15/11/2016
Lu ce matin
Chateaubriand écrit tel quel, tel qu'il ressent les choses, avec sa langue ; je ne ressens rien d'affecté dans cette écriture bien à lui et de son temps. S'il se trompe parfois, comme tout le monde, c'est un témoin vrai, de son époque ; il est aussi honnête avec lui-même quand il parle de sa vie. Et c'est reposant de le lire, signe de sa sincérité et de son savoir écrire.
L'extrait :
"La lagune était terne ; la marée descendante découvrait des bancs de vase. M. Ampère avait vu ce que je voyais, lorsqu'il écrivait ces vers frappants de vérité :
Cette onde qui sans borne autour de moi s'étend,
D'où l'on distingue à peine une lande mouillée,
Sans habitant, sans arbre et d'herbe dépouillée,
D'où, quand la mer descend, sortent quelques îlots,
Comme une éponge molle imprégnés par les eaux.
Je suis heureux de croiser encore la route de ce même jeune homme qui, poète français en Italie, littérateur slave en Bohême, marche vers l'avenir, quand je retourne au passé. Ce m'est une consolation de rencontrer à la fin de mon voyage, ces enfants de l'aurore qui m'accompagnent à mon dernier soleil. Tout n'est donc pas épuisé ? Allons ! ces soldats de la jeune Garde rendront au vétéran, le reste du chemin plus court et les bivouacs moins rudes.
Philippe de Comines a décrit les lagunes de son temps :
" Environ la dite Cité de Venise, y a bien septante monastères, à moins de demie−lieue française, à le prendre en rondeur, et est chose estrange de voir si belles et si grandes églises fondées en la mer... tant de clochers, et si grand maisonnement tout en l'eau et le peuple n'avoir autre forme d'aller qu'en ces petites barques (gondoles) dont je crois qu'il s'en finerait trente mille. "
Je fouillais avec mes yeux dans les îles pour retrouver ces couvents : quelques−uns ont été abattus, d'autres convertis en établissements civils ou militaires. Je me promettais de visiter les savants moines orientaux. Mon neveu, Christian de Chateaubriand, a écrit son nom sur leur livre. On l'a pris pour le mien. Ces religieux étrangers ignorent même ce qui se passe à Venise, à peine ont−ils entendu parler de la vie de Lord Byron qui faisait semblant d'étudier l'arménien chez eux. Ils donnent des éditions de saint Chrysostome ; loin de leur patrie, habitant le passé, ils vivent dans la triple solitude, de leur petite île, de leurs études et de leur cloître."
Mémoires d'Outre−tombe Chapitre 16
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