passion sans limites de l’ absolu, semblent avoir compris obscurément que c’ était en cette vie même qu’ il fallait unir leur âme à Dieu ». Le désert est un « paysage de genèse et de chute des anges », écrit encore Gaspar, comme si, dans cet espace de possible déréliction spirituelle, l’ homme pouvait s’ accomplir en s’ appropriant les éléments de vie – l’ eau et les aliments cachés, mais aussi la parole terrée en soi – qu’ il se doit de découvrir pas à pas. Il y a donc dans Sol absolu une quête de l’ invisible qui ne renvoie plus à Dieu ou à la religion, mais, comme chez Rilke, à un espace encore inconnu qu’ il s’ agit d’ apprendre à voir pour en exprimer la beauté par le poème. « L’ immensité est en moi », écrit Gaspar, conscient que le souffle et la conscience humaines sont les vecteurs uniques d’ une parole toujours neuve, dégagée de ce que Nietzsche appelait les « arrière-mondes » qui, s’ ils sont peut-être habités par les anges, sont proprement invivables pour nous. D’ où le renversement de perspective dans Sol absolu comme dans les œuvres ultimes de Rilke : la lumière ne descend pas du ciel vers nous, mais elle se forme et monte dans les corps, comme générée par une conscience ayant accepté sa finitude et sa mort future.

http://www.larevuedesressources.org:80/spip.php?article1197

 

 

21:31 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

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