21/04/2014
Don Quichotte et Sancho en mauvaise posture
Un extrait de Don Quichotte. Tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir... et Sancho est plein de vitalité comme vous allez pouvoir le constater ou le reconstater :
"Cependant Don Quichotte prit un peu haleine, et, voyant qu'on lui donnait encore attention, il voulut passer outre en sa harangue : ce qu'il eût fait si la subtilité de Sancho ne se fût mise en travers. Ayant vu que son maître s'arrêtait, il prit la parole pour lui et dit : "Mon maître don Quichotte de la Manche, jadis appelé le Chevalier à la Triste figure, et maintenant le Chevalier des Lions, est un gentilhomme sage et avisé. Il sait le latin et sa langue comme un bachelier, et en tout ce qu'il dit et conseille il y procède en bon soldat. Il sait sur le bout du doigt toutes les lois et les ordonnances qui concernent ce qu'on nomme le duel, si bien qu'il n'y a autre chose à faire qu'à se laisser diriger par ce qu'il vient de dire, et s'il y a erreur, je le prends sur moi, et principalement lorsqu'on a dit que c'est une grande niaiserie de s'empoigner pour un braiment qu'on a ouï. Il me souvient que lorsque j'étais enfant, toutes les fois qu'il m'en prenait envie et sans que personne m'en empêchât, je me mettais à braire avec tant de grâce et de naturel que tous les ânes du village se prenaient à braire en m'entendant. Et, pour cela, je ne laissais pas d'être le fils de mon père et de ma mère, qui étaient gens fort honorables. Et, bien que pour cette habileté je fusse envié de plus de quatre des plus gros de notre village, je ne m'en souciais pas plus que de deux liards. Mais, afin que vous voyiez que je dis la vérité, écoutez-moi un peu : car cette science est comme celle de nager, qui, étant une fois apprise, ne s'oublie jamais."
Ce disant, il porta la main à son nez, et commença de braire avec tant de force que toutes les vallées d'alentour en retentirent. Mais un de ceux qui étaient auprès de lui, croyant qu'il le faisait pour se moquer d'eux, leva un gourdin qu'il tenait à la main, et lui en déchargea un si grand coup que, sans y pouvoir résister, Sancho Pança donna du nez à terre. Don Quichotte, voyant Sancho si mal accoutré, courut la lance au poing sur celui qui avait fait le coup. Mais tant de gens se mirent entre deux qu'il ne lui fut pas possible d'en prendre vengeance. Au contraire, voyant pleuvoir sur lui une nuée de pierres, et considérant mille arbalètes et non moins d'arquebuses qui le visaient, il fit tourner la bride à Rossinante, et au triple galop se tira du milieu d'eux, se recommanda à Dieu de tout son cœur, le priant de le délivrer de ce danger, et craignant, à chaque pas, que quelque balle ne lui entrât par les épaules et ne lui sortît par l'estomac. Et il recueillait à chaque moment son haleine pour voir si elle lui défaillait. Mais ceux de l'escadron se contentèrent de le voir fuir sans tirer dessus.
Cervantès
Mon commentaire
Le mystère Cervantès, il aime ses personnages, et nous les aimons aussi, en tout cas moi, et pourtant à nombre de leurs déconvenues même cruelles, la plupart du temps, (surtout si j'étais tendue avant la lecture), se déclenche un rire qui vient du cœur et des tripes, irrépressible ce matin.
C'est la magie de la fiction, ce sont les pitreries géniales de Cervantès et non les avatars en soi qui font rire. L'auteur est son premier thérapeute, et je dois dire le mien aussi.
08:16 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
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