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15/03/2012

Les rives

C’était un matin sans pluie ni soleil. La végétation encore ratatinée en ce début du mois de mars laissait s’imposer le gris, celui de l’eau du canal, miroir éteint aux ondulations verdâtres, celui du ciel, du bitume des étroits chemins de halage, un gris aux nuances noyées dans l’uniformité de sa masse, qui mettait au placard les rares promeneurs. Il y avait ce matin là, un jeune homme qui marchait d’un pas rapide le long de la berge en poussant un caddy vide, il était accompagné d’une personne falote à force de passer inaperçue, comme le sont les caniches et les ombres pour les observateurs distraits. Sur l’autre rive, une femme passait en vélo. L’homme donna de la voix, une voix de basse puissante et prononça des paroles abruptes. Des mots où rien ne vibrait qu’une sorte d’indignation spontanée, mais qui opérèrent une trouée, une aération du placard, et brisèrent l’inertie, la torpeur des alentours : « Hé ! cria-t-il Hé ! I love you ! Je t’aime ! J’vais t’violer ! » La cycliste se retourna et vit la haute silhouette baraquée de l’homme-enfant au caddy vide, à ses côtés elle crut voir trottiner un enfant. Elle eut sans doute la sensation d’une maladresse atavique des pauvres, accéléra par envie de tranquillité, continua un moment, tourna à droite par deux fois et finit par tomber sur le promeneur au caddy qui lui opposa un visage fermé, comme si la marche monotone l’avait fait se perdre dans un mauvais rêve. Il l’ignora complètement, il avait déjà oublié l’injure de tout à l’heure, lancée à la paralysie ambiante des choses, à ce qui lui avait semblé être un estomac plein en train de péter dans la soie.

 

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