05/01/2008
Les enfers du sexe
Le roman de A à X
Les écrivains seraient-ils condamnés à jouer les obsédés sexuels ? Tout roman, s’il veut avoir quelque chance de succès, se doit désormais d’avoir son lot de fellations et de sodomies. Le sexe est devenu un sujet imposé. Il fut longtemps interdit. Par nature scandaleux et transgressif, on le réservait à des ouvrages à vocation clandestine, qui circulaient sous le manteau et que les bibliothèques enfermaient dans un dépôt secret, joliment appelé l’Enfer. La censure, que certains contournèrent à grand renfort d’ellipses et de scènes suggestives, s’est effilochée au fur et à mesure que les mœurs se libéralisaient. Même si elle demeure vigilante, elle a limité ses ambitions, comme l’explique dans ce dossier Emmanuel Pierrat, avocat et écrivain, qui connaît tout, ou presque, des enfers des bibliothèques et des foudres attisées par les censeurs. L’homosexualité et l’amour à plusieurs ne sont plus des sujets condamnables. À condition de ne pas trop malmener l’ultime tabou de la pédophilie, on peut désormais déployer en toute impunité l’inusable quincaillerie de l’érotisme (tenailles et fouets, fers rougis, godemichés garnis de pointes, crocs de boucher, etc.) afin de faire endurer à de jeunes beautés les pires outrages, à l’instar d’Alain Robbe-Grillet dans son dernier roman, empaqueté pour plus de prudence sous blister. Personne ne bronche, ou alors c’est pour dénoncer, fort justement, le manque d’inspiration de l’auteur.
Sade a fait, voilà plus de deux siècles, le compte de nos fantasmes, et il est bien difficile d’en rajouter. Que peut-on écrire de nouveau sur le sexe, quand tout a déjà été imaginé et que le désir, un temps ravivé par la grande flambée libertine de l’après 68, n’en finit pas de s’étioler ? Et de toutes ces nuits trop souvent identiques, laquelle retenir ? La nuit originelle, propose Pascal Quignard dans son dernier livre, celle d’avant la conception, l’image absente de nos origines, une poche d’ombre qui imprègne le rapport au sexe. Et de parcourir, de Lascaux à Hopper, l’aventure de l’art érotique, errant dans les ténèbres et les hantises de la « nuit sexuelle ». Cette nuit-là a fini par tout envahir. Elle gouverne les partouzes (voir Yann Moix) comme les solitudes du sexe virtuel. Elle a d’illustres gardiens – Houellebecq le cynique, Millet la théoricienne, Ernaux l’éplorée, Angot l’hystérique, Forest l’endeuillé, Despentes la révoltée… Sans trop faire d’histoire (même littéraire), c’est tout ce beau monde que nous avons voulu surprendre au cœur de ses enfers.
Par Jean-Louis Hue
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