05/03/2008
Miroir d'ambre
- Chapitre 29 - La bataille dans la plaine
Miroir d’ambre, à la croisée des mondes de Philip Pullman
Chaque homme est soumis au pouvoir
De son spectre, jusqu’à ce que sonne
L’heure où l’humanité se réveille…
WILLIAM BLAKE
« La première chose qu’ils perçurent, ce fut le bruit. La lumière qui pénétra dans la galerie était aveuglante et tous, les fantômes comme les vivants, durent plaquer leurs mains sur leurs yeux. Pendant plusieurs secondes, ils ne virent rien du tout, mais les détonations, les explosions, le crépitement des armes à feu, les cris et les hurlements étaient d’une clarté effrayante.
Le fantôme de John Parry et celui de Lee Scoresby furent les premiers à reprendre leurs esprits. L’un et l’autre avaient été soldats, ils avaient l’expérience du combat et étaient moins désorientés par ce vacarme. Will et Lyra, quant à eux, assistaient à la scène avec un mélange de peur et de stupéfaction.
Des obus explosaient dans les airs et déversaient une pluie de fragments de rocher et de métal sur les pentes de la montagne qu’ils apercevaient un peu plus loin et, dans le ciel, des anges luttaient contre d’autres anges ; des sorcières descendaient en piqué, puis remontaient, poussant les cris de guerre de leurs clans et décochant des flèches sur leurs ennemis. Un Gallivespien monté sur une libellule plongea pour attaquer une machine volante, dont le pilote tenta de riposter en affrontant la petite créature à mains nues. Tandis que la libellule tournoyait au-dessus de l’engin, son cavalier bondit pour planter ses éperons dans le cou du pilote et, immédiatement après, l’insecte revint se placer sous l’appareil pour qu’il puisse sauter sur son dos vert et brillant, pendant que la machine volante plongeait droit vers les rochers au pied de la forteresse.
– Ouvre une fenêtre plus grande, dit Lee Scoresby. Laisse-nous sortir !
– Pas si vite, Lee, dit John Parry. Il se passe quelque chose…Regardez là-bas.
Will ouvrit une petite fenêtre dans la direction qu’indiquait son père et, sous leurs yeux, un changement se produisit dans la physionomie du combat. Les forces attaquantes commencèrent à se retirer : un groupe de véhicules blindés s’arrêta et, sous un tir de couverture, ils firent laborieusement demi-tour et repartirent en sens inverse. De même, une escadrille de machines volantes qui avaient pris le dessus sur les gyroptères de Lord Asriel à la suite d’une bataille inégale firent demi-tour dans le ciel et s’éloignèrent vers l’ouest. Sur le sol, les forces du Royaume – des colonnes de fusiliers, des troupes équipées de lance-flammes et de canons propulseurs de poison, et d’autres armes insolites – commencèrent à battre en retraite.
– Que se passe-t-il ? demanda Lee. Ils abandonnent le combat…Pourquoi donc ?
Il semblait n’y avoir aucune raison : les alliés de Lord Asriel étaient inférieurs en nombre, leurs armes étaient moins puissantes, et les blessés étaient bien plus nombreux dans leur camp.
Mais soudain, Will perçut un mouvement parmi les fantômes. Ils désignaient quelque chose qui flottait dans l’air.
– Des spectres ! S’exclama John Parry. La voilà, la raison.
Pour la première fois, Will et Lyra eurent l’impression qu’ils pouvaient voir ces choses, semblables à des voiles de gaze scintillante, qui tombaient du ciel comme du duvet de chardon. Mais elles étaient extrêmement diffuses et, dès qu’elles se posaient sur le sol, il était encore plus difficile de les voir.
– Que font-ils ? Demanda Lyra.
– Ils se dirigent vers cette section de soldats…
Will et Lyra savaient ce qui allait arriver et, en chœur, ils s’écrièrent :
– Courez ! Fuyez !
Certains soldats, en entendant les voix des enfants tout près d’eux, tournèrent la tête, surpris. D’autres, voyant un Spectre approcher, si étrange, vide et vorace, levèrent leurs armes et ouvrirent le feu, sans résultat, évidemment. Le Spectre se précipita vers le premier homme qui se trouvait devant lui.
C’était un soldat originaire du monde de Lyra, un Africain. Son daemon était un félin couleur fauve, aux longues pattes, tacheté de noir ; il montra les dents, prêt à bondir.
Ils virent tous l’homme, intrépide, épauler son arme, sans céder un pouce de terrain devant le Spectre, puis ils virent son daemon se débattre dans les mailles d’un filet invisible, grognant et hurlant, impuissant, et l’homme essayer de le libérer, lâchant son arme, répétant son nom en pleurant, avant de s’effondrer sous l’effet de la douleur et d’une violente nausée.
– O.K., Will, dit John Parry. Fais-nous sortir d’ici maintenant. On peut combattre ces créatures.
Will élargit la fenêtre à l’aide du couteau et sortit le premier, en courant, à la tête de cette armée de fantômes. Débuta alors la bataille la plus étrange qu’on puisse imaginer.
Les fantômes émergèrent des profondeurs de la terre, silhouettes pâles encore plus livides dans la lumière de la mi-journée. N’ayant plus rien à redouter, ils se lancèrent à l’attaque des Spectres invisibles, se jetant avec férocité sur des ennemis que Will et Lyra ne pouvaient pas voir.
Les fusiliers et les autres vivants étaient abasourdis : ils ne voyaient rien de ce combat fantomatique, spectral. Will se fraya un chemin au milieu de la mêlée, en brandissant le poignard subtil, car il se souvenait que celui-ci avait déjà fait fuir les Spectres.
Où qu’il aille, Lyra le suivait, et elle aurait aimé avoir elle aussi quelque chose pour se battre comme le faisait Will. Malheureusement elle devait se contenter de regarder autour d’elle, les yeux exorbités. Par moments, elle croyait apercevoir les Spectres, sous la forme d’un miroitement dans l’air ; et ce fut elle qui perçut, la première, le danger.
Salmakia perchée sur son épaule, la fillette se retrouva sur un petit promontoire, une langue de terre coiffée de buissons d’aubépine, d’où elle avait une vue d’ensemble sur le paysage ravagé par les envahisseurs. »
Philip Pullman
« Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme comme elle est, infinie. » ("If the doors of perception were cleansed every thing would appear to man as it is, infinite.") (Le Mariage du ciel et de l'enfer). Cette formule a inspiré le choix du nom de l'essai de Aldous Huxley, Les Portes de la perception, qui lui-même a inspiré le nom du groupe de rock The Doors.(Wikipédia)
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