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15/09/2008

Suite de l'article précédent

Géopolitique : 

La hantise de l’encerclement 

«  … À défaut d’être la source de la crise afghane, les zones tribales pakistanaises en sont un des aliments. Islamabad n’a pas su, ou voulu, éradiquer les groupes talibans et les noyaux d’Al-Qaida qui y ont trouvé refuge. Une lourde équation géopolitique explique cette impuissance, ou cette mauvaise volonté. En premier lieu, la frontière afghano-pakistanaise (dite « ligne Durand », tracée par les Britanniques en 1893) traverse artificiellement des populations pachtounes qui ne l’ont jamais vraiment reconnue. Sa porosité est un défi permanent : les Américains en font les frais comme jadis les Soviétiques.

En second lieu, le statut administratif de ces zones au sein de l’État pakistanais en fait des entités quasi indépendantes, régies par l’ordre coutumier. La Constitution et la législation pakistanaises ne s’y appliquent pas. Islamabad s’est résolu à cette généreuse dévolution des pouvoirs pour mieux désamorcer un nationalisme pachtoune qui a en permanence menacé de déstabiliser sa frontière occidentale. Ce souci de ne pas s’aliéner les Pachtounes est d’autant plus fort que la construction nationale pakistanaise est fragile : l’islam partagé - raison d’être de la fondation du pays en 1947 sur les décombres de l’Empire britannique des Indes - n’a pas suffi à transcender des identités ethniques (pendjabie, sindhie, baloutche, mohajire, pachtoune) aux penchants centrifuges.

Mais cette géopolitique des zones tribales ne s’éclaire vraiment qu’au miroir du conflit avec l’Inde, l’ennemi historique. Depuis sa naissance, le Pakistan vit avec la hantise de l’encerclement : à l’est, la menace de l’Inde ; à l’ouest, le péril d’un Afghanistan attisant l’irrédentisme pachtoune (le « Pachtounistan »). Pour les Pakistanais, c’est trop. À leurs yeux, l’Afghanistan doit être impérativement inféodé, « finlandisé », afin d’ouvrir une profondeur stratégique vitale en cas de guerre avec l’Inde. Toute la doctrine stratégique d’Islamabad se résume à cette obsession.

Aussi le profil des maîtres de l’Afghanistan doit-il répondre à une triple caractéristique : ils doivent être des Pachtounes (maîtres à Kaboul, ils se détourneront d’un « Pachtounistan »), adeptes de l’islamisme (allergique au nationalisme) et installés par le Pakistan. À la veille de l’effondrement du régime communiste afghan en 1992, l’Inter Service Intelligence (ISI), les omnipotents services secrets de l’armée pakistanaise, avait parié sur Gulbuddine Hekmatyar. Ce fut un échec piteux. Dans les années 1994-1995, la solution de rechange vint des talibans, à l’époque mis sur orbite par Benazir Bhutto avec la complicité des Américains et des Saoudiens.

Depuis le 11 septembre, Washington demande à Islamabad de traquer ses anciennes créatures. C’est forcément compliqué, surtout à un moment où le rôle joué par l’Inde en Afghanistan rallume la paranoïa de l’encerclement. Le réchauffement stratégique indo-américain, qu’illustre un récent accord de coopération nucléaire civile, avive ce sentiment d’insécurité.

Dans ces conditions, l’ISI - échappant largement au pouvoir civil - entend bien conserver ses pions, et ces derniers se trouvent pour l’heure dans les foyers talibans des zones tribales. » …

 

 

 

Frédéric Bobin

 Le Monde

 

 

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