27/08/2007
Analyse de la nouvelle
«Etre femme est terriblement malaisé, puisque cela consiste surtout à avoir affaire aux hommes.» Joseph Conrad
Nous retrouvons pour notre plaisir le duo fameux Wells/Dobrinsky avec cette analyse de "L’Empire des fourmis"; la nouvelle est, par ailleurs, très bien résumée :
" Comme son titre l’annonce, « L’Empire des fourmis », traite d’une autre victoire (que celle des Cuirassés terrestres), cette fois dans une optique plus littéralement évolutionniste. Au sein d’une nature darwinienne où les espèces s’affrontent, la technique de l’homme représentée par une canonnière moderne, se révèle dérisoire, impuissante à endiguer l’avance destructrice, l’irrésistible ascension d’une armée d’insectes évolués. Le thème principal est donc celui de la précarité de la maîtrise humaine de l’univers.
Outre l’influence diffuse de Swift de l’épisode de Lilliput, la source littéraire principale de ce récit nous paraît manifeste. Il s’agit du cœur des ténèbres, court mais puissant roman de Joseph Conrad, dont Wells allait à nouveau s’inspirer en 1909 dans un épisode de son roman Tono-Bungay. Faut-il rappeler que le texte de Conrad, paru en 1898, relate la lente remontée d’un fleuve sombre, intemporel, le Congo ? Qu’il évoque la traversée archétypique d’une jungle d’une sauvagerie angoissante ? Qu’il y décrit un alignement de crânes d’hommes rongés par des fourmis ? Et même qu’il rapporte, au passage, une canonnade absurde : celle d’un navire de guerre français dispersant des obus dans la forêt ? Wells a écrit, néanmoins, une œuvre originale. Le conflit, chez lui, reste essentiellement extérieur et s’inspire d’une nouvelle hypothèse scientifique. Celle qu’il exploite, d’une invasion meurtrière des saùbas, les fourmis d’Amazonie – l’équivalent wellsien du Congo de Conrad – extrapole à partir de données connues en Amérique du Sud. Quant à l’universalisation conjecturale de la menace, sur laquelle s’achève le récit, elle prolonge les méditations pessimistes de la fin du XIXe siècle, fait, notamment, écho à un article de l’auteur publié à l’époque, intitulé « L’extinction de l’homme » , et participe, mutatis mutandis, d’une même angoisse millénariste que son roman, déjà cité, d’anticipation cosmique, La guerre des mondes.
La part du rêve est ici, comme fréquemment chez Wells, surtout celle de l’horreur : dans l’anthropomorphisme alarmant qui équipe des fourmis innombrables en soldats, leur attribue une stratégie de masse, et un venin qui affole et tue ; dans les descriptions expressionnistes de cadavres déchiquetés aux chairs rongées, au squelette désarticulé. L’hypothèse d’une délectation morose du romancier trouve un certain fondement dans l’insistance qu’il met à peindre ces détails.
L’essentiel de l’action du récit omniscient a lieu sur le navire de guerre brésilien qui s’enfonce dans la jungle immémoriale et menaçante. Classiquement, cette aventure révèle la psychologie des trois protagonistes. Il s’agit du chef mécanicien britannique, témoin et juge de bon sens, mais aussi voyageur déçu dans sa quête d’exotisme ; du lieutenant qui, en mission commandée contre son propre avis, mourra absurdement pour l’honneur de son grade ; et surtout, du capitaine, au centre du tableau, dont émergent à mesure l’incompétence, l’indécision, l’autoritarisme tragique, la couardise, la stupidité…Ce portrait central nourrit une dérision tantôt cocasse, tantôt amère, qui contribue à la vraisemblance prosaïque de l’anecdote. Sur cette base, l’auteur implicite nous offre, en conclusion, une froide chronologie de la conquête prévisible du monde par ses fourmis guerrières : sombre chute de rideau au terme d’une mise en scène mi-naturaliste, mi-bouffonne."
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