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25/07/2013

Une nouvelle que je dédie à ma petite soeur Véronique

Paul se demanda à quoi ça pouvait bien rimer de se parler comme ça, à minima. Il avait ramené Tonia sa fille au seuil du pavillon, il faisait chaud, très chaud, derrière la porte vitrée fermée à double tour, il regarda les secrétaires, retranchées dans leur coin, presque au fond du bureau d’accueil que surplombait une cloison vitrée, elles continuaient de bavarder sans se préoccuper apparemment de la présence du père et de la fille malgré le bruit des deux sonnettes sur lesquelles Paul avait successivement appuyé, au bout d’une minute d’attente, il pressa de nouveau la sonnette qui avertissait l’étage, attendit un peu et sollicita celle qui résonnait au rez-de-chaussée. Tonia, assise à trois pas de lui sur le banc qui flanquait un petit bout du mur de l’entrée du pavillon, ne cachait pas son irritation, comme à son ordinaire elle ne dissimulait aucun sentiments,  lesquels étaient souvent tellement contraires et envahissants qu’ils ne submergeaient pas que sa personne, « rentrer se reposer » répéta-t-elle pour la cinquième fois. Tonia et l’intuition n’étaient pas toujours bon amis, dans sa situation la panique la débordait. Le père, lui, avait beaucoup parlé auparavant, cela lui arrivait encore à l'occasion, en dehors de l'hôpital et ça finissait par lui donner le tournis en général.

— J’entends quelqu’un qui descend l’escalier de service, tu vas pouvoir aller te reposer, on vient te chercher.

Une infirmière à tête d’oiseau se montra, Paul surnommait ainsi, dans sa doxa secrète, les personnes dont la tête lui semblait suffisamment petite et dont le nez était aquilin, sans que cette dénomination comportât  de jugement esthétique, en dépit de son admiration pour les animaux en général ; il l’appréhenda ainsi en son for intérieur sur un plan strictement physique alors qu’elle ouvrait enfin cette satanée porte, un rudiment de dialogue s’ensuivit :

— ça s’est bien passé ?

— Oui dit Paul, je viens après demain, avec sa mère.

— Après demain ? Releva simplement l’infirmière.

 

Les deux protagonistes se saluèrent et Tonia put se précipiter dans l’escalier vers son lit tant espéré. Il y a de cela deux ou trois ans ou peut-être un peu plus, Paul à force perdait la notion du temps, Tonia aimait marcher, allonger un pas sportif le long des chemins, au hasard de leurs nombreuses balades. Cependant suite notamment à un renvoi d’une structure, lequel faisait suite à un autre une année auparavant, elle semblait prise d’un blues continuel qui la contraignait, interprétait Paul, à se confiner pour le cuver. Elle n’aimait clairement plus sortir. Son père, dans une tentative pour lui rendre goût au grand air, ramenait dans un sac dont il était devenu inséparable lorsqu’il lui rendait visite quelques aliments que Tonia appréciait, afin de l'emmener à une quarantaine de mètres de là, à l'ombre de quelques arbres, pour un petit pique-nique. Si étonnant que cela parût, la sylphide Tonia aimait encore et néanmoins manger.

Oui, se dit Paul, en regagnant maintenant l’endroit où il avait posé sa bicyclette, « après demain ». On dirait que ça te la coupe ce "après demain", mais un rien vous la coupe chez vous, en fait c’est juste pour dire deux mots qu‘elle a relevé la date. Et qu’est-ce que ça leur apporte bon dieu de pas parler comme ça ? Il releva la tête, son vélo jouxtait une fenêtre, il put distinguer dans la pièce des membres du personnel en train de discuter entre eux d’un ton professionnel mais bien animé, sans doute une réunion. Ça oui, ces gens savent se parler en réunion, ça leur prend comme ça les réunions ? « faut qu’on parle » décrète l’un, et ils décident d’une heure où ils vont se dire un tas de trucs dont il n’avait pas idée. Sans doute, après tant de ces réunions le sentiment de corporation s’était-il renforcé en eux jusqu‘à la fusion fantasma Paul, si ça se trouve c‘est pour ça qu‘ils n’éprouvaient plus le besoin de causer « en dehors » de leur groupe de professionnels avertis.

Paul chevaucha son vélo, en con de père esseulé. Une petite parano pointa dans son ciboulot ramolli par la chaleur ambiante, et si c’était exprès qu‘ils se taisaient avec lui, pour le faire mariner dans son jus, et finalement, exploser ? Mais quel intérêt ? Non, ces gens aimaient simplement faire corps, et pour cela, pour mieux prendre conscience du joli bloc opératoire qu’ils formaient ensemble, il fallait que ce fût aux dépens de quelques paumés dans son genre, de ceux notamment qui n’avaient pas fait les mêmes choix de vie que tout le monde et s’étaient fait baiser au détour de la maladie d’un des leurs, comme des cons qu‘ils étaient, parce qu’il faut être con pour voyager, comme l’avait déclaré tout net un écrivain célèbre que pourtant il aimait. Voyager expose, fait commettre plus d'erreurs de jugement, courir des risques.  Il se sentit coupable à cet instant de n'avoir pas su protéger Tonia.   

Pédalant ferme maintenant à travers la campagne il continuait tout bas, bouche close, ses pérégrinations mentales ; ça faisait des années que ça durait, des années de silence en somme. Parce que si peu de mots, c’est du silence, banane. Et le silence, tu en fais ce que tu veux, je peux ne pas me contenter des remugles de parano, je peux calmer ce film, l’arrêter.

Il traversa enfin le village de son enfance, un village où les habitants actuels, ne lui disaient plus rien, au sens où leurs visages, ne lui évoquant rien, lui étaient indifférents ; chaque fois qu’il passait par là, quelque chose lui faisait ralentir l’allure, comme pour mieux respirer les parfums d’innocence qui se dégageaient soudain des morts, ces silencieux morts lui parlaient tout à coup par l’encens particulier des souvenirs. Ceux toujours vivants mais avec qui il avait perdu le contact dans le cours normal de sa vie actuelle, se joignaient alors à eux, habillés également d‘innocence,  souriants ou mélancoliques ou encore certains arboraient une humilité mystérieuse tandis qu'ils vaquaient à leurs occupations d‘autrefois ; tous se présentaient à lui ainsi comme autant d‘émanations visuelles, chaque fois qu'il passait par ce lieu d’enfance. À chacune des visions, Paul saluait en silence. Le passé lui parlait au présent, était-ce l’expression de la compassion des morts quand ils les bousculait dans leurs habitudes ? Il se sentit vivant, par ce temps caniculaire il eut envie d’écouter Baden Powell.

 

 

14/03/2013

Les petits pas

Juliette se pointa à la pharmacie, le patron conversait avec une employée, il la regarda furtivement avant de se diriger droit sur elle et lui serra la main d’un air affable. Attitude qu’il avait adoptée envers de nombreux clients chaque fois qu’il rendait ce qui semblait être une visite surprise à sa "boutique". Cette politesse, le quotidien solitaire de Juliette, la lui fit ressentir comme quelque chose d’un peu abrupt par sa soudaineté, elle improvisa un :

«  Vous êtes allé vous promener au soleil, n’est-ce pas ? avec ce hâle … »

— « Non, quelques séances de …"  Juliette devina plus qu’elle ne comprit la suite du propos de son interlocuteur et répondit un enjoué « Vous avez raison, cela vous va bien. » Les trois employées sourirent  sans que Juliette pût deviner leurs pensées et l’homme apparemment satisfait de cet échange d’amabilités s’en alla dans l’arrière-boutique comme on quitte la scène d'un théâtre, ce théâtre qu'offre souvent la vie. Juliette rangea soigneusement sa carte vitale, emporta sa marchandise, salua à la ronde, et se dirigea à son tour, avec le plus de désinvolture possible, vers sa  porte de sortie. Il n’était que neuf heures du matin, dehors elle retrouva le sol glissant. Elle s’était déjà rendue, dès huit heures, chez le garagiste et se retrouvait donc sans voiture. Un drôle de conducteur de camionnette avait failli la renverser à peine s’était-elle éloignée de quelques mètres après avoir laissé sa voiture au garage. Juliette avait pu dévisager en un millième de seconde son agresseur et, continuant son chemin vers la pharmacie s’était imaginé en train d’écrire un texte narrant l’incident, un texte où elle décrirait une femme enveloppée d’une doudoune noire, insultant un jeune conducteur parce qu’il avait sciemment accéléré lorsqu’il l’avait vue traverser à petits pas précautionneux l’avenue, ce texte dirait comment le conducteur, ne supportant pas le contraste qu’offrait sa démarche de geisha et sa silhouette épaissie par la doudoune, avait exprimé un mépris assassin des plus banal de la part d’un macho en mal d’expression. L’homme encore jeune était probablement du coin, oui… se dit-elle, elle écrirait donc dans ce texte « le chti » pour le désigner puis, dans un style original, elle se raviserait et écrirait : « Utiliser "chti" comme une injure ? Absurde. Dirons-nous alors de lui qu’il est une sorte d’artésien mal léché ? » elle préciserait que dans la région « artésien » est plus souvent une marque d’autobus qu'autre chose pour les gens, ce qui donnerait au texte un petit côté absurde, d‘autant plus qu‘elle aussi était une femme de la région. Juliette marchait de nouveau sur le verglas de ce pas toujours précieux qui avait, selon elle, fait sortir de ses gonds l’homme de tout à l’heure, mais comment faire autrement ? Après quelques emplettes au magasin d’alimentation elle partit vers la bibliothèque. Dix heures moins vingt lorsqu’elle arriva. Elle pouvait attendre dans le hall, le temps que la bibliothèque ouvrît. Une employée quinquagénaire descendit l’escalier et se mit en devoir de lui parler,  quelques remarques à propos du temps et de la neige et elle lui dit à brûle pourpoint :

 

« Nous avons un pape... François. » et attendit une réponse, laquelle vint sans tarder, Juliette étant en terrain connu :

 

— Un signe vers les pauvres, paraît-il.

 

— Un bon signe. Un pape argentin, c’est bien.

 

Dans un élan de générosité la femme offre à Juliette des journaux, en précisant d’un ton suave qu’ils sont gratuits. Juliette, bien qu’elle ne portât pas les lunettes appropriées pour la lecture dit que cela lui fera passer le temps en attendant l’ouverture de la bibliothèque, et parcourt d‘un air distrait les gros titres en se disant qu‘elle poursuivrait le texte de l‘incident de la route, et écrirait quelques mots concernant la singulière hôtesse d‘accueil. Elle écrirait quelque chose comme : «  à sa façon directe de m’adresser chaleureusement la parole je devinai que la dame était probablement de lointaine origine polonaise, les gens de souche de ce coin-ci étant souvent  trop coincés pour adresser chaleureusement la parole à quelqu’un sans le connaître … qui plus est, les polonais sont très branchés religion. » Juliette se dit qu’au fond, elle, avait  l’esprit ouvert. Arrive une autre femme, collègue de l’hôtesse « d’origine polonaise », les deux se dirigent vers le bureau d’accueil adjacent, et Juliette en profite bientôt pour s’en aller attendre ailleurs. Pourquoi ne pas se prendre un petit chocolat chaud ? Le patron du bistrot la voit entrer, secouant son pull pour le débarrasser des flocons de neige agrippés à la laine, elle oublie ses cheveux, recouverts d’une légère calotte blanche.

 

— Vous sortez par ce temps, madame ?

 

— Je dois rendre le bouquin que j’ai emprunté à la bibliothèque …

 

— Oh ! Avec ce temps, ils se seraient pas formalisés… Et dire qu’il y a à peine une petite quinzaine de jours les gens mangeaient à la terrasse, maintenant tout le monde demande du chocolat chaud et des choses comme ça. 

 

— Oui, dit juliette, l’air contrit, et les forains ne doivent pas être contents non plus. Déjà qu’on ne voulait pas qu’ils se mettent sur la place comme d’habitude… et maintenant le temps pourri.

 

— Ah ouais, c’est triste pour eux tout ça.

 

L’homme va et vient, s’active, Juliette sirote son chocolat. Enfin dix heures. La voilà enfin qui rend ce fichu bouquin.

— Oh, dit le bibliothécaire, 15 jours de retard !

 

— Excusez-moi, c’est le mauvais temps …

 

— C’est vrai, le mauvais temps…

 

À la mine du bonhomme Juliette prend un ton blagueur :

 

— j’avais complètement oublié le livre en fait … sûrement parce que je voulais le garder encore un peu, je l’aime bien Camus…

 

— Et pourtant c’est une peste ! Dit l’homme

 

Les deux rient en se saluant et Juliette s’en va. Presque onze heures déjà lorsqu’elle rentre chez elle d’un petit pas pressé et lent.

23/04/2012

à gauche toute

Odette effectuait un travail de surveillance qui bientôt ne serait plus reconnu par l‘état et donc plus payé, c’était passé dans le dernier décret. Heureusement que Jules allait lui confier son pit-bull à promener trois fois par semaine. Activité reconnue entre toutes et bien payée depuis que le président, ami des animaux, avait été réélu. Personne n’aurait pu imaginer pareille aventure ! La disparition de certains boulots, décrétés inutiles du jour au lendemain et la création d’autres, aussi futiles que promeneurs de chiens et pas assez nombreux pour compenser la perte des autres emplois. De plus, beaucoup de gens étranges traînaient dans la rue depuis deux semaines déjà, où l’hôpital psychiatrique de la ville avait été vandalisé par les gueux. Il y avait eu une sorte de volonté de prise de la Bastille de la part des révoltés qui avaient décidé de s‘attaquer à cette institution, mais les derniers journalistes qui restaient encore en place avaient témoigné que c’était en réalité comme si ces malheureux avaient enfoncé des portes ouvertes et la déroute avait été totale. Une occasion en or pour le président de se débarrasser des derniers psychiatres en place qui seraient bientôt remplacés par des matons car il avait depuis longtemps la secrète intention de transformer l’hôpital en prison. Maintenant on ne savait plus si c’était des malades ou des nouveaux chômeurs, que l’on devait désormais appeler « gens sans emploi validé », qui traînaient désœuvrés dans les rues de la ville. "Ouais se dit Odette il y a eu l’affaire Chonrac et ses emplois fictifs, ce doit être une vengeance de son héritier politique qui vient de repasser président aux dernières élections. Ce que ça peut-être mesquin, rancunier, extrêmes, ces gens de droite. Ah si Troland était passé on n’en serait pas là à l’heure qu’il est."