06/09/2021
Pages 294-295
J'en suis à la page 295 du livre Au printemps des monstres.
Travail titanesque de Philippe Jaenada. Lui et ceux qui l'ont aidé dans ses recherches font un travail d'enquête très pointue. La leçon à retirer de cette pénible affaire concernant le meurtre de Luc Taron : ne pas se fier aux apparences. C'est l'auteur qui l'affirme et je veux bien le croire.
Page 295, ce parisien qu'est Philippe Jaenada, part des déclarations de Lucien Léger concernant sa soit disant rencontre du petit Luc dans le métro à la station Étoile, sur le quai de la ligne 6, celle que l'enfant doit prendre pour rentrer chez lui.
L'auteur page 294-295 :
"C'est le terminus de cette ligne et, contrairement à la plupart des stations de Paris, même terminus, les rames ne s'y croisent pas, c'est-à-dire que ceux qui y arrivent et ceux qui en partent ne sont pas dans le même tunnel. Le métro qui monte vers le nord dépose, au terminus, les passagers sur un quai qui n'a pas de vis-à-vis, puis effectue une large boucle et embarque ceux qui partent vers le sud (et après tout, Luc aurait pu décider de se promener, même à 23 heures, vers le sud), mais surtout qu'on ne peut pas quitter ce quai : personne ne descend ici, tous les métros arrivent vides du tunnel, il n'y a pas de sortie. Aucune. Or Lucien, dans les courriers de l'Étrangleur ou lors de ses aveux, affirme qu'il a remarqué ce petit garçon sur le quai, près du distributeur de bonbons, et qu'il a décidé de le suivre lorsqu'il l'a vu partir vers une correspondance. Ce n'est pas possible. Il n'y a pas de correspondance, il n'y a pas un seul panneau de correspondance, ni même un panneau de sortie de la station. Bien sûr, on peut revenir, en sens inverse, vers le couloir, vers le couloir vers lequel on est arrivé. Mais d'une part, cela veut dire qu'on passe obligatoirement devant un poinçonneur, qui se serait obligatoirement étonné qu'un enfant emprunte, à cette heure tardive, un chemin interdit, à contre-courant (il y avait, en 1964, deux employés de la RATP par quai, un poinçonneur et un contrôleur : les enquêteurs consciencieux, ont interrogé tous ceux qui travaillaient entre les stations Étoile et Villiers, et même jusqu'à Wagram au nord-ouest de Villiers et La Motte-Piquet-Grenelle au sud d'Étoile, et pas un, pas une ne se souvient d'avoir vu un jeune garçon seul, qu'ils n'auraient pas manqué de remarquer, a fortiori à contre-sens (la "surveillante-receveuse" qui était en service le soir du 26 mai à la station Étoile, Mme Réau, est entendue en particulier : elle dit qu'il y avait très peu de voyageurs aux environs de 23 heures et qu'elle est certaine de ne pas avoir vu de petit garçon, elle s'en souviendrait), mais surtout, j'ai fait l'expérience, j'y suis allé (et il est évident que les couloirs n'ont pas changé depuis) : lorsqu'on se trouve sur ce quai et qu'on veut en repartir, il n'y a qu'une issue possible (qui est donc, en fait, une entrée), on se retrouve face à trois couloirs (puis six ensuite), deux escaliers qui montent, sans aucun panneau indicateur puisque personne n'est censé se déplacer dans ce sens, quitter ce quai. Je me suis trompé deux fois avant de retrouver, péniblement, le chemin qui mène à la ligne 2, celle qui va vers Villiers. Je prends le métro tout seul depuis quarante ans. Luc, aux dires de ses parents, n'avait jamais pris le métro tout seul. Luc n'a jamais mis un pied sur le quai de la ligne 6 à Étoile. Il y vient, à 23 heures passées, on ne sait pourquoi, y reste quelques minutes immobile sans plus de raison, et repart directement vers la ligne qui mène chez lui sans se tromper ? Non."
Et l'auteur poursuivra sa démonstration comme quoi Lucien Léger n'aurait pas rencontré l'enfant en fait.
Mon commentaire : il est probable donc que Lucien Léger ait voulu couvrir quelqu'un. Quelqu'un, d'après les récits ultérieurs de Lucien Léger, lorsqu'il reviendra sur ses premières déclarations pour clamer son innocence, que Lucien Léger devait profondément admirer. Il l'a cru lorsque celui-ci lui a demandé de le couvrir, affirmant qu'il avait tué sans le faire exprès Luc.
Il semblerait comme le pense à presque cent pour cent l'auteur du livre que, effectivement, Lucien Léger n'a pas tué Luc.
Le contexte : la fin de la guerre d'Algérie, un réseau proche de l'Algérie indépendante tente de se créer à Paris pour aider notamment des Algériens... Lucien a l'honneur d'y être recruté à la faveur d'une discussion à la terrasse du Missou, où il aurait rencontré celui qui par la suite tuera accidentellement Luc, d'après toujours les déclarations ultérieures à son procès, de Lucien Léger.
Quant au père de Luc, il aurait fait partie de ce réseau puis l'a quitté en emportant la caisse. On veut faire pression sur Yves Taron, le père de Luc, pour qu'il rende l'argent. Et voilà que l'homme à la tête de ce réseau naissant voit Luc vagabonder. Il le reconnaît, étant allé plusieurs fois chez son père où il aurait eu l'occasion de voir le garçon. Il aurait décidé de kidnapper Luc pour faire pression sur le père, afin qu'il rende l'argent. Mais à sa grande déconvenue, le père, peut-être remonté contre Luc qui fugue une fois de plus, aurait répondu que le garçon finirait bien par revenir et que d'ailleurs il n'était pas son fils. Ne sachant que faire du gamin, le kidnappeur, le lâche dans le bois. Mais Luc, ayant une peur affreuse des loups, se serait mis à hurler, le kidnappeur aurait voulu le faire taire et l'aurait tué sans le faire exprès. c'est ce qu'il va raconter au nouvel adepte du réseau, Lucien Léger.
Ce kidnappeur aurait été un ancien résistant, qui est allé dans un camp de concentration et en serait ressorti très diminué physiquement. L'homme incriminé par Lucien Léger existe et est devenu un intellectuel reconnu, dûment diplômé.
Lucien dit avoir cru en cet homme, avoir voulu l'aider en faisant diversion avec des lettres assez délirantes adressées aux médias, compte tenu que des fouilles chez le père de Luc auraient pu compromettre l'ancien résistant. Dans ses lettres, il manque de respect envers Yves Taron (qu'il juge indigne en raison de sa trahison, de son vol et du peu de considération envers un fils qu'il aurait quasiment renié en préférant garder le magot).
Voilà pourquoi pages 294, 295 se profile sérieusement l'innocence de Lucien Léger, qui, éperdu d'admiration pour l'ancien résistant, flatté d'être adoubé par lui a pensé que Luc a été tué accidentellement par l'individu qui par la suite l'a laissé tomber. On apprend au passage combien sont inhumaines nombre de prisons. On parle pour celle de Nîmes, dans les années 70 je crois, de cages grillagées...
Réponse à ceux que l'on a jugé à tort ou à raison barbares : une barbarie encore pire, puisque la mort lente y est programmée pour nombre d'entre eux, a témoigné Lucien Léger. Il était athée et a eu un chemin de croix tel un Christ. Paix à son âme et à celle du petit Luc.
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