11/02/2013
"Ji lon fous à la poche" Ubu roi - Alfred Jarry
ACTE IV
Scène V
Une caverne en Lithuanie. Il neige.
Père Ubu, Pile, Cotice.
Père Ubu. — Ah ! Le chien de temps, il gèle à pierre fendre et la personne du Maître des Finances s’en trouve fort endommagée.
Pile. — Hon ! Monsieuye Ubu, êtes-vous remis de votre terreur et de votre fuite ?
Père Ubu. — Oui ! Je n’ai plus peur, mais j’ai encore la fuite.
Cotice, à part. — Quel pourceau !
Père Ubu. — Eh ! Sire Cotice, votre oneille, comment va-t-elle ?
Cotice. — Aussi bien, Monsieuye, qu’elle peut aller tout en allant très mal. Par conséquent de quoye, le plomb la penche vers la terre et je n’ai pu extraire la balle.
Père Ubu. — Tiens, c’est bien fait ! Toi aussi, tu voulais toujours taper les autres. Moi j’ai déployé la plus grande valeur, et sans m’exposer j’ai massacré quatre ennemis de ma propre main, sans compter tous ceux qui étaient déjà morts et que nous avons achevés*.
Cotice. — Savez-vous, Pile, ce qu’est devenu le petit Rensky ?
Pile. — Il a reçu une balle dans la tête.
Père Ubu. — Ainsi que le coquelicot et le pissenlit à la fleur de leur âge sont fauchés par l’impitoyable faux de l’impitoyable faucheur qui fauche impitoyablement leur pitoyable binette, ainsi le petit Rensky a fait le coquelicot, il s’est fort bien battu cependant, mais aussi il y avait trop de Russes.
Pile et Cotice. — Hon ! Monsieuye !
Un Écho. — Hhrron !
Pile. — Qu’est-ce ? Armons-nous de nos lumelles.
Père Ubu. — Ah ! Non ! Par exemple, encore des Russes, je parie ! J’en ai assez ! Et puis c’est bien simple, s’ils m’attrapent ji lon fous à la poche.
*« achevés » : Dans une comédie-ballet de Molière, La Princesse d’Edile (1664), c’est en jouant avec l’écho qu’un personnage de bouffon, Moron, attire un ours ; du haut de l’arbre où il s’est réfugié, il invoque le Ciel tout en encourageant les chasseurs à se battre et conclut « maintenant que vous l’avez tué, je vais l’achever ».
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