14/09/2020
"Prière de laisser les siens en liesse" ♣♣♣ Poème d'Olga ♣♣♣ "Attendu que"
Extrait de la chronique lue tout à l'heure, à propos de mouvements de peintres et de poètes. Sur le blog Diérèse :
"En 1967, il publie chez Losfeld Le Test du titre, 6 planches et 61 titreurs d’élite, rappelant les jeux surréalistes auxquels participaient en leur temps les membres du groupe réunis autour d’André Breton : à partir de six eaux-fortes d’Alechinsky, plusieurs artistes proposent des titres confrontant ainsi des interprétations fort différentes. Par exemple, une même image peut être nommée « Es-tu là ? » par Wifredo Lam, « L’Horreur du vide » par Philippe Soupault, « Placards pour un dragon écolier » par Alain Jouffroy et « We are Capitalists » par Walasse Ting ! Alechinsky s’est beaucoup interrogé sur les relations qu’entretiennent le tableau et son titre :
« Voir à distance, ou de près (c’est selon), offrir à une image muette un prénom, une citation, une phrase, une information, une rétention, une ironie, une tirade, un hommage, un poème ou une gifle, le titreur connaît le travail. Mais le langage dépasse la pensée, se tient en retrait, joue en dessous, s’adapte sur les côtés, tombe de haut si rarement juste sur les choses, qu’il y a peu de raisons pour qu’une image neuve se love sans avatars dans des mots qui ont déjà servi à tous. Le titre est une greffe, un nœud dans un mouchoir psychologique pour ne pas oublier de penser à… »
Cette « greffe », ce « nœud dans un mouchoir » n’exclut ni l’humour, ni le jeu de mots, on pense par exemple aux œuvres intitulées Le Complexe du sphinx (1967), Mon mari sans gain (1980), On est prié de garder les siens en liesse (1999)…"
Intégral :
♣♣♣
Ballad of Forgotten Places
d'Olga Orozco
translated by Mary Crow
My most beautiful hiding places,
places that best fit my soul’s deepest colors,
are made of all that others forgot.
Mes plus belles cachettes,
Lieux qui correspondent le mieux aux couleurs les plus profondes de mon âme,
sont faits de tout ce que les autres ont oublié.
They are solitary sites hollowed out in the grass’s caress,
in a shadow of wings, in a passing song;
regions whose limits swirl with the ghostly carriages
that transport the mist in the dawn,
and in whose skies names are sketched, ancient words of love,
vows burning like constellations of drunken fireflies.
Ce sont des sites solitaires creusés dans la caresse de l’herbe,
dans l'ombre des ailes, dans une chanson passagère ;
Régions dont les limites tourbillonnent avec les véhicules fantomatiques
qui transportent la brume à l'aube,
et dans les ciels desquels sont esquissés des noms, d'anciens mots d'amour,
des vœux brûlants comme des constellations de lucioles ivres.
Sometimes earthly villages pass, hoarse trains make camp,
a couple piles marvelous oranges at the edge of the sea,
a single relic is spread through all space.
My places would look like broken mirages,
clippings of photographs torn from an album to orient nostalgia,
but they have roots deeper than this sinking ground,
these fleeing doors, these vanishing walls.
Parfois de possibles villages terrestres passent, des trains aux cris rauques établissent un bivouac,
quelques tas d'oranges merveilleuses au bord de la mer,
un simple vestige prend tout l'espace.
Mes lieux ressembleraient à des mirages brisés, des bouts de photographies arrachés à un album pour orienter la nostalgie,
mais ils ont des racines plus profondes que ce sol qui s'affaisse, ces portes qui fuient, ces murs qui disparaissent.
They are enchanted islands where only I can be the magician.
Ce sont des îles enchantées où seule je peux être le magicien.
And who else, if not I, is climbing the stairs towards those attics in the clouds
where the light, aflame, used to hum in the siesta’s honey,
who else will open again the big chest where the remains of an unhappy story lie,
sacrificed a thousand times only to fantasy, only to foam,
and try on the rags again
like those costumes of invincible heroes,
circle of fire that inflamed time’s scorpion ?
Et qui d'autre, sinon moi, monte les escaliers vers ces greniers dans les nuages où la lumière, enflammée, fredonnait dans le miel de la sieste,
Qui d’autre ouvrira à nouveau le grand coffre où reposent les restes d’une histoire malheureuse,
sacrifiée mille fois à la fantaisie seulement, à l'écume uniquement,
et réessayera les haillons comme ces costumes de héros invincibles,
cercle de feu qui enflammait le scorpion du temps ?
Who cleans the windowpane with her breath and stirs the fire of the afternoon
in those rooms where the table was an altar of idolatry,
each chair, a landscape folded up after every trip,
and the bed, a stormy short cut to the other shore of dreams,
rooms deep as nets hung from the sky,
like endless embraces I slid down till I brushed the feathers of death,
until I overturned the laws of knowledge and the fall of man ?
Qui nettoie la vitre avec son souffle et attise le feu de l'après-midi
dans ces pièces où la table était un autel d'idolâtrie,
chaque chaise, un paysage replié après chaque voyage,
et le lit, un raccourci orageux vers l'autre rive des rêves,
des pièces profondes comme des filets suspendus au ciel,
à l'instar d'étreintes sans fin, j'ai glissé jusqu'à ce que j'aie effleuré les plumes de la mort,
jusqu'à ce que j'aie renversé les lois de la connaissance et la chute de l'homme ?
Who goes into the parks with the golden breath of each Christmas
and washes the foliage with a little gray rag that was the handkerchief for waving goodbye,
and reweaves the garlands with a thread of tears,
repeating a fantastic ritual among smashed wine glasses and guests lost in thought,
while she savors the twelve green grapes of redemption—
one for each month, one for each year, one for each century of empty indulgence—
a taste acid but not as sharp as the bread of forgetfulness?
Qui entre dans les parcs avec le souffle doré de chaque Noël
et lave le feuillage avec un petit chiffon gris qui était le mouchoir pour dire au revoir,
et retisse les guirlandes avec un fil de larmes,
répétant un rituel fantastique parmi les verres à vin brisés et les invités perdus dans leurs pensées,
en savourant les douze raisins verts de la rédemption - un pour chaque mois, un pour chaque année, un pour chaque siècle de vaine indulgence - un goût acide mais pas aussi vif que le pain de l'oubli ?
Because who but I changes the water for all the memories ?
Who inserts the present like a slash into the dreams of the past ?
Who switches my ancient lamps for new ones ?
Car qui, sinon moi, change l'eau à la mémoire de tous ?
Qui insère le présent comme une balafre dans les rêves du passé ?
Qui change mes anciennes lampes pour de nouvelles ?
My most beautiful hiding places are solitary sites where no one goes,
and where there are shadows that only come to life when I am the magician.
Mes plus beaux lieux cachés sont des sites solitaires où personne ne va,
et où sont des ombres qui ne viennent à la vie que lorsque je suis le magicien.
♣♣♣
Langage particulier. Ici, ce n'est pas du cht-i, mais du droit.
Expression particulière. Idiome dans la doxa du droit : "attendu que" (que que que)
Premier exemple :
"Attendu que je t'ai attendu une plombe, je me permets de te dire que je ne suis pas un mougeon."
Du droit plus radical :
""Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 juin 2017), que, le 15 avril 2010, Mme K... a signé avec Mme H..., par l'intermédiaire de la société City'mmo, un "compromis" de vente portant sur un appartement ; que, Mme H... ayant refusé de réitérer la vente, Mme K... l'a assignée en paiement du montant de la clause pénale prévue à l'acte ; que Mme H... a appelé en garantie la société City'mmo ;
Attendu que Mme K... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la tranquillité et la sécurité d'un logement projeté d'être acquis étaient des éléments déterminants pour tout achat immobilier et souverainement retenu que Mme H... justifiait que la notion de sécurité était pour elle primordiale compte tenu de l'agression subie dans son enfance."
Une nuit que j'avais dans la tête une sorte de nœud à force d'attendre le sommeil d'un être aimé, agité, ne semblant pas vouloir s'endormir malgré l'heure tardive (quelque chose comme trois du matin), j'entends dans ma radio, mise en sourdine, ceci, qui détend tout à coup mes nerfs auparavant tendus comme les cordes d'un arc. Mozart, le Miserere :
https://www.youtube.com/watch?v=3s45XOnYOIw
C'est ouf ! ☻
Le lien pour l'intégralité des attendus, dans cette situation à nœuds, que l'avocat est chargé de défaire, ce qui n'est pas rien.
Intégral donc :
17:51 Publié dans Lecture, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
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