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12/02/2014

Extrait

"Sans doute, les évêques espagnols, s'ils perdent leur temps à me lire, vont me prendre pour un mécontent. Ils croient, bien à tort, jouer le rôle du spectateur qui de sa fenêtre contemple une rixe et donne, en toute sincérité, avec bienveillance et courtoisie, son opinion sur les adversaires, au sergent de ville qui est arrivé naturellement en retard et n'a rien vu. Généralement, le sergent de ville n'ajoute pas beaucoup d'importance au discours modéré de ce témoin imposant, il se contente d'emmener les délinquants au poste. Il n'y a malheureusement pas de commissaires de police capable de décider cette fois entre les belligérants et encore moins de juge de paix. L'intervention de l'épiscopat prend ainsi une importance à laquelle il n'avait pas songé. L'Europe, je le répète, est pleine de guerres. Leurs Seigneuries, soit d'Espagne, soit d'ailleurs, ne manquent jamais une occasion de le déplorer. Ils savent donc la chose comme vous et moi. L'Europe est pleine de guerres, mais le plus nigaud commence à se rendre compte que ces guerres sont le prétexte et l'alibi d'une guerre, que sera la Guerre, la Guerre absolue, ni politique, ni sociale, ni religieuse au sens strict du mot, la Guerre qui n'ose pas dire son nom peut-être parce qu'elle n'en a aucun, qu'elle est simplement l'état naturel d'une société humaine dont l'extraordinaire complexité est absolument sans proportion avec les sentiments élémentaires qui l'animent, et qui expriment les plus basses formes de la vie collective : vanité, cupidité, envie. Heureusement ces nègres blancs vivent encore dans la maison des aïeux. Ils y ont même, sous prétexte de l'améliorer, mais en réalité par méfiance les uns des autres, tellement multiplié les cloisons étanches et les portes blindées qu'ils ne savent littéralement plus comment faire pour se ruer les uns sur les autres comme des sauvages. Et par exemple, personne ne croit plus aux nationalismes, du moins nul n'ignore qu'ils ne sont que la décomposition du sentiment de la Patrie. Il n'en est pas moins vrai que les sociétés rivales ne savent comment se débarrasser de ces encombrants cadavres, ni le moyen de les enjamber sans crever dessus, avant d'avoir eu le temps de se joindre et de se couper réciproquement cabèche. Je l'ai écrit. Je l'écrirai encore : la guerre qui vient ne sera rien d'autre qu'une crise d'anarchie généralisée. Puisqu'il s'agit simplement de dépeupler un continent qui compte trop de bras, trop de mains pour la perfection de sa machinerie, rien n'oblige plus à user de moyens aussi coûteux que l'artillerie. Lorsqu'un petits nombre d'espions, ravitaillés par les laboratoires et menant de ville en ville une confortable existence de touristes, suffiront à réduire de cinquante pour cent la population, en développant la peste bubonique, généralisant le cancer et empoisonnant les sources, appellerez-vous ça aussi la guerre, hypocrites ? Les décorerez-vous de la Croix de Saint Louis ou de la Légion d'honneur, vos courtiers en morve et en choléra ?"

Les Grands cimetières sous la lune - Bernanos

08:20 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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