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29/08/2014

Un autre extrait des Mythes Grecs

Extrait à la suite de celui que j'ai mis il y a un mois environ :

 

"Dès le moment où il fut officiellement reconnu que c'est à la suite d'un coït que la femme donne naissance à un enfant — un récit de ce tournant de la religion figure dans le mythe hittite du naïf Appu (H.G  Guterbock : Kumarbi, 1946) — les conceptions religieuses de l'homme firent peu à peu des progrès et on cessa d'attribuer aux vents et aux fleuves le pouvoir de féconder les femmes. Il semble que la Nymphe, dans la tribu, choisissait tous les ans, dans son entourage de jeunes hommes, un amant, c'est-à-dire un roi destiné à être sacrifié à la fin de l'année : il était pour elle un symbole de fertilité plutôt que l'instrument de son plaisir sexuel. Son sang servait à faire fructifier les arbres et les moissons ainsi qu'à féconder les troupeaux ; on découpait son corps et les nymphes qui étaient les compagnes de la reine mangeaient sa chair crue — c'étaient des prêtresses portant des masques de chiennes, de juments ou de truies. Puis plus tard, il y eut une modification, le roi mourut dès que la force du soleil, avec qui il était identifié, commençait à diminuer, en été ; et un autre jeune homme, prétendument son frère jumeau — l'ancien terme irlandais "taniste" lui convient assez bien — devenait alors l'amant de la reine et devait être, selon la coutume, sacrifié au milieu de l'hiver ; comme récompense il se réincarnait dans un serpent oraculaire. Ces princes consorts obtenaient le pouvoir exécutif uniquement lorsqu'on leur permettait de représenter la reine en portant ses robes magiques. Ainsi la monarchie mâle gagnait du terrain. Mais bien que le soleil fût devenu un symbole de fertilité mâle dès le moment où la vie du roi eut été identifié avec son voyage à travers les saisons, il demeurait toujours sous la dépendance de la Lune de même que le roi demeura encore sous la dépendance de la Reine, du moins théoriquement, longtemps après que le stade matriarcal eut été dépassé. Ainsi les sorcières de Thessalie, région où l'on était conservateur, avaient coutume de menacer le Soleil, au nom de la Lune, d'être englouti dans la nuit éternelle.

 

Néanmoins il n'existe aucune preuve, même à l'époque où c'étaient les femmes qui constituaient l'autorité suprême en matière religieuse, qu'un homme n'eût pas le droit d'avoir des champs et d'y faire ce qu'il voulait sans qu'une femme vînt contrôler ses activités, bien qu'il soit possible qu'ils aient adopté beaucoup de traits du "sexe faible" jusqu'alors considérés comme spécifiquement masculins. On pouvait leur confier la chasse, la pêche, la cueillette des aliments, la garde des troupeaux et la défense du territoire de la tribu contre des ennemis, tant qu'ils ne transgressaient pas les lois du matriarcat. On choisissait des chefs mâles pour des clans totémiques et on leur octroyait certains pouvoirs, surtout en période de guerre ou d'émigration. Les règles pour choisir celui qui serait le commandant en chef étaient différentes, semble-t-il, selon les matriarchies : en général on choisissait l'oncle maternel de la reine, ou son frère ou le fils de sa tante maternelle. Le commandant en chef primitif avait aussi qualité pour être juge dans des querelles personnelles entre des hommes, dans la mesure où cela n'empiétait pas sur l'autorité religieuse de la reine. La société matrilinéaire la plus primitive qui subsiste encore de nos jours est celle des Nayars en Inde du Sud, où les princesses, bien qu'elles soient mariées à des maris enfants dont elles divorcent aussitôt, donnent des enfants à des amants sans aucun rang spécial ; et les princesses de nombreuses tribus matrilinéaires d'Afrique occidentale épousent des étrangers ou des hommes du peuple. Les princesses royales de la Grèce préhellénique ne se faisaient pas scrupule de prendre des amants parmi leurs esclaves, à en juger par les cent maisons de Locris et les locres Épizéphyriens."

Extrait de l'introduction des Mythes Grecs de Robert Graves, traduit par Mounir Hafez. 

    

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