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29/07/2013

À propos de la mémoire... Mémoires d'outre-tombe

"... Cette mémoire des mots, qui ne m’est pas entièrement restée, a fait place chez moi à une autre sorte de mémoire plus singulière, dont j’aurai peut-être l’occasion de parler.*

Une chose m’humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu’elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le cœur le plus affectueux perdrait sa tendresse, s’il ne se souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d’un présent qui s’écoule sans cesse ; il n’y aurait plus de passé. Ô misère de nous ! Notre vie est si vaine qu’elle n’est qu’un reflet de notre mémoire."

* à la fin du chapitre Chateaubriand parle de "l’autre sorte de mémoire" à laquelle il a fait allusion :

"Je porte malheur à mes amis. Un garde-chasse, appelé Raulx, qui s’était attaché à moi, fut tué par un braconnier. Ce meurtre me fit une impression extraordinaire. Quel étrange mystère dans le sacrifice humain ! Pourquoi faut-il que le plus grand crime et la plus grande gloire soient de verser le sang de l’homme ? Mon imagination me représentait Raulx tenant ses entrailles dans ses mains et se traînant à la chaumière où il expira. Je conçus l’idée de la vengeance ; je m’aurais voulu battre contre l’assassin. Sous ce rapport je suis singulièrement né : dans le premier moment d’une offense, je la sens à peine ; mais elle se grave dans ma mémoire ; son souvenir, au lieu de décroître, s’augmente avec le temps ; il dort dans mon cœur des mois, des années entières, puis il se réveille à la moindre circonstance avec une force nouvelle, et ma blessure devient plus vive que le premier jour. Mais si je ne pardonne point à mes ennemis, je ne leur fais aucun mal ; je suis rancunier et ne suis point vindicatif. Ai-je la puissance de me venger, j’en perds l’envie ; je ne serais dangereux que dans la malheur. Ceux qui m’ont cru faire céder en m’opprimant, se sont trompés ; l’adversité est pour moi, ce qu’était la terre pour Antée : je reprends des forces dans le sein de ma mère. Si jamais le bonheur m’avait enlevé dans ses bras, il m’eût étouffé."

 

Chateaubriand veut-il dire qu’ayant besoin de toute sa combativité pour se sentir lui-même, l’oppression qu’il avait à endurer finissait par  stimuler cette combativité qui lui était devenue essentielle, tel un recadrage presque vital même et surtout si le bonheur était venu le solliciter plus qu'il ne fallait ? Curieux en effet. Cet écrivain,  forcément étranger aux générations à venir et aux nouveaux modes de vie,  ouvre quand même une réflexion sur la nature humaine qui interpelle toujours, la différence qu’il incarne est intéressante, comme toute différence, et  va peut-être encore altérer certaines  idées dans le cours actuel des choses,  fourbir des armes nouvelles aux lecteurs confrontés dans leur vie personnelle à une adversité hors du commun,  par une certaine acquisition de l'endurance. Néanmoins, politiquement parlant, notamment sur la colonisation, je ne le suis pas.  

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24/07/2013

Un peu de lecture

 "Plus que la haine de la supériorité, la détestation de la pauvreté est le vice le plus noir parmi les hommes : le péché contre l’esprit. Les hommes finissent toujours par mépriser ce qu’ils ne comprennent pas et, ayant oublié ce qu’ils étaient, ils ont fini par tout mépriser, jusqu’à leur propre vie. Ce dégoût du pauvre, ils le portent en eux-mêmes comme le dégoût de la mort. Qui peut encore comprendre, aujourd’hui, la fameuse Règle bénédictine : « Avoir la mort chaque jour devant les yeux » ? Edgar Morin, dans L’Homme et la Mort, émet l’hypothèse qu’il existe une relation  entre "l'attitude devant la mort et la conscience de soi."" 

http://talvera.hautetfort.com/media/01/00/3358947014.2.pdf

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17/07/2013

Saint-Pierre et Miquelon

"Le vent nous força d’anordir et nous accostâmes le banc* de Terre-Neuve. Quelques glaces flottantes rôdaient au milieu d’une bruine froide et pâle.

Les hommes du trident ont des jeux qui leur viennent de leurs devanciers : quand on passe la Ligne, il faut se résoudre à recevoir le baptême : même cérémonie sous le Tropique, même cérémonie sur le banc de Terre-Neuve, et quel que soit le lieu, le chef de la mascarade est toujours le bonhomme Tropique. Tropique et hydropique sont synonymes pour les matelots : le bonhomme Tropique a donc une bedaine énorme ; il est vêtu, lors même qu’il est sous son tropique, de toutes les peaux de mouton et de toutes les jaquettes fourrées de l’équipage. Il se tient accroupi dans la grande hune, poussant de temps en temps des mugissements. Chacun le regarde d’en-bas : il commence à descendre le long des haubans pesant comme un ours, trébuchant comme une silène. En mettant le pied sur le pont, il pousse de nouveaux rugissements, bondit, saisit un seau, le remplit d’eau de mer et le verse sur le chef de ceux qui n’ont pas passé la Ligne, ou qui ne sont pas parvenus à la latitude des glaces. On fuit sous les ponts, on remonte sur les écoutilles, on grimpe aux mâts : père Tropique vous poursuit ; cela finit au moyen d’un large pourboire : jeux d’Amphitrite, qu’Homère aurait célébrés comme il a chanté Protée, si le vieil Océanus eût été connu tout entier du temps d’Ulysse ; mais alors on ne voyait encore que sa tête aux Colonnes d’Hercule* ; son corps caché couvrait le monde.

Nous gouvernâmes vers les îles Saint-Pierre et Miquelon, cherchant une nouvelle relâche. Quand nous approchâmes de la première, un matin entre dix heures et midi, nous étions presque dessus ; ses côtes perçaient, en forme de bosse noire, à travers la brume.

Nous mouillâmes devant la capitale de l’île* : nous ne la voyions pas, mais nous entendions le bruit de la terre. Les passagers se hâtèrent de débarquer ; le supérieur de Saint-Sulpice, continuellement harcelé du mal de mer, était si faible, qu’on fût obligé de le porter au rivage. Je pris un logement à part ; j’attendis qu’une rafale, arrachant le brouillard, me montrât le lieu que j’habitais, et pour ainsi dire le visage de mes hôtes dans ce pays des ombres.

Le port et la rade de Saint-Pierre sont placés entre la côte orientale de l’île et un îlot allongé, l’île aux Chiens*. Le port, surnommé le Barachois, creuse les terres et aboutit à une flaque saumâtre. Des mornes* stériles se serrent au noyau de l’île : quelques-uns, détachés, surplombent le littoral ; les autres ont à leur pied une lisière de landes tourbeuses et arasées. On aperçoit du bourg le morne de la vigie."

Chateaubriand 

 * Banc : ou grand Banc, haut fond de sable au large de Terre-Neuve, bien connu des morutiers. 

* Colonnes d’Hercule : c’est le nom que les Grecs donnaient au détroit de Gibraltar.

* Nous mouillâmes devant la capitale de l’île : le 23 mai 1791.

* Morne : mot créole (des Antilles) qui désigne une colline ou une montagne de forme arrondie, sur une île ou un littoral.

 

* L'île aux Chiens ; chiens : poissons de la famille des requins.

 

"Somewhere, something incredible is waiting to be known."
~ Carl Sagan

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