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18/05/2012

Que se passe-t-il à La corne d'abondance, suite des Marcheurs

Une vingtaine de personnes résidaient à La Corne d’abondance, notamment quelques ingénieurs aéronautiques, qui supervisaient à l’occasion la fabrication de nouvelles fusées ou aéronefs de plaisance, des informaticiens — eux travaillaient essentiellement à la maintenance des robots en charge du montage des différents engins — quelques rescapés des expéditions punitives — notamment des gueux ayant perdu leur animal de compagnie — et divers savants. Parmi la population des professionnels on trouvait souvent des couples de partenaires exerçant la même discipline. La géologue dont le coup de foudre pour Jeudi avait marqué les esprits faisait exception. Ce petit monde s’entendait bien ; les gueux, bien que très secoués par des traumatismes plus ou moins récents, acceptaient de se laisser apprivoiser et aimaient à s’occuper de travaux de jardinage quand ils ne partaient pas en excursion avec Janin, trop heureux de partager avec eux son savoir de botaniste émérite. Ce matin-là tout le monde se levait sans empressement, hormis les anciens vagabonds, mus par leur curiosité pour les nouvelles plantations. Les autres avaient suspendu les travaux de recherche et annulé les vols depuis quelques jours, en raison des menaces de Le Noble depuis qu’il leur avait dévoilé ses intentions de prendre la zone verte. Il voulait sans nul doute les décrédibiliser à son profit et à celui des siens, auprès de l’État. Bien sûr cela faisait cinq années que le groupe de scientifiques en place était entré en dissidence discrète contre la population des Bléassenghins. Mais ces intellectuels ne leur voulaient pas de mal, au contraire, et espéraient de leur part un changement d’attitude envers les gueux et les malades. Les institutions s'étaient dévoyées, au gré de la déliquescence sociale du pays dont le gouvernement, à force de déléguer, avait fini par se désintéresser du sort des démunis. À ce rythme avait eu lieu la transformation des hôpitaux publics en différents lieux d’accueil dont la mission n’était plus, à priori, de soigner les malades, malgré quelques derniers faux-semblants pour certains établissements. Les Bléassenghins vivaient sur le trésor de guerre que constituait la vente de tableaux de génie et autres productions, telles celles du septième art et amalgamaient les privilèges concernant leurs cliniques privées et autres avantages de leur infinie richesse, et les voyages en fusée supervisés par un astrophysicien de grand renom résidant la plupart du temps à la zone verte. Tout cela faisait partie de l’ordre naturel des choses, le confort à outrance n’aidant pas, ils tenaient à leur mode de vie comme à la prunelle de leurs yeux, si bien que les personnes ne correspondant pas à leur monde, tout en reflets de miroirs de leur propre perfection, devenaient politiquement suspectes. Ils finissaient eux-mêmes leur jour en des lieux quasi secrets, certes luxueux mais cachés, poliment exclus de leur propre famille. Il avait fallu pour réveiller les scientifiques de la torpeur dans lequel ce train de vie avait fini par les plonger eux-mêmes, cette prise directe avec la réalité des exécutions punitives de vagabonds en rupture de banc. Quelque chose avait définitivement déraillé dans la tête de cette population, elle avait glissé peu à peu dans le fascisme. La feinte des loups ne suffisait plus, les scientifiques de la zone verte savaient maintenant que Le Noble avait découvert le secret de l’hôpital qui se construisait peu à peu et en toute discrétion au cœur de la forêt, à l’aide de leur réseau. Le Noble était au courant et les traînerait devant un tribunal pour s’être accaparé de terres appartenant à la région si les habitants ne leur accordaient pas une solution à l'amiable. En ce 26é siècle le fascisme était revenu sans se déclarer ouvertement, sournoisement, mais plus virulent que jamais, comme inhérent à la nature humaine, et les Bléassenghins, trahis dans leurs convictions profondes ne leur pardonneraient peut-être pas d’avoir, non seulement tu leurs dissentiments mais agi, qui plus est, derrière leur dos, comme de mauvais farceurs. C’est pourquoi l’on était plutôt inquiet quant à la réponse des Bléassenghins parmi les résidants de La corne d’abondance en ce petit matin de mai, et, pour se distraire un peu, on essayait de fixer son attention sur Odette en attendant les mauvaises nouvelles que ne manqueraient pas d’apporter Jeudi.

— Dites-nous votre rêve Odette

demanda Dora mi-rieuse, mi sérieuse. Odette prit à la lettre cette requête et raconta :

— J’ai dû avoir une petite faim en dormant. J’ai rêvé d’un oiseau que j’avais trouvé mort et mis au congélateur pour éventuellement le manger au prochain repas. C’est drôle, je ne suis pas vraiment carnivore en fait. Bref, je ne tarde pas à sentir une petite faim, je vais donc chercher l’oiseau pour le passer à la poêle… il n’était pas encore plumé, ni rien. Je le pose, il profite que je lui tourne le dos pour se mettre debout. Dans les rêves on a des yeux derrière la tête. Il est rigide comme un animal empaillé, du coup je le crois malgré tout toujours mort, je m’approche de lui et, ô stupeur, il cligne des yeux. Mon cœur fait un bond, j’oublie ma faim, pas question une seconde de le tuer. Après la peur occasionnée par cette résurrection, je suis heureuse de le voir en vie.

Silence dans la salle puis un médecin de la compagnie prend la parole :

— Vous savez que Peter sent les infra-sons, mais pas à la manière des loups. Les infra-sons produisent sur lui quelque chose d’étonnant, une capacité à se concentrer qui le ramène à un certain niveau de normalité du point de vue du travail des neurones. Si bien que nos nouveaux amis les ex-gueux l'emmènent souvent avec eux. Ils ont entrepris de faire un herbier ensemble, sous les conseils de Janon. Une vraie petite elfe que cette Janon, et son père de savant n’évoque-t-il pas un super hobbit ?

— Vous avez raison Monsieur Dross, on se croirait en forêt de Brocéliande en leur présence, ils mettent une super ambiance. Merci à vous pour Peter.

— Mais c’est tout naturel, chère madame.

 

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