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16/01/2013

Bouillon de culture

"Le Nord, ce n’est pas seulement les pays des terrils et des corons que désignent, à la mémoire des traces industrielles, scories et poussières charbonneuses lentement déposées. C’est aussi l’étagement vallonné des plateaux fertiles de Picardie et d’Artois, où affleure le sous-sol de craie blanche et pulvérulente ponctué de bosquets. « Plat pays » certes, qui s’étire jusqu’aux falaises de la Côte d’Opale, adossées aux flancs du Boulonnais, grenier à céréales du Cambrésis jusqu’aux Flandres, d’où s’élève le relief des beffrois et des cathédrales, des églises et leurs clochers. Le Marais audomarois déploie la richesse abondante des cultures de légumes et fruits traditionnels. En dépit des arrachages, le bocage de l’Avesnois et de la Thiérache dessine le maillage des champs pâturés, cernés de haies basses d’aubépines, d’arbres-têtards ou « trognes » de charmes, frênes, saules, autrefois régulièrement taillés à des fins protectrices et productives. Il conserve les arbres et espèces arbustives, chêne, érable, merisier, noisetier, qui suivent parfois le cheminement des ruisseaux et rivières. Plantes herbacées nombreuses des talus et des champs, dont certaines furent cultivées dans le Hainaut et le Valenciennois, selon une tradition lointaine pour l’emploi médicinal, contribuant à la renommée.

Capucine Crosnier connaît ce pays où elle est née, et où, en ethnologue spécialiste du terrain français, elle nous offre l’enquête, qui sert de base à cet ouvrage, menée auprès de personnes âgées, témoins et acteurs des pratiques de pharmacie familiale. Parole est donnée ici aux anciens, dans le respect de leur parler et expressions… […] La sélection s’est également opérée pour permettre leur reproduction et leur adaptation à la vie quotidienne, sans oublier la prudence, les remèdes ne peuvent pas se substituer au traitement médical."

Introduction de Vieux remèdes du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, Éditions Ouest-France Juliette Brabant-Harmonic, Capucine Crosnier ; dessins de Dominique Mansion

J’ai choisi de mettre sur ce blog le texte de la page 22, concernant le Bouillon Blanc, ainsi que le texte de la page 15, pour le Millepertuis.

"Le Millepertuis

Antiseptique, vulnéraire (contribue à la cicatrisation des plaies et soulagement des contusions).

Le Millepertuis (Hypericum perforatum), miparpui, partui, parpui, miltreu, thé vulnéraire, est commun le long des chemins, sur les talus, dans les friches, on le reconnaît à ses fleurs dorées et à ses feuilles criblées de points translucides, à voir par transparence et qui sont des poches remplies d’huile essentielle. C’est une herbe bénéfique, dont on conservait un bouquet béni à la fête de l’Assomption contre les menaces de l’orage, on en détachait alors une brindille lancée dans le feu comme talisman. Il était cueilli la nuit de la Saint-Jean pour se préserver des maladies, et depuis le Moyen Age avait la renommée d’être un « chasse diable ». Il est sédatif, et on peut s’interroger sur la mutation et la permanence de cette perception « tranquillisante » dans le succès de son emploi actuel pour le traitement contre le dépression.

Remède : Mettre à macérer les sommités fleuries (fleurs et feuilles) dans l’eau-de-vie, l’alcool ou l’huile, elles donnent une préparation rouge cramoisi, cicatrisante des plaies, ulcères, brûlures. (Attention, les préparations peuvent donner des rougeurs solaires.)

Le Bouillon Blanc

Infusion : «  On prend une poignée d’fleurs, on la met d’din d’l’eau, faire bouillir un tio peu, on passe avec une petite passette, du suc’candi ou du miel et on boit. » (Il est préférable de filtrer l’infusion pour éviter les irritations.)

« Pour l’hiver, quand on a le catarre » (rhume, bronchite, affections pulmonaires), adoucissant (peaux desséchées, en cataplasmes) et béchique (calmant la toux).

Le Bouillon Blanc (Verbascum thapsiforme), Blank, Ièbe de Saint-Fiaque, Candèle de leu, Molène, était cultivé dans les départements du Nord et de l’Aisne. On regardait autour de nous, c’était tout blanc, se souvenait un des témoins de la culture artisanale qui venait en alternance des autres productions pour les agriculteurs, cinsiers, mais aussi comme apport d’activité et de gain pour les ouvriers et les artisans. On préférait le Bouillon Blanc du Nord qui est « gras », pas comme celui qui est comme du papier. Les feuilles sont très aromatiques, les gens en faisaient de la liqueur en les mettant dans l’eau-de-vie. Le Bouillon Blanc était également produit industriellement pour la cueillette des fleurs destinées à alimenter les herboristeries et pharmacies, et pour alimenter aussi la pharmacopée familiale. On cueillait seulement le pétale, c’était très léger et c'était difficile à faire sécher. Partout, il y avait un petit paquet de fleurs, ça n’s’achetait pas, ça s’donnait. Il était une herbe de Saint-Jean et, en Picardie, un lointain usage, la veille de cette fête entraînait les enfants à courir avec des torches enflammées, faites avec des tiges de bouillons blancs imprégnées d’huile »" (E. Rolland).

À propos de "Saint Fiaque" dont il est question dans une des appellations du Bouillon Blanc, quelques renseignements :

"Fiacre a été éduqué dans un monastère du comté de Kilkenny, en Irlande. Il y acquit des connaissances importantes notamment en phytothérapie. Sa réputation rapidement grandissante comme guérisseur et saint, l'amena à quitter l'Irlande en quête d'une plus grande solitude." Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fiacre_(saint)

 

 

 

 

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15/01/2013

"L'air craque de tous les incendies possibles"

"Le petit sentier sommeille entre les prés couverts de blé. Il y a beau temps que la pluie n’est pas venue dans ce coin de pays. L’air craque de tous les incendies possibles. On entend même les soupirs des épis trop lourds qui plient des tiges trop grandes et dans le couvert de cette végétation, les mulots sont tapis en attendant des jours moins chauds. C’est la troisième semaine sans eau." Le texte intégral :

http://soiseb.wordpress.com/2009/04/26/jeune-fille-a-la-biche/#more-240

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14/01/2013

La peste - Albert Camus

"Ainsi, à longueur de semaine, les prisonniers de la peste se débattirent comme ils purent. Et quelques-uns d’entre eux, comme Rambert, arrivaient même à imaginer, on le voit, qu’ils agissaient encore en hommes libres, qu’ils pouvaient encore choisir. Mais, en fait, on pouvait dire à ce moment, au milieu du mois d’août, que la peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de destin individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous. Le plus grand était la séparation et l’exil, avec ce que cela comportait de peur et de révolte. Voilà pourquoi le narrateur croit qu’il convient, à ce sommet de la chaleur et de la maladie, de décrire la situation générale et, à titre d’exemple, les violences de nos concitoyens vivants, les enterrements des défunts et la souffrance des amants séparés.

C’est au milieu de cette année-là que le vent se leva et souffla pendant plusieurs jours sur la cité empestée. Le vent est particulièrement redouté des habitants d’Oran parce qu’il ne rencontre aucun obstacle naturel sur le plateau où elle est construite et qu’il s’engouffre ainsi dans les rues avec toute sa violence. Après ces longs mois où pas une goutte d’eau n’avait rafraîchi la ville, elle s’était couverte d’un enduit gris qui s’écailla sous le souffle du vent. Ce dernier soulevait ainsi des vagues de poussière et de papiers qui battaient les jambes des promeneurs devenus plus rares. On les voyait se hâter par les rues, courbés en avant, un mouchoir ou la main sur la bouche. Le soir, au lieu des rassemblements où l’on tentait de prolonger le plus possible ces jours dont chacun pouvait être le dernier, on rencontrait de petits groupes de gens pressés de rentrer chez eux ou dans des cafés, si bien que pendant quelques jours, au crépuscule qui arrivait bien plus vite à cette époque, les rues étaient désertes et le vent seul y poussait des plaintes continues. De la mer soulevée et toujours invisible montait une odeur d’algues et de sel. Cette ville déserte, blanchie de poussière, saturée d’odeurs marines, toute sonore des cris du vent, gémissait alors comme un île malheureuse.

Jusqu’ici la peste avait fait beaucoup plus de victimes dans les quartiers extérieurs, plus peuplés et moins confortables, que dans le centre de la ville. Mais elle sembla tout d’un coup se rapprocher et s’installer aussi dans les quartiers d’affaires. Les habitants accusaient le vent de transporter les germes d’infection. « Il brouille les cartes », disait le directeur de l’hôtel. Mais quoi qu’il en fût, les quartiers du centre savaient que leur tour était venu en entendant vibrer tout près d’eux, dans la nuit, et de plus en plus fréquemment, le timbre des ambulances qui faisait résonner sous leurs fenêtres l’appel morne et sans passion de la peste.

À l’intérieur même de la ville, on eut l’idée d’isoler certains quartiers particulièrement éprouvés et de n’autoriser à en sortir que les hommes dont les services étaient indispensables. Ceux qui y vivaient jusque-là ne purent s’empêcher de considérer cette mesure comme une brimade spécialement dirigée contre eux, et dans tous les cas, ils pensaient par contraste aux habitants des autres quartiers comme à des hommes libres. Ces derniers, en revanche, dans leurs moments difficiles, trouvaient une consolation à imaginer que d’autres étaient encore moins libres qu’eux. "Il y a toujours plus prisonnier que moi" était la phrase qui résumait alors le seul espoir possible." P. 185-186 

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