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26/01/2021

À propos du roman La Terre Chinoise, de Pearl Buck

En fait Pearl Buck a fait sien un principe de Simenon à moins que Simenon n'ait fait sien un principe de Pearl Buck : ne pas juger. Elle n'est pas en empathie avec tous les personnages mais ne les juge pas, parfois cela peut poser question. On voit évoluer les personnages et l'auteure s'efface derrière eux, les laissant évoluer devant nous, lecteurs éberlués.

 

On pourrait penser que Pearl Buck ne défend pas suffisamment la cause des femmes car elle évoque avec un semblant de neutralité certains faits tyranniques de la part des hommes à l'égard des femmes. En Chine, du moins la Chine ancestrale, beaucoup de bourgeois, aristocrates  mais aussi de paysans, craquent pour les pieds petits, voire très petits (on a aussi en Occident cette injonction, mais sous cape, dans le conte de Cendrillon, avec la pantoufle de verre et on la trouve aussi dans la moquerie ouverte de l'expression "Berthe aux grands pieds"), mais en Chine, on comprimait ceux-ci avec des bandelettes et c'était douloureux. Pearl Buck en parle au passage pour expliquer l'embarras de O-len, première femme de Wang Lung. N'ayant pas d'argent pour choisir une femme, il prend l'esclave qu'on lui propose, esclave qui, faute d'avoir eu les pieds comprimés manque, selon le goût des hommes, de féminité. Pour atteindre le graal de la féminité respectable à l'époque et dans ce contexte, la femme doit être conforme à un profil physique très coercitif. Si bien que certaines concubines de l'époque tiennent à peine sur leurs pieds à force de les avoir comprimés. On est loin des joggeuses actuelles arborant des tennis confortables à semelles épaisses.

 

Mais quid des courants balayant les impératifs esthétiques dans la Chine d'alors ? Pearl Buck n'en parle pas et traite O-len d'hommasse, comme si elle se ralliait aux impératifs masculins concernant l'esthétique.

 

Les pieds comprimés ne devaient pas être au goût  des pratiquants de la médecine ancienne, et de ceux pratiquant du qi gong et autres gymnastiques demandant qu'on ne comprime pas le corps. Même problème au niveau de la santé en Occident avec les talons aiguilles, mauvais pour la colonne vertébrale, les corsets : mauvais pour la respiration, et en Afrique avec les anneaux au cou, qui flinguent les vertèbres cervicales. 

 

On peut être agacé que Pearl Buck évoque un problème d'importance (pouvant mener au suicide des femmes vulnérables), sans y accorder apparemment d'importance. Pour elle comme pour son personnage,  O-len et sa grande bouche est laide, point barre. Mais le courant nous emporte vers d'autres complexités. Le paysan Wang Lung peut également  sembler odieux à certains moments, lorsqu'il prend notamment une seconde femme et laisse O-len s'occuper des enfants. O-len par ailleurs nourrira de la rancœur contre Fleur de Lotus, sa rivale  "pas capable d'engendrer des fils", dit O-len,  alors qu'elle-même en engendre trois, "en bonne santé", précisera-t-elle.  Lisant cela, on se dit que les femmes sont montées les unes contre les autres pour l'amour d'un homme égoïste, qui prend son plaisir avec l'une, ne lui demandant pas d'enfanter mais de rester belle, et exige de l'autre qu'elle soit une bonne mère, ce qu'elle sera soit dit en passant et tant mieux pour les enfants.

 

Par ailleurs, Wang Lung, avec son "bon sens" paysan, lorsqu'il prête de l'argent, prête à fort taux d'intérêt, sachant qu'il peut mettre dans la panade des pauvres (en argent), à qui il rachète leurs terres s'ils  ne peuvent pas rembourser... Il spécule aussi sur les récoltes, revend celles-ci quand les cours montent, alors que lui-même a failli mourir de sous alimentation durant la période de famine, lorsqu'il se nourrissait de terre et d'écorces.

 

Pearl Buck ne montre pas plus que ça le capitaliste immoral en Wang Lung. Elle ne le fait pas je pense parce que Wang Lung est un homme presque enfant dans son pragmatisme paysan, et de plus, à facettes. En certaines circonstances il se dévoile positivement humain, se laisse toucher par certaines détresses, notamment envers sa fille handicapée, et aussi, plus tard envers Fleur de Poirier, violentée par les hommes, dont il devient une sorte de père. Wang Lung est complexe. Il aime les enfants, plus il y en a autour de lui, plus est content.

Le paysan sera devenu propriétaire foncier en raison des circonstances, et en affaire, concernant les récoltes de riz et autres, les conséquences de la spéculation lui passent par dessus le chapeau.

 

Pearl Buck ne devait pas être une femme de gauche. Elle aurait sinon mis l'accent sur les attitudes de Wang Lung en affaire. Cependant ce même homme, quand il s'agit d'êtres fragiles à ses yeux — contrairement  à certaines femmes et hommes de son entourage familial qui voudraient mettre fin aux jours de sa fille handicapée, à défaut la battre, ou l'oublier dans un coin — se montre quant à lui extraordinaire en amour désintéressé. Cette enfant qui sera principalement évoquée à travers Wang Lung, et toujours appelée par lui (et Pearl Buck à travers lui) "la pauvre innocente" donne à son père son côté attachant, d'autre part on dirait qu'elle seule d'abord, ainsi que Fleur de Poirier par la suite, pouvait soutirer de cet homme le trésor d'humanité en lui.  

 

Ainsi La Terre Chinoise devient-il un roman inoubliable et Wang Lung, malgré son attitude parfois écervelée envers certaines femmes, ainsi qu'en affaires, un personnage qui remue les tripes.            

03:08 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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