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05/05/2020

Les larmes de Victor

Extrait de l'article sur Hérodote, racontant la noyade de la fille de Victor Hugo sur une boucle de la Seine. Le livre les Contemplations parle du spleen, du chagrin du père après la mort de sa fille. L'extrait d'Hérodote :

 

"Le poète découvre le sort tragique de sa fille préférée à son arrivée à Rochefort, le 9 septembre 1843, en lisant dans Le Siècle le récit du drame par le journaliste Alphonse Karr. « On m'apporte de la bière et un journal, Le Siècle. J'ai lu. C'est ainsi que j'ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte » écrira-t-il plus tard.

Ce drame va bouleverser la vie de Victor Hugo, chef de file de l'école romantique, pair de France, gloire du royaume. Mesurant la fragilité de la vie et du bonheur, l'écrivain mûrit très vite. Pendant plusieurs années, il s'abstient de toute publication. Il s'initie aussi au spiritisme et aux tables tournantes. Enfin, ce pilier de l'ordre monarchique et bourgeois se mue en héraut des humbles et de la République."

 

https://www.herodote.net/4_septembre_1843-evenement-18430...

 

 

Extrait du poème poème intitulé À Villequier,

 

Villequier étant le lieu de résidence des Hugo, dans les environs duquel le drame s'est produit.

 

L'extrait :

 

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,

Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;

Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste

Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !

 

Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive

Par votre volonté.

L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,

Roule à l'éternité.

 

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;

L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.

L'homme subit le joug sans connaître les causes.

Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

 

Vous faites revenir toujours la solitude

Autour de tous ses pas.

Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude

Ni la joie ici-bas !

 

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.

Rien ne lui fut donné dans ses rapides jours,

Pour qu'il en puisse faire une demeure, et dire :

C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !

 

Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;

Il vieillit sans soutiens.

Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ;

J'en conviens, j'en conviens !

 

Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie

Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;

L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,

Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

 

Je sais que vous avez autre chose à faire

Que de nous plaindre tous,

Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,

Ne vous fait rien à vous !

 

Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ;

Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;

Que la création est une grande roue,

Qui ne peut se pouvoir sans écraser quelqu'un ;

 

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,

Passent sous le ciel bleu ;

Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ;

Je le sais, ô mon Dieu !

 

Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues,

Au fond de cet azur immobile et dormant,

Peut-être faites-vous des choses inconnues

Où la douleur de l'homme entre comme élément.

 

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre

Que des êtres charmants

S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre

Des noirs événements.

 

Des destins ténébreux vont sous des bois immenses

Que rien ne déconcerte et qu rien n'attendrit.

Vous ne pouvez avoir de subites clémences

Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

 

Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,

Et de considérer

Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme,

Je viens vous adorer !

 

Victor Hugo, fin de l'extrait du poème À Villequier.

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