20/12/2019
Bruce Chatwin
Bruce Chatwin rapporte dans l'extrait qui va suivre la relation difficile entre un aborigène, se nommant Flynn, et le Père Terence, qui lui a choisi "la vie de prière" "à cause" du caractère de son père (patriote irlandais qui travaillait en secret à l'ambassade de Berlin à la destruction de l'Empire britannique). Extrait :
C'est à Rome que Flynn s'est mis à détester de se voir traité avec condescendance par ses supérieurs blancs et à s'indigner qu'on tourne en dérision les croyances de son peuple. Avant même d'arriver à Boongaree, il avait déjà acquis ses propres convictions.
L'Église, disait-il au Père Terence, a tort de s'imaginer les aborigènes perdus dans les limbes effrayants ; leur condition, au contraire, ressemblait plus à celle d'Adam avant la chute. Il aimait comparer les empreintes de l'ancêtre" à la parole du Christ quand il disait : "Je suis le Chemin."
"Alors que devais-je faire ? me demanda le Père Terence. Tenir ma langue ? Ou lui dire ce que je pensais ? Non. Il fallait que je lui dise que, selon moi, l'univers mental des aborigènes était confus, insensible et cruel. Qu'est-ce qui pouvait diminuer leurs souffrances si ce n'était le message chrétien ? Quel autre moyen pouvait-on trouver pour que cesse le massacre ? Le nom d'un de leurs sites dans les monts Kimberley signifiait "Tuez-les tous!" et "Tuez-les tous" était justement un des sites sacrés dont ils faisaient si grand cas de nos jours ! Non! Non et non !
Ces pauvres enfants noirs n'ont qu'une alternative : la parole du Christ ou la police !
Personne ne pouvait nier, poursuivit-il, que par leur concept du Temps du Rêve, les aborigènes avaient pris conscience des premières lueurs de la vie éternelle — ce qui revenait à dire que l'homme était naturellement religieux. Mais assimiler leur magie primitive à la parole du Christ n'était en réalité que pure confusion.
Les Noirs n'en portaient pas la faute. Pendant des milliers d'années, ils avaient été coupés du reste de l'humanité. Comment auraient-ils pu sentir les effets de ce grand mouvement qui secoua le Vieux Monde dans les siècles qui précédèrent l'avènement du Christ ? Que savaient-ils de Tao ? Ou de Bouddha ? De l'enseignement des Upanisad ? Ou du logos d'Héraclite ? Rien ! Certes, cela leur était inaccessible, mais, à présent, ce qu'ils pouvaient faire, dès maintenant, c'était le grand saut vers la foi. Ils pouvaient suivre les pas des Rois mages et adorer l'Enfant innocent de Bethléem.
"Je crois, dit le Père Térence, que c'est là que je l'ai perdu. Il n'a jamais compris l'histoire de la crèche."
[...] Le Père Térence parla d'ordinateurs et de génie génétique. Je lui demandai si parfois l'Irlande lui manquait.
"Jamais !" Il leva les deux bras vers l'horizon. "Ici je ne pourrais jamais la perdre."
Au-dessus de la porte de la cabane était clouée une planche de bois flotté sur laquelle il avait gravé deux vers en caractères "gaéliques" :
Le renard a son terrier, l'oiseau du ciel son nid
Mais le Fils de l'Homme n'a pas de lieu où poser la tête.
page 78 Le Chant des Pistes de Bruce Chatwin.
Il y a de l'aborigène en moi car, à bien des égards je suis noire, je suis même noire de chez noire. En effet, moi non plus, je ne connais rien des Upanishads. Qu'à cela ne tienne, frère Térence ! Il n'est jamais trop tard, non plus que "trop tare" (je parle pour moi), pour faire la découverte des Upanishads ☺:
http://www.chinmayafrance.fr/03VEDANTA/textes-vedanta-upanishad.html
♣
Un petit coup de fatigue. À demain.
22:41 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.