02/02/2008
De l'imaginaire
Apprendre à colorer nos imaginaires, par Sylvie Crossman
Le Monde
" Je me souviens du vieux Miller, Henry, 444 Ocampo Drive, Pacific Palisades, une banlieue climatisée de Los Angeles, juste avant Malibu, et la naissance des vagues du Pacifique. C'était en octobre 1974. J'avais 20 ans et, normalienne, trouvé ce prétexte - un mémoire de maîtrise - pour rencontrer l'écrivain des Tropiques. Il m'avait écrit : "Le thème de la "civilisation" (ou l'annihilation) me fascine toujours."
"Nous nous traînons d'un pas lourd, le cerveau obtus, et l'imagination encapuchonnée, parmi des miracles que nous ne discernons même pas. Il nous faudra périr, nous laisser dominer par des êtres d'une race "inférieure" que nous avons traités en parias."
"Onze ans plus tard, alors journaliste à Sydney, j'entends remonter le grognement, de la face ravinée cette fois d'un vieux lézard humain dans le désert central de l'Australie, de la bouche tordue, comme celle de Miller autrefois, d'une aînée aborigène, Emily Kame Kngwarreye, patronne d'un camp de femmes. Le chant lourd guide ses gestes, se substitue à ses yeux abîmés par un glaucome tandis qu'elle lance des jets de peinture sur une toile étalée à même l'ocre. A sa mort, en 1996, les critiques d'art écriront qu'elle fut une véritable réincarnation de Matisse. Les collectionneurs du monde entier s'arrachent maintenant ses variations sur le thème de "l'igname crayon", sorte de patate sauvage à la chair irisée, exceptionnellement nourricière, dont elle était la propriétaire rituelle."
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